J'ai commencé à pleurer, enfin, pas des larmes vous voyez, mais j'avais les yeux remplis de larmes mais ma fierté voulait pas les laisser couler, pourtant j'en avais besoin, elles avaient pas coulé depuis trop longtemps, et elles paraissaient peser des tonnes dans mes yeux.. et contre toute attente, Moha s'est mis en face de moi, a mis sa main sur la mienne et il m'a dit...
Moha : il est... ?
Moi : non ! enfin..
Moha : enfin ?
Moi : je sais pas Moha, tu m'en demandes trop...
Moha : mais je sais pas moi, tu me demandes où est Anissa, je peux te répondre, de même pour Karim, Djibril ou Tissem ! je sais tous où ils sont.. même s'ils sont 8 ses hafrits !
Moi : t'as de la chance... Le mien ça fait genre 3 ans que j'ai pas eu de nouvelles.. C'est pour ça j'étais en foyer.. C'est compliqué mais... c'était soit le géniteur, soit nous tu comprends, et Nadir a décidé que ça serait nous... Une bagarre et un couteau plus tard, j'ai été mise au foyer et lui en cabane... Sauf que... les maisons d'accueil et les foyers, c'est pas ta maison tu vois, c'est que temporaire, et en 3 ans j'ai du en faire plus d’une vingtaine, au départ je pensais lui écrire et tout ça, mais je ne savais pas où il était, et lui de même pour moi, puis comme je changeais de foyer ou de famille toutes les deux semaines sans être prévenue à l’avance, j’avais pas d’adresse où lui demander de répondre…
Moha : mais il est là (en pointant mon coeur puis ma tête)
Moi : voilà, t'as tout compris.. mon père m'a fait goûté à l'enfer et trop souvent à la mort et puis mon frère m'a ouvert les portes de la vie.. pas la belle vie tu vois, mais déjà mieux que celle que j'avais avant...
Je me suis retournée et je suis allée m’installer sur le banc en dessous de la fenêtre, j’ai ouverte celle-ci et j’ai allumé une clope, pour être claire, je lui ai tourné le dos, je voulais pas trop parler de moi, je ne sais pas ce qu’il m’avait pris de lui en dire autant sur ma vie, mais là c'était trop douloureux et j'avais besoin d'évacuer d'une façon ou d'une autre, puis j’ai entendu Moha se lever, il a pris son assiette, l'a lavé et m'a salué, je ne me suis pas retournée alors il a ouvert la porte et il est partit...
Voilà, je venais de me confier à lui, et il a préféré fuir, comme tous les gens que j'ai côtoyé jusqu'à présent, et je lui avais pas non plus donné l’occasion de rester, mon comportement l’a fait partir, car d’où je viens on se fuyait tous les uns les autres, trop absorbé par notre vie toute aussi foireuse ou peut être même plus foireuse que celle que nous venions d'entendre.
Il était maintenant 5h du matin, et j'avais plus sommeil, j'étais postée à la fenêtre, comme une commère, et j'enchainais clope sur clope, j'étais pas bien, parler de mon père c'est pas anodin, je lui avais jamais accordé une pensée et je me dégoutais pour cela, mais le fait de parler de mon frère s'est avéré encore plus dur, c'était la plaie la plus béante de mon coeur, la seule que mon caractère de merde et ma fierté n'arrivaient pas à ignorer, et quand j'étais comme ça, comme à chaque fois, j'ai soulevé mon haut et j'ai regardé cette trace, entre ma cote flottante et celle d'au dessus, du côté droit, cette cicatrice qui a déclenché la haine de mon frère et la mort de mon père, elle m'aidait à réfléchir, à me recentrer sur mon objectif premier : reprendre ma vie en main pour pouvoir enfin retrouver mon frère...
Moha et moi on parlait plus, même quand on se croisait en bas du bloc ou quoi, c’était l’ignorance totale, je ne sais pas si ça venait de moi ou de lui, je voulais pas chercher à comprendre, j'étais pas remontée chez Khalti depuis, j'avais besoin de faire le vide, j'ai toujours été comme ça, quand ça va pas, je m'enferme sur moi-même...
Comme toutes les nuits rythmées par mes insomnies, je m'asseyais sur le banc en bas de ma fenêtre, et je regardais le quartier se réveiller car le soleil commençait à se lever, comme d'habitude j'ai baissé les yeux pour apercevoir le bas de mon bloc, et j'ai vu Mohamed, adossé à sa voiture, au téléphone, il avait les yeux rivés sur moi et pendant un court instant nos regards se sont croisés, le mien était comme tous ces moments où je suis dans mon monde, pleins de larmes, le sien plein de haine, j'avais l'impression que si ses yeux avaient pu, ils m'auraient transpercé de part en part, alors j'ai baissé les yeux pour les relever quelques secondes plus tard pour constater qu’il n'était plus là...
Mais il toquait à ma porte, je lui ouvrais, il m'a poussé en arrière, assez violemment, j'ai eu un geste pour le repousser, j'avais trop l'habitude de ces scènes de violence et j'avais pas peur d'encaisser, j'étais prête, inconsciemment, à me faire taper encore, mais cette fois si j'étais assez forte pour faire mal moi aussi, j'allais lever la main pour frapper quand j'ai senti sa tête s'engouffrer dans mon cou, et ses bras entourer mon corps, il a refermé la porte avec son pied et ses mains ont commencé à caresser mon dos, j'ai eu des frissons...
Moha : j'suis qu'un con hein ?
Moi : pourquoi tu dis ça ?
Moha : parce que tu m'as raconté ta vie, tu me parles de ce qui te fais mal et au lieu de t’aider je prends la fuite
Moi : c'est pas grave
Moha : pour moi si... tu crois j'ai pas vu ou quoi ? depuis avant t'es posée à ta fenêtre les larmes aux yeux, tu crois que je te vois pas tous les soirs depuis que t'es arrivée ? toujours le même rituel, de 2h a 7h du matin accrochée à la fenêtre, tu fumes comme un pompier, tu crois que le soleil va faire fuir tes cauchemars ?
Il me regardais maintenant en face, dans les yeux, j'ai voulu les baisser mais il a pris mon menton entre ses mains et a soulevé ma tête...
Moha : tu peux fuir autant que tu veux, mais moi t'y arrivera pas !
Moi : pourquoi...
Moha : quoi pourquoi ?
Moi : pourquoi tu fais ça ?
Moha : je t'ai dis, ces yeux ils me rendent fous, je sais pas encore si c'est parce qu'ils sont à moitié morts ou parce qu'ils cherchent à vivre encore...
J'ai souri, c'était une belle phrase, de sa part je m'y attendais pas, mais c'était vrai, même moi je savais pas si j'attendais quelque chose de la vie, ou si j'attendais que la mort vienne me prendre, c'est pas facile d'être seule à cet âge là, de se rendre compte que notre vie ne tiens à rien et que les seuls souvenirs qu'on en a, c'est des cauchemars, j'avais la trouille de fermer les yeux, de peur de me réveiller et de voir que cette vie loin de mon père était un rêve, ou encore pire, de me réveiller et de voir que cette vie loin de mon frère était réelle...
C'était un sentiment assez difficile à décrire, mais j'étais mal dans ma peau, pourtant à me voir on aurait jamais dit, j'étais assurée, au max même si vous voulez savoir, mais si vous aviez eu la chance de pouvoir lire ce que Moha arrivait à lire dans mes yeux, vous auriez su, vous auriez tout de suite compris ce que lui a de suite compris.. ce que lui a compris alors que des dizaines d'autres ont regardé ces yeux sans même apercevoir une miette de tout ce qu'ils cachaient...
Moha : et ce sourire aussi il me rend fou... parce que c'est un truc fou qu'une fille forte comme toi puisse sortir un sourire aussi fragile...
Moi, j'étais perdue dans ses yeux, entre la réalité et le rêve, j'écoutais ce qu'il me disait sans vraiment écouter, on était toujours derrière la porte, dans l'entrée, alors j'ai tenté de refaire surface et je me suis dégagée de lui et suis allée m'assoir près de la fenêtre...
Moha : ça fait combien de temps ?
Moi : hein ?
Moha : ça fait combien de temps que t'as pas dormi ?
Moi : je dors, t'inquiète pas...
Moha : je parle d'une vraie nuit, pas d'une ou deux heures de sommeil...
Moi : je sais pas, trop longtemps, je sais même plus ce que c'est que de dormir vraiment Moha
Moha : t'as peur ?
Moi : peur de quoi ?
Moha : de dormir ?
Moi : oui
Et là, il a fait un truc de fou.. il est parti dans ma chambre, il a ramené une couette et il s'est assis, il a tapoté le canapé a côté de lui...
Moha : vient, allonge toi, pose ta tête sur mes jambes, couvre toi et je vais rester là, si y a heja, je te protègerai
J'ai souri, je savais pas quoi dire, mais j'avais cruellement envie de dormir alors j'ai écouté ce qu'il m'avait dit, il me caressait les cheveux, il regardait les clips, wAllah, pire qu'un drogué, il chantait toutes les musiques, il arrêtait pas de bailler, il était fatigué lui aussi..
Moi : si tu veux rentrer dormir, rentre, t'inquiète pas pour moi
Moha : et toi t'inquiète pas pour Moha, il sait dormir assis s'il faut, alors laisse Moha prendre soin de sa princesse pour qu'elle fasse de beaux rêves...
Il a mis la main sur ma bouche comme pour me demander de me taire.. J’étais bien, il m’avait dit que j’étais sa princesse, je ne savais pas quoi dire alors le fait qu’il ne veuille pas que je réponde me convenait à moi aussi, jamais à part mon frère quelqu’un m’avait appelé par ce surnom aussi doux… A mon réveil, j'étais toute seule sur le canapé, au moment de me lever je me suis rendue compte, à temps, que j'allais l'écraser, il avait surement dû, dans la nuit, se lever et se faire un petit lit sur le tapis à mes pieds, il était torse nu, maaaaaa qu'est-ce qu'il était mignon quand il dormait, un sourire s'est dessiné sur mon visage au moment où il a ouvert les yeux, il avait l'air d'un bébé, c'était fini, il n’était plus quelconque à mes yeux, il n’avait plus le regard mauvais, il a sourit :
Moha : Moha veut un cacao, si sa princesse veut bien lui faire et si elle a bien dormi...
Je me suis levée pour lui faire, j'étais encore fatiguée mais j'étais déjà mieux que la veille, il s'est assis sur le canapé après s'être nettoyé le visage...
Moha : euh.. t'as pas vu mon t-shirt ?
Moi : euh.. non...
C'était gênant, j'avais jamais vu un autre homme que mon frère aussi dénudé, et visiblement il avait l'air tout aussi gêné que moi, j'avais voulu lui dire que c'était lui qui devait savoir où il était puisque moi quand je me suis endormie, il était encore tout habillé, mais j'ai rien dit, je savais pas comment le prendre, si c'était le genre de type à prendre avec des pincettes, ou celui avec qui tu pouvais déconner à n'importe quelle heure, je me suis rapprochée de lui, mon café et son cacao dans les mains, j'ai tout posé et j'ai ramené de quoi manger…
Moha : waaaa des msemen...
Moi : oui, je les ai fait hier un peu avant que t'arrives...
Moha : le rêve wAllah
Moi : il te faut juste des msemen pour rêver, c'est bien mdr
Moha : non, pas que ça...
Moi : alors il te faut quoi ?
J'avoue, je jouais avec le feu, j'avais envie qu'il me dise que je devais être là pour qu'il puisse rêver, mais Moha c'est un homme, et je sais d'après mon frère que voilà, un homme ça dévoile rien...
Moha : pour rêver il me faut une bonne nuit, un bon sujet pour un rêve et un réveil doux avec un cacao et des msemen au miel...
Moi : tu rigoles, t'as bien dormi sur ce tapis ?
Moha : j'ai dormi sur une planche déjà, alors un tapis c'est le luxe...
Moi : cabane ?
Moha : ouai, presque 2 piges... stupéfiants de merde wAllah, le sheitan est grand
Moi : mais Allah l'est encore plus...
Moha : oui, mais il m'en aura fallut du temps pour m'en rendre compte, le sheitan il est partout tu vois, on peut le toucher, le boire, même le manger si on mange du porc ou heja pas hallal alors que Allah, il faut avoir la foi, aujourd'hui hamdoulilah j'ai repris le droit chemin...
Moi : hamdoulilah...
Il a fini de manger et il s'est allongé à son tour, sa tête sur mes jambes, il a fermé les yeux, j'aurais trop voulu être à sa place parce qu'il avait l'air de kiffé le moment présent, chose que j'avais du mal à faire alors j'ai commencé à caresser ses cheveux, comme lui m'avait fait la veille, je me suis perdue dans mes pensées... en me reconnectant au monde il avait les yeux ouverts, il était toujours dans la même position, profitant de mes caresses, il m'a sourit...
Moha : tu vois tu peux ...
Moi : hein ?
Moha : tu vois tu peux rêver !
Moi (en rigolant) : qui te dis que j'étais entrain de rêver ?
Moha : parce que toi et moi on est pareil ! On dit rien on se tait toujours, on est l'eau qui dort et qui fait mal quand elle se réveille, on parle peu mais quand on parle on a le dernier mot, on est fort parce qu'au fond on est trop faible, on le montre à personne mais on peut pas ce la faire à l'envers à nous, surtout toi à moi, tes yeux ils mentent trop aux autres mais moi j'lis dedans, hoooo regarde pas trop les miens là !
Moi : pourquoi, t'as peur que moi aussi je lise dans les tiens ?
Moha : ouai, tranquille, jardin secret quand même respecte un peu !
On a rigolé ! Il avait de sacrés yeux, tous noirs, avec de très longs cils, une petite cicatrice à l'arcade et une sur la lèvre, j'avoue je l'ai regardé sous toutes les coutures, il était bronzé, en même temps on était au mois de juillet, l'était-il toute l'année je ne savais pas, mais il était beau simplement, avec une petite barbe de trois jours, une dentition parfaite, pour un gars sérieux c'est rare, mais finalement le gars quelconque que je décrivais, prenais de la beauté à mes yeux...
Moha : j'suis beau hein ?
Moi : et voilà, ça va les chevilles ?
Moha : hamdoulilah, j'suis couché, ça peu que bien aller !!
Moi : mdrrr
Moha : tes yeux ?
Moi : oui quoi mes yeux ?
Moha : ils sont quelle couleur ?
Moi : ah, ils sont gris
Moha : mashaAllah...
Il n’a plus rien dit d’autre, je ne sais pas si c’était pour profiter de mes caresses dans ses cheveux, ou si c’était par peur de gâcher l’instant présent, je dis pas que j’étais entrain de tomber amoureuse, parce que je pense que tomber amoureuse ne se fait pas en 24h tout comme Rome ne s’est pas construise en un jour, mais j’étais bien moi aussi à le câliner, ça faisait longtemps que je n’avais pas pris soin de quelqu’un, et dans une vie, peu importe que ça soit la tienne ou la mienne, on a tous besoin de prendre soin de quelqu’un, ça donne un sens à la vie, avant je prenais soin de mon frère, et lui de moi, donc on avait concrètement besoin de personne d’autre, mais là, je ne l’avais plus, j’étais callée dans mes pensées, il me manquait sincèrement, j’avais une adresse fixe maintenant, il fallait que je m’enfonce un peu plus dans cette vie, que je la consolide comme je le pouvais afin de reprendre au plus vite contact avec lui, Moha s’endormait, je sentais sa respiration devenir de plus en plus lente et de plus en plus lourde, je continuais mes câlins, instinctivement… Il a fini, une heure plus tard par lever la tête, j’étais toujours au même endroit, toujours entrain de lui faire des câlins… j’avais l’impression qu’il voulait me demander quelque chose, je priais pour qu’il ne me demande rien de plus sur ma vie, sur mon frère ou sur ce que j’avais pu traverser, je ne sais pas si je trouverais la force de lui répondre sans avoir à m’effondrer en larmes devant lui…
J’entreprenais alors de commencer moi-même une discussion, et comme je ne savais pas quoi dire, j’ai voulu poursuivre sur la discussion d’avant…
Moi : Merci Moha
Moha : mais de quoi ?
Moi : par rapport au compliment sur mes yeux…
Moha : ahhh c’est rien Diya, c’est que la vérité…
Moi : merci quand même
Moha : au fait…………..