Il faisait beau et chaud ce jour où j'ai enfin osé détourner mon regard du banc et le poser vers l'allée qui menait, au bout à droite, à sa tombe.
Au loin, je voyais Khalid se tenir debout près de la tombe, les paumes vers le ciel, les yeux fermés.
Je pouvais sentir sa tristesse de l'endroit où j'étais.
J'avais mal au coeur, très mal au coeur, les deux hommes que j'aime étaient près de moi, l'un que je peux voir et toucher, et le second que je ne peux plus qu'imaginer.
Je n'osais pas descendre mon regard vers le sol, j'avais trop peur de le laisser se poser sur cette pierre qu'on avait faite ériger pour Mohamed.
Une peur immense m'a envahie, elle était si intense que je n'ai pu retenir ni mes tremblements ni mes larmes, je sanglotais en silence comme si le moindre bruit allait révéler ma présence.
Mes jambes étaient tétanisées, elles ne voulaient plus m'écouter et s'étaient comme figées dans le sol, refusant de me faire avancer et pourtant, tout au fond de moi, c'est ce que je voulais le plus, avancer, pouvoir moi aussi diriger mes paumes vers le ciel et prier, encore et encore.
J'ai fermé les yeux, dans l'espoir que tout ça s'arrête, mais même les yeux fermés, je me sentais comme entrain de rendre l'âme.
J'ai été tirée de ma torpeur par Khalid qui récitait le Coran comme jusqu'ici je ne l'avais entendu le réciter, les larmes cisaillant sa voix roque de chagrin, et en rouvrant les yeux, il me regardait les yeux brillants, un sourire sur les lèvres, comme pour m'encourager à avancer vers lui, mais surtout vers eux...
C'est à ce moment là que subitement mes jambes se sont mises à avancer, alors que jusque là elles refusaient ne serait-ce que de faire un seul pas, tout droit vers Khalid, tout droit vers Mohamed.
J'y étais arrivée.
Enfin. Il m'aura fallut 18 jours. 18 longues après-midi.
C'était un combat contre moi-même, contre tous ces sentiments qui se débattaient en moi, contre cette colère contre moi-même que j'éprouvais sans arriver à la mettre de côté, elle me dominait, et bien plus que ça : elle dirigeait ma vie depuis ma plus tendre enfance et seule près de sa tombe, j'ai enfin pu lui dire Adieu.
Elle s'est évaporée au moment même où je posais mes yeux sur la tombe de Mohamed et n'est, depuis, plus jamais revenu me hanter.
La colère dirige la vie de bien trop de gens, mais cherche-t-on à comprendre pourquoi la colère nous dirige, ou cherche-t-on à se trouver des excuses lorsqu'elle répond pour nous ?
Je me suis bien souvent trouvée un tas d'excuses, mon enfance difficile, mes parents qui n'en n'ont jamais été, mon adolescence hors normes, un frère qui me manquait, ma vie de femme sitôt mariée sitôt veuve, ma vie de mère au bord du gouffre, ma vie tout court, certainement.
J'ai passé bien plus de temps à me chercher des excuses qu'à vivre vraiment ma vie, et désormais ce n'est plus le cas, il y a d'ailleurs quelques temps que ce n'est plus le cas, et le premier pas vers cette nouvelle vie de femme libre a été de reprendre contact avec mes demi-frères et soeurs, qui aujourd'hui font partie intégrante de ma vie et qui la rendent d'autant plus magnifique.
Le second a été d'essayer de pardonner à ma mère, même si ce combat là n'est pas gagné d'avance, la colère m'a quitté et l'espoir m'a gagné, j'ai l'espoir qu'un jour, même si elle a été une mauvaise mère pour mon frère et moi, j'ai l'espoir qu'elle sera une grand-mère en or massif, et qu'à travers mes enfants je pourrais voir une étincelle de cette mère qui m'a beaucoup fait défaut.
J'avais déjà commencé un combat sur cette colère qui rugissait de plus bel au fond de moi et me bloquait, pour enfin lui dire Adieu, comme toujours, en m'améliorant au « contact » de Mohamed, Allah y Rahmou.
Me rendre sur la tombe de mon défunt mari a été le troisième pas vers ma libération, Mohamed, celui sans qui rien de tout ça ne serait arrivé, celui sans qui Kaylissa ne serait pas là, et celui sans qui je ne serais probablement pas celle que je suis.
Je vous ai souvent dit à quel point il avait été vital à ma vie, à quel point, si je ne l'avais pas rencontré, j'aurai eu cette sensation d'avoir raté le coche, son coche, et bien je le répète encore aujourd'hui.
S'il fallait que je revive ma vie, je la revivrais, rien que pour revivre la première fois où il a posé les yeux sur moi et qu'il a instantanément découvert la personne que j'étais et que je ne voulais plus être, la première fois où il m'a embrassé, me volant ma pudeur par amour, et même si revivre ces premières fois impliquerait de revivre la maladie, la peur, l'angoisse, la douleur de le voir avec une autre mais aussi sa mort, je serai prête à signer. « Allah est grand, Il sait ce qu'Il fait, et quelle personne Il nous destine, Il a mélangé un peu de ma mère, de mes sœurs et de mes frères, un peu de moi et un peu de ciel pour te créer toi. »
Je l'entends à nouveau me prononcer ses voeux, le soir de notre nuit de noce, une coutume qui ne fait pas partie du mariage oriental mais qui lui tenait à coeur, il était debout devant moi, me tenant la main arborant l'alliance qu'il venait, quelques heures avant, de me glisser à l'annulaire, et me regardait droit dans les yeux.
Allah est grand, puisqu'Il l'avait mis sur ma route.
« J'ai rien préparé Diya, je te parle à coeur ouvert, parce que toi et moi maintenant c'est pour la vie, il faut que tu saches que seule la mort nous séparera, et que je ne suis pas sûr que même la mort puisse un jour me séparer de toi. »
Je me revois, face à lui, laissant les larmes couler sous l'effet de si belles paroles, serrant sa main plus fort, espérant encore plus fort qu'il ait raison, que même la mort ne pourra me séparer de lui et... il avait raison. La mort n'aurait rien pu y faire car je n'ai jamais cessé de l'aimer ou de le chérir depuis.
« Arrêtes de pleurer Omri, tu es ma femme maintenant, et j'te promets que je laisserai plus personne te faire pleurer, j'te promets que je ne serai plus jamais la cause de tes larmes de peine, juste de celles de joie »
Je me souviens m'être secrètement dit qu'il avait déjà changé la donne, qu'il me faisait, dès le premier jour de notre mariage, pleurer de joie, et que j'étais même prête à verser des larmes de joies jusqu'à créer un nouvel océan, tant qu'il était à mes côtés.
« J'ai pas juste accompli la moitié de mon Dîne en t'épousant Diya, j'ai accompli bien plus, tu es l'accomplissement de ma vie »
Et je me maudis de n'avoir jamais su répliquer à chacune de ses paroles comme je le fais là, ce soir là, j'étais restée muette, j'espère que mon coeur, si transparent pour ses yeux, lui a révélé toutes ces choses que je n'ai pas dites mais que je pensais, la voix m'a fait défaut au moment où mon coeur aurait souhaité hurler.
Cela a souvent été le cas avec Mohamed et un jour, sur sa tombe, je lui ai promis que désormais je laisserai mon coeur hurler, même s'il devait déclencher tempête ou canicule.
Il n'y a, depuis sa mort, pas un seul jour où je ne laisse pas un bout de mon coeur vivre au passé pendant que le reste vit au présent.
Rien ni personne ne pourra rien contre ça, et même la mort n'y peut rien et n'y pourras jamais rien.
L'amour, le vrai, transcende tout, et je le remercie de m'avoir appris ce qu'est vraiment l'amour, même s'il me l'a appris à ses dépens.
Je le remercie d'avoir mis un homme aussi bon que lui sur ma route et de m'avoir rendue meilleure pour lui.
C'était tout Mohamed : rendre meilleurs les gens pour leur faciliter la vie et leur permettre d'être heureux vraiment avant de tirer sa révérence...
Allah y Rahmou
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Cette partie je voulais te la dédier à toi, mon amour, pour cette ultime chance que tu m’as donnée, à tes côtés, tout me semble facile alors que sans toi, tout me semble trop fragile.
Merci de m’avoir épaulé, de m’avoir soutenue, de m’avoir laissé raconter cette histoire, de n’avoir jamais fait preuve de jalousie envers l’amour que je porte à Mohamed et qui ne se taira jamais.
Merci de n’avoir jamais demandé à prendre sa place, merci d’avoir attendu patiemment que je t’en créée une, merci de n’avoir jamais voulu que je l’oublie et merci de lever ta tête parfois vers le ciel et de lui dire « Akhi, les tiens sont les miens, et les miens sont les tiens ».
Merci de me parler de lui les yeux rougis, merci à toi aussi de ne pas l’oublier et merci de me comprendre, de me tirer chaque jour encore plus haut, merci de m’avoir laissé le temps de t’aimer de la seule façon que je connaisse : éperdument et sincèrement.
Merci d’être un homme, un époux et un père aussi formidable, de me faire rire et hurler de joie, d’avoir rempli ma vie de sourires et ma maison de chahut d’enfants.
Merci tout simplement d’avoir fait de ma vie un conte de fées…
Moi qui ne rêvais plus, merci de m’avoir rendu mes rêves…
Je t’aime.
*** A ma dernière et troisième chance *** *** A vous, aussi… ***