Dès que Ryad a prononcé ce prénom, je l’ai trouvé magnifique, si symbolique, c’était tellement TOUT, tellement Mohamed que je ne su quoi lui répondre d’autre à part de le serrer dans mes bras, puis je me tordis de douleur, d’un coup, car ma princesse m’avait envoyé le plus beau coup de pieds jamais donné jusque là et j’ai compris que ma petite Kaylissa avait elle aussi choisit.
Toute la famille trouvait ce prénom parfait, mon frère rétorqua même « J’me vois déjà l’appeler Kay ».
Ah mon frère… il m’avait tant manqué !
Je savais, de part le fait de m’entretenir tous les jours avec lui au téléphone, qu’il venait tous les jours chez Khalti depuis mon départ et qu’il s’était fait également une place parmi eux et j’en étais très heureuse.
J’allais sortir de la pièce lorsqu’il m’attrapa le bras…
Nadir : Diya, on peut parler ?
Moi : oui, vas y ?
Nadir : non, j’veux dire… toi et moi… j’t’emmène manger ma bagra
Quand nous étions plus jeunes, comme on avait pas le sou, on allait au supermarché prendre du pain, du thon à la tomate et du maïs et on pique-niqué dehors.
Ce jour là, on a fait la même, après avoir fait nos emplettes, on est allés s’échouer dans un parc, cette fois-ci sur un plaid et pas comme à l’époque, à même l’herbe.
Nadir : tu te rappelle, comme à l’époque ?
Moi : ouai, j’me rappelle, et toi tu te rappelle le jour ou j’avais avalé un maïs de travers et que j’avais failli mourir geh ?
Nadir : de suite t’abuse ! mdr ! et toi tu te rappelle quand je t’envoyais draguer des meufs pour moi et qu’une fois t’avais collé une gifle à une des filles ?
Moi : ouai, j’me rappelle !
Nadir : tu m’avais jamais dit pourquoi ?!
Moi : sah ? bah elle m’avait dit que t’étais moche cette conasse !
Nadir : ma petite sœur la guerrière ! tu devais avoir 8 ans j’crois non ?
Moi : ouai, c’était quelques jours après que maman soit partie
Nadir : ouai…
Moi : Nadir ?
Nadir : oui ?
Moi : tu voulais me dire quoi, je sais que tu m’as pas emmené ici pour ressasser le passé et tout, alors va droit au but, n’oubli pas que j’ai plus 15 ans, je… j’suis grande maintenant !
Nadir : j’le sais… je voulais juste passer du temps avec toi, tu pars demain j’te rappelle… et j’te rappelle que tu veux pas que je vienne te voir là bas… J’voulais m’assurer que tu vas bien, que c’est pas trop dur la vie à Marseille, qu’il prend soin de toi…
Moi : tu sais… depuis toujours il a été là pour moi, même quand Moha était là, tu le verrais… il se pli en quatre pour moi, et j’me sens véritablement mieux à Marseille.
Nadir : tu me dis, si tu veux que je viennes t’y rejoindre, wAllah je viens, en attendant, je bouge pas d’ici, j’te l’ai promis… tu me manques Diya, mais j’veux ce qu’il y a de mieux pour toi…
Moi : je dis pas que c’est facile parce qu’en sah j’me suis déjà perdue plein de fois, je connais presque personne là bas et tout, sans mentir, j’ai déjà eu envie de revenir ici trop de fois, mais c’est trop tôt et lui tu vois, il trouve les mots qu’il faut, il m’a toujours remis sur le bon chemin…
Nadir : et pourquoi Marseille ? on est des parisiens bordel !
Moi : je sais mdr ! Marseille parce que c’était la ville où Mohamed aurait toujours voulu vivre… c’est tout ! je voulais que mon enfant ait le même amour pour cette ville que son père, qu’ils aient au moins ça qui les lie…
Nadir : t’es forte ma sœur, mashaAllah
Moi : Nadir ?
Nadir : oui ?
Moi : il m’a dit qu’un jour je serai heureuse, t’y crois vraiment ?
Nadir : bien sûr ! le jour où Kaylissa sera là, crois moi, ton bonheur sera complet !
Moi : même sans… Mohamed ?
Nadir : même sans lui, parce que Kaylissa jouera le même rôle que celui que tu as joué pour moi !
Moi : c’est à dire ?
Nadir : j’avais juste à te voir pour réussir à tenir debout et à sourire, j’avais besoin de rien d’autre à part toi, et toi non plus t’auras besoin de rien d’autre à part d’elle…
Il commençait à faire frais et ça faisait quelques heures que nous étions désormais partis de chez Khalti et il me fallait rentrer car je ne voulais pas tomber malade car être malade en étant enceinte, c’est vraiment pas le top.
Le reste du week-end passa assez rapidement et je rentrais seule sur Marseille, sans lui, qui voulait encore un peu profiter des siens.
Cette semaine passée sans lui fut une véritable épreuve pour moi qui n’avait véritablement jamais été seule depuis le décès de Mohamed.
Je me sentais seule, en manque de lui.
En manque de qui me diriez-vous, et bien, de eux, on va plutôt dire ça comme ça.
J’ai passé mes journées sur la plage du Prado et de ce fait suis devenue une accro du Patàcrêpes où je passais de longues journées, seule, avec comme paysage la mer et mon bidon qui ne cessait de grandir.
