Chapitre 29

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Erwan n'avait pas osé descendre en bas de l'échelle. Une fois la plaque replacée au-dessus de sa tête, il ne restait que de maigres filets de lumière. Il avait l'impression d'être au-dessus d'un gouffre sans fond, tant l'obscurité était grande.

L'endroit était froid, et humide. L'odeur était indescriptible, elle lui nouait les entrailles. Plutôt que d'imaginer ce qui se trouvait au fond, il préférait se concentrer sur le temps qui s'écoulait, de peur de vomir les quelques bouchées du sandwich qu'il avait eu le temps d'avaler.

Erwan estima qu'il attendait depuis environ 15 minutes. C'était peu, mais ces quelques minutes accroché à une échelle puisait dans les maigres réserves d'énergie du jeune homme et ses bras s'étaient mis à trembler, menaçant de le trahir à tout instant. Mais il essayait de tenir bon. Il avait l'impression que lâcher cette échelle, c'était accepter de se rendre. En continuant de tenir sa prise avec force sur les barreaux froids et humides, il s'accrochait avec foi au moindre espoir de ne pas être trouvé.

Et comme si celle de ses bras ne suffisait pas, la douleur à l'arrière de son crâne se réveilla, et il grimaça. Puis il se surprit à espérer pouvoir recevoir des soins au centre de détention qu'il pourrait rejoindre bientôt. A présent, il s'y projetait, comme se projetaient certainement ses amis en ce moment pour leurs futures études.

Nicolas, son meilleur ami, rêvait de devenir cascadeur pour de grands films, et il les avait impressionnés plus d'une fois avec l'agilité dont il faisait preuve. Gaël, le cousin de Nicolas, qu'il avait rencontré lors de leurs périples en Italie, était devenu un grand ami. Et tous trois étaient très soudés. Gaël lui, voulait devenir avocat pénal, rêvant ainsi de défendre au mieux ceux que tous voudraient condamner.

Quant à Erwan, et malgré son attirance pour la musique, il s'était résigné à suivre sa sœur à Paris pour les études. Il avait demandé à intégrer une fac de droit, en attendant de savoir où il rêvait vraiment de s'engager.

Il s'était dit qu'il monterait un groupe de musique à côté, pour ne pas abandonner sa passion.

Mais voilà qu'il se demandait à quoi ressemblerait la prison pour mineurs.

Cette réflexion lui donna une envie folle de savoir comment allait son père. Il eut honte de constater qu'il ne s'inquiétait pas du sort de son père, en considérant les atrocités dont il était l'auteur. Mais il s'inquiétait de devenir un meurtrier. Et même si son père ne mourrait pas, peut-être que les séquelles de ses blessures « tueraient » ses chances de vivre normalement.

Puis il pensa à sa mère. Que pensait-elle de lui à présent ? Croyait-elle les horreurs divulguées par les médias ? Savait-elle ce que son mari avait fait, ce que son fils avait fait ?

Jane avait-elle réussi à lui parler ?

Des remords amplifièrent encore la nausée qui s'était installée.

Un plan se formait peu à peu dans l'esprit d'Erwan depuis plusieurs jours. Mais y croyait-il seulement ? Est-ce que Jane accepterait de le voir ? Est-ce qu'elle pleurerait ? Resterait-elle silencieuse ou lui hurlerait-elle dessus ?

Sans oser se l'avouer, il espéra garder un bon souvenir des derniers instants où il la verrait, avant que la police ne le trouve.

Erwan posa son front sur le barreau en ignorant la désagréable sensation froide sur la peau.

Il commençait à fatiguer sérieusement. Il envisagea de descendre. Il allait certainement vomir en imaginant ce dans quoi il plongerait les pieds, mais au moins il aurait un peu de répit.

Il estimait à présent qu'il était accroché depuis plus de trente minutes.

Mais en se rappelant le contenu du sac qui se trouvait sur son dos, il retira la bretelle gauche du sac, puis passa le bras gauche sous un barreau pour s'y accrocher au creux du coude.

Avec l'autre bras, il entreprit d'ouvrir la fermeture du sac pour chercher à tâtons ce qu'il désirait trouver : le portable de son frère.

Lorsqu'il avait proposé à Adaline de passer d'abord à la plage, il avait en même temps envoyé un message à sa sœur.

Il lui avait proposé de le rejoindre sur cette fameuse plage, ce soir. Il avait codé le message, avec un code qu'ils avaient inventé ensemble à huit ans. Il était facile à comprendre, pouvait paraître parfaitement ridicule, mais l'essentiel était qu'elle comprenne que c'était bien un message de sa part, et pas un message de Mathieu.
Il avait pris soin de ne pas l'envoyer directement sur le portable de sa sœur, devinant qu'il devait être surveillé. Mais il l'avait envoyé à leur vieille adresse mail commune, créée également à cette époque folle des huit ans où ils jouaient aux espions. Ils s'étaient promis que cette boîte leur servirait en cas de problème « d'urgence majeure, vitale, et intergalactique », se souvint-il.

Mais évidemment, ils n'en avaient plus parlé depuis plusieurs années maintenant. Il espérait donc simplement qu'elle penserait à regarder cette messagerie. Il sourit, en ayant le sentiment de se prendre pour James Bond.

Quand il trouva enfin le portable, la lumière de l'écran provoqua un tel contraste avec l'obscurité, qu'Erwan ferma brusquement les yeux, et manqua de lâcher l'appareil. Mais quand ses yeux parvinrent à s'habituer à la lumière, il déverrouilla l'écran et se connecta.

La connexion était faible.

Pourquoi aurait-on besoin de 4G dans les égouts en même temps, pensa-t-il en souriant à nouveau.

La page finit par charger, et il se connecta.

Une icône lui indiqua poliment de patienter, ce qu'il fit en fermant les yeux, comme s'il priait pour avoir reçu un message.

Lorsque la boîte de réception s'afficha, il remarqua que le premier message s'affichait en gras.

Son cœur manqua un battement puis accéléra considérablement son rythme. Sa sœur lui avait répondu.

Il tapota dessus pour l'ouvrir.

Son message à elle n'était pas codé, mais il aurait été inutile de le faire :

« Ok »

Malgré la sècheresse et la simplicité de sa réponse, Erwan se laissa envahir par une joie sincère. Elle avait pensé à vérifier sa boîte, elle acceptait de le voir.

Il rangea le portable et savoura quelques instants ce bonheur d'avoir reçu deux lettres de la part de sa sœur, avant de se rappeler avec amertume que s'il était caché, c'était certainement le signe de la fin de son « voyage ».

Son sourire disparu aussitôt, et toutes les douleurs et la sensation de nausée revinrent pour lui rappeler sa situation actuelle.

45 minutes, pensa Erwan.

Il baissa la tête vers le fond, comme s'il espérait le voir s'allumer pour éclairer un confortable fauteuil qui l'attendrait quelques mètres au dessous.

Je vais lâcher si ça ne s'arrête pas, songea-t-il.

Épuisé, il patienta cinq minutes avant de se décider.
Résolu, il finit par descendre un à un les barreaux, en essayant de ne pas réfléchir à ce qui l'attendait en bas.

Mais alors qu'il descendait un troisième barreau, la plaque d'égout s'ouvrit au-dessus de sa tête.

SymptômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant