Chapitre 5

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L'impuissance, ce sentiment destructeur. Assister à une scène, où l'on nous impose une position de spectateur, sans pouvoir influencer les évènements.
Erwan avait trop souvent eu l'occasion de connaître cette situation.

Ce sentiment l'avait tant accablé, jusqu'à ce fameux jour, ce jour où son frère le fit monter dans la voiture sans lui laisser le moindre choix.

~

Il resta une heure dans la chambre du motel. N'ayant pas vu son frère rentrer, il décida d'aller marcher et prévint alors la propriétaire du motel.
Puis il partit en direction du lac.
Il avait besoin de s'aérer, de se vider la tête.

Il fut soulager de ne pas recroiser la jeune fille du hall d'entrée, Adaline. Il savait qu'il avait agi brutalement. Mais même s'il détestait agir sous le coup d'une colère pulsionnelle, il savait au moins qu'elle ne parlerait pas.

En écrasant les feuilles d'arbre tapissant le sol, il admirait les nuances de cette saison fascinante.

Sans crier gare, un souvenir se frayait un chemin à la surface de sa mémoire.
Ses oreilles se souvinrent de rires, ses yeux se rappelèrent de jolies boucles brunes.

C'était un souvenir d'enfance.

Ce jour-là, Jane courait et sautait dans les feuilles qui tapissaient le sol humide d'Octobre.
Lui, quelques pas en arrière, immobile, la regardait en souriant.
Mais la petite fille revint vers lui et lui attrapa la main, sans oublier de lui lancer ce regard de défi, pour le pousser à la rejoindre dans cet instant de folie passagère.

Il avait toujours aimé la voir ainsi, heureuse et pleine de vie, et avait toujours fait de son mieux pour voir se dessiner un sourire sur son visage.
Il l'aimait tant, depuis toujours.

Revenant à la réalité, Erwan souleva sa main pour la regarder, sans même s'apercevoir qu'il s'était arrêté de marcher. En laissant sa mémoire réchauffer ses pensées, le jeune homme avait eu l'impression de vivre la scène. Il aurait juré avoir senti la main de Jane sur la sienne.

Sera-tu capable de retrouver ce sourire un jour, Jane ? J'aurais aimé pouvoir de te le rendre, tu sais.

18 Novembre 2020. Dans 7 jours, Erwan et Jane allaient avoir 18 ans.

Un frère, une sœur...des jumeaux.

Jane et Erwan étaient nés le même jour, et n'avaient jamais envisagé de passer un jour éloignés l'un de l'autre.

Elle était tout pour lui, et en 18 années, c'était la première fois qu'il se trouvait si longuement éloigné d'elle.

Au-delà de ne pas avoir de nouvelles, le plus dur était de s'imaginer dans quel état elle devait être actuellement.

Quelque part, il avait l'impression de l'avoir abandonnée. Il s'en voulait terriblement de l'avoir appelée.
Si elle n'avait pas dit un mot au téléphone, alors qu'il savait qu'elle l'avait reconnu, ça n'était pas bon signe.
Il la connaissait par cœur.

Evidemment qu'elle ne va pas bien, se dit-il, comment est-ce qu'elle pourrait aller bien...

Erwan avait repris sa marche, la tête basse, les feuilles craquant discrètement sous ses pas.
Le vent froid lui gelait les joues et le nez. Il remonta son écharpe et replaça correctement son bonnet.

Au bout de quelques minutes, alors que le soleil commençait son chemin vers la nuit, un craquement à quelques mètres stoppa le jeune homme, et il leva la tête.

A travers les branches, il distingua peu à peu une forme animale.

Devant lui se dressait un chevreuil, immense. Majestueuse, la bête releva la tête vers le garçon. Elle semblait attendre, attendre de savoir si elle se trouvait en danger. Le chevreuil observait le garçon, à l'affut du moindre geste.

Erwan se trouvait à quelques pas, mais n'esquissait plus un geste. La réalité lui échappa quelques instants, admirant la beauté de l'animal en face de lui.
Il sentit un faible sourire se peindre sur son visage. Il n'avait pas souri depuis des jours. Ses lèvres gercées par le froid étaient un peu douloureuses, trop longtemps figées par les heures sombres qui le précédaient.
Mais le sentiment si simple, si beau qui le rejoignait à cet instant valait bien une douleur.

Erwan, se trouvant un peu ridicule à retrouver le sourire grâce un animal sauvage, ria doucement en secouant la tête.

Le chevreuil, par instinct, sursauta en entendant le souffle du jeune homme, et s'enfuit à travers les arbres.

Erwan le regarda s'éloigner, et retrouva rapidement l'air sérieux qui l'habitait l'instant d'avant.
La nuit s'était installée. Avant de faire demi-tour, Erwan leva les yeux vers la lune.

« Je te promets de trouver un moyen pour revenir, Jane, chuchota Erwan. Je te le promets. Et j'espère de tout mon cœur que tu ne t'enfuiras pas en me voyant. Car la joie de te retrouver saine et sauve m'offrira certainement de sourire. »

SymptômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant