Lamia était assise à ma gauche et tenais Samir, le fils de sa sœur Samia, qui avait approximativement le même âge que Bilel, le fils à Tissem.
Tissem était assise en face de moi et discutait avec nous.
Nouria avait laissé ses enfants chez Khalti, et papotait dans son coin avec Sara, la nouvelle venue dans la famille, la seule qui avait réussi à voler le cœur de Djibril.
Nourredine et Mehdi arrivèrent à leur tour quand nous venions de commencer notre deuxième café.
Personne ne savait vraiment pourquoi nous nous étions tous réunis d’une manière aussi pressée. Seule Sou savait.
Moi : ces derniers temps ont pas été faciles… alors j’ai décidé de partir m’installer au Maroc, avec Khalid et les enfants
J’ai dit ça d’une traite pendant que mot après mot, les autres me regardaient avec insistance.
Mehdi : tu vas quitter Marseille ? Nadir : alors que je viens de m’installer ici ?
Ils avaient l’air dépités.
Moi : j’ai la sensation qu’il faut que je m’en aille, et le plus vite sera le mieux, j’ai… c’est pas un choix très réfléchi je l’avoue, mais je suis convaincue que c’est le bon…
Je bafouille, j’ai du mal à me convaincre moi-même.
Je suis très attachée à la ville de Marseille, pour les raisons que vous savez, désormais, très bien, mais je suis certainement plus attachée à mon mari qu’à tous ces poids du passé qui, je le trouve, pèsent parfois trop lourds dans mes bagages.
J’ai dû pas mal batailler pour avoir leur approbation, même si au fond, je n’en avais rien à foutre de l’avoir ou non.
Nadir : Diya ?
Je n’avais pas vu ni même sentie que mon frère m’avait rejoint sur le balcon.
Moi : oui ? Nadir : ça va pas ? Moi : pas trop… Nadir : tu sais c’est normal, un cambriolage, c’est pas rien Moi : je sais… Nadir : c’est avec Khalid que ça ne va pas ? Moi : ça va sans aller tu comprends ? il est loin… Nadir : j’ai trouvé ça curieux, enfin, on a tous trouvé ça curieux qu’il revienne pas après ce qui c’est passé Moi : on s’est disputé, il a fait le choix de ne pas rentrer, et ça m’a fâché parce qu’au delà de me punir moi, ça a puni les enfants Nadir : je comprends Moi : on fait pas de mal à mes enfants, même s’il s’agit de leur père Nadir : t’es encore en colère Diya, tu crois que c’est une solution de partir ? Moi : c’est pas non plus une solution que de rester, ça risque d’envenimer les choses, au moins là bas je serai face à lui, on aura cas se crier dessus tous les jours, mais au moins mes enfants ne seront pas privés de leur père sous prétexte que leurs parents sont en désaccord Nadir : c’est comme tu voudras, d’ici quelques semaines, on viendra vous voir avec Bella Moi : ça marche, j’espère que j’agis comme il se doit Nadir : jusqu’à présent t’as toujours agis comme tu le sentais, et ça t’as toujours très bien réussi petite sœur, alors si t’as du mal à croire en toi, moi j’crois en toi, et ça va aller
C’est ainsi qu’en plein milieu du mois du ramadan, j’ai pris l’avion, avec enfants et bagages et suis partie rejoindre un mari qui, depuis notre dispute, ne m’avait plus donné signe de vie si ce n’est pas intermédiaire afin de savoir comment allaient les petits.
Ca ne présageait rien de bon, mais je ne sais que trop bien que dans la vie, rien n’est acquis ni tout rose.
Je suis arrivée lorsqu’il était déjà parti au travail.
Ce qu’il avait accompli dans notre maison était juste à couper le souffle : une décoration simple, un salon marocain contemporain.
Je n’ai eu aucun mal à me sentir chez moi.
Il y avait très peu d’objets personnalisés, la raison en était simple, il vivait ici seul, loin des siens, cette maison n’avait pas encore pu accueillir les souvenirs nécessaires pour en faire un chez soi digne, il n’y avait pas de photos de nous, il n’y avait pas l’odeur de notre famille, juste la sienne, et cette odeur m’a enivrée, dès l’instant où j’ai posé le premier pied dans cette maison, qui désormais, est mon nouveau chez moi.
Les petits s’y sentaient bien, ils avaient l’air heureux, ils couraient partout, fouillaient dans la maison, découvraient leurs nouvelles chambres avec folie et éclats de rire, ils découvraient l’immense jardin, avec cette magnifique terrasse et cette piscine creusée.
Je les regardais, béatement, en silence.
Il y avait bien longtemps que je ne les avais pas vu aussi heureux, et pourtant, les enfants sont toujours heureux, du moins, j’en étais convaincu jusqu’à ce que je m’aperçoive, en les regardant encore et encore, que ces derniers mois, je n’avais pas pu lire ce bonheur sur leurs visages, tout simplement parce que le bonheur ne faisait plus partie de leurs vies.
Je les laissais jouer pour appeler notre famille et les prévenir de notre bonne arrivée puis je m’afférais en cuisine, et enfin un sentiment qui m’était presque devenu inconnu : je cuisinais à nouveau par plaisir, et non par besoin, ce qui avait toujours été le cas, avant…
Un seul être vous manque et c’est le monde qui est dépeuplé.
J’avais de suite remarqué, en entrant le matin même, le cendrier qui jonchait la table du salon, rempli de mégots, à ras bords.
J’imaginais alors que Khalid vivait tout aussi mal que moi ces dernières semaines. J’avais fumé, moi aussi, peut-être pas autant que lui, mais j’avais aussi beaucoup fumé.
Lorsque nous allons mal, ce sont toujours les mauvaises habitudes qui reviennent au triple gallot.
Il était maintenant 11h, je ne savais pas à quelle heure il allait rentré, mais tout était prêt, j’avais pu vider les valises des enfants, et la mienne, j’avais pu faire à manger, et faire un brin de ménage pendant que les enfants couraient dans le jardin.
Cachée par la véranda, toujours un œil sur les enfants, j’allume une cigarette.
Je repense à tout ce que j’ai traversé, seule ou accompagnée, à toutes les épreuves qui ont été mises sur ma route et que j’ai, parfois envers et contre tout, surpassées.
Je repense à mon enfance, à tout ce que je n’ai pas eu, et à tout ce que, Al Hamdoulilah, j’ai pu et pourrais offrir à mes enfants, je compare souvent nos vies, malgré moi, je ne les jalouse pas, je m’attèle juste à ce qu’ils ne vivent jamais ce que j’ai pu vivre, ce qu’on m’a forcé à vivre.
Je repense à mon frère, de qui j’ai été très, voire trop longtemps séparée. L’amour que je lui porte n’a pas de nom, ni de signification, ni même d’équivalent, je n’ai jamais eu que lui à qui porter de l’amour, et puis, même si au début cette idée me faisait froid dans le dos, j’ai surement un jour dû aimer ma mère et mon père, je n’ai pas pu, avec mon cœur d’enfant, les détester comme j’ai pu les haïr avec mon cœur d’adulte.
Cette idée me fait toujours aussi froid dans le dos, d’autant plus qu’il n’y a eu qu’avec nous qu’elle s’est comportée de la sorte, avec ses autres enfants, elle a l’air d’une mère plus que correcte, ce qui laisse encore une trainée de questions dans le sillage de cette femme, questions qui ne peuvent malheureusement trouver solution que par une seule et unique réponse que je n’aurais sans doute jamais la chance de la voir courageusement me la donner.
Trop longtemps j’ai été faible, trop longtemps je me suis sentie démunie face aux coups que me réservait la vie, et puis j’ai fini par rencontrer Mohamed, Allah y rahmou, qui m’a aidé à me sentir forte, qui a révélé une personne que je ne soupçonnais même pas être et puis il est parti.
J’ai longtemps cru qu’il était parti avant d’achever sa tâche, mais j’ai compris avec le temps qu’il était parti au bon moment, au moment où Allah avait besoin de lui, ce qui voulait dire qu’à ce moment là, c’est moi qui n’avais plus besoin de lui.
C’est dur de réparer un cœur brisé, même terriblement dur, d’ailleurs, est-ce qu’on y arrive vraiment ?
Je n’en suis pas sure, et à vrai dire, encore moins en écrivant ces lignes, je crois qu’on ne répare jamais un cœur brisé, on reconstruit par dessus les ruines, en espérant que ça tienne assez longtemps, que notre construction sera assez solide, en espérant la voir traverser le temps.
Ce n’est qu’en entendant les enfants crier et sauter partout que j’ai tourné la tête pour apercevoir un Khalid dubitatif accoudé à la baie vitrée donnant sur le jardin.
Il avait maigri, et rien que cette vue de lui me faisait frémir. Il avait l’air aigri, les sourcils froncés, une ride bien énervée au milieu du front, et les veines de ses tempes gonflées à bloc par la colère.
Khalid : pour combien de temps ?
Moi : comment ça, pour combien de temps ?
Khalid : ne fait pas semblant de ne pas comprendre ma question
Moi : pose là mieux alors
Khalid : combien de temps vous allez rester ici, juste assez de temps pour que je m’habitue à vous ici, donc juste assez pour me détruire quand vous partirez, ou pas assez de temps pour que je puisse m’y habituer ?
Moi : on ne repartira pas, ou plus, oui, c’est ça, on ne repart plus, c’est cette réponse qui convient le mieux à ta question
Khalid : et l’école ?
Moi : il y en a de très bonnes aux alentours
Khalid : et Marseille ?
Moi : ça pourrait devenir notre nouvelle destination pour les vacances
Khalid : et notre famille ?
Moi : notre famille est ici Khalid, quant à ma famille, et à la tienne, ils viendront ici et on ira là bas, on s’accommodera
J’avais réponse à toutes les questions qu’il allait poser, du coup, il n’a rien dit de plus, il a passé toute l’après-midi à jouer avec les enfants, après avoir dégusté un bon repas au cours duquel j’avais mis les petits plats dans les grands.