Parfois, quand un couple avec un enfant en bas âge passait devant moi, je me surprenais à sourire puis la seconde d’après à pleurer comme une madeleine. Je les enviais, oui, car j’avais toujours voulu ressembler un jour à ce tableau si magnifique, mais désormais ce n’est plus possible, car jamais je ne pourrais me retrouver ici, avec mon mari, tenant sa main, et tenant celles de notre fille, en la faisant balancer d’avant en arrière, face à la mer…
Seule, je ressasser beaucoup, je ne voyais plus ce qui était possible ou faisable, je pensais uniquement aux choses que je ne pourrais accomplir en sa compagnie, aux choses que j’aurais tant voulu faire mais que jamais je ne pourrais faire…
Parfois, je m’asseyais au bord de la mer, laissant l’eau venir jusqu’à mes pieds, je me sentais libre et c’était le seul instant seule que j’appréciais, je voyais l’infinité de la mer devant moi, l’infinité de celle qui me sépare de l’homme que j’aime, et c’était le seul moyen pour moi de me sentir libre et non emprisonnée par cette vie qu’au fond, je ne voulais pas vivre…
Ce n’est pas ça dont je rêvais, non, ce n’est pas ça que j’attendais de la vie…
Une bonne semaine après mon retour, il revint enfin à Marseille et j’étais allée toute heureuse le chercher à la gare.
J’en avais marre d’être seule, de me morfondre, je voulais à nouveau croquer la vie à pleine dent, et à ses côtés, cela me paraissait possible.
Je ne voulais pas que ma fille puisse ressentir le chagrin avant même d’avoir poussé son premier cri, je voulais qu’elle naisse dans un cocon, un vrai, et pas dans ce monde lamentable dans lequel je vivais, lorsque j’étais seule, depuis le départ de Mohamed.
Je voulais que Kaylissa apprenne à rire et à sourire avant d’apprendre à pleurer, je voulais la protéger de ce qui m’avait si profondément atteint et seule, je n’y arriverai pas, mais avec lui, j’avais l’espoir d’y arriver.
Lorsqu’il sortit du train et qu’il me vit, il s’approcha doucement avant de me prendre dans ses bras d’une façon plutôt vive et ambiguë, puis s’éloigna de moi brusquement, sans un mot.
Ce soir là, il n’a pas dormi à la maison, et le jour d’après non plus, ce n’est que le surlendemain qu’il fit à nouveau son apparition et qu’il demanda à me parler, d’une façon pressante, limite désobligeante.
Lui : faut qu’on parle
Moi : oui, je finis de faire à manger et on discutera à table
Lui : j’ai pas faim et on parle maintenant Diya, pas après
Moi : ok ok j’arrive, ça va pas ou quoi ?
Lui : Diya, je suis entrain de merder, j’peux pas, j’peux plus
Moi : tu peux plus quoi ?
Lui : faire tout ça…
Moi : je… je sais que j’ai beaucoup pris sans donner, j’le sais… mais…
Lui : j’vais m’en aller Diya, mais tu trouveras toujours un soutien, j’serai jamais bien loin d’accord, mais c’est plus fort que moi, j’y arriverai pas, je réussirai pas…
Moi : si tu t’en vas, moi, j’fais quoi ? et Kaylissa, qu’est-ce qu’on va devenir ?
Lui : Diya, je serai jamais loin de toi, ni d’elle, mais…
Moi : mais tu dois t’en aller ? c’est ça ?
Lui : j’ai essayé de prendre sur moi, de garder mes distances…
Moi : tu vas partir ? réponds moi
Lui : j’peux pas faire ça, c’est la famille !
Moi : tu vas partir ?
Lui : c’est au dessus de mes forces, j’ai trop d’respect
Moi : réponds la putain de ta race, tu vas partir toi aussi ? tu vas m’abandonner toi aussi ? toi aussi tu compte pas tenir ta parole ? toi aussi hein ?
Lui : j’ai trop de respect Diya, putain… pleures pas j’t’en prie
Moi : alors toi aussi ça y est… tu me lâches malgré tes promesses…
Lui : ça m’arrache le cœur wAllah, j’préfèrerai crever que de voir encore une larme couler sur tes joues, j’te l’ai déjà dit…
Moi : mais c’est ton départ qui les fait couler, je t’en supplie, si tu t’en vas, je… je…
Lui : rien Diya, tu t’en sortiras, parce que t’es une fille forte, sah tu pourrais soulever une montagne rien que par ta volonté, je serai toujours là quelque part, on sera tous là pour toi, et le jour où tu retrouveras un homme digne de toi et Kay, je serai là pour vérifier qu’il soit bon et je serai la même après Diya, surtout pour Kay…
Moi : alors rend moi un service
Lui : je t’écoutes ?
Moi : reste ici, ne perd pas tout ce que t’as construit ici, ta petite boîte qui ouvre bientôt, tout ça, t’en rêvait, alors ne gâche pas tout, je… j’vais m’en aller ouai, c’est à moi de m’en aller
Lui : t’es folle toi, reste ici, je.. j’trouverai un autre appartement, d’ici là j’irais à l’hôtel
Moi : NON !!!! J’m’en vais, j’aurai besoin de ma famille, j’aurai besoin de Khalti, de Tissem, de Sou, de Nouria, de Nour, de Sofiane, de Naouel, de tout le monde, j’aurai besoin de les avoir près de moi… Kaylissa en aura besoin… J’sais pas ce qui m’a pris de croire que… que les choses s’arrangeaient enfin…
Je pris mes clés et me sauva chez notre voisine. Une semaine après, j’étais de retour à Paris, chez Khalti. Sans lui.
Je suis enceinte de 7 mois, presque 8, mon ventre a bien grossi même si on dirait que je ne suis qu’enceinte de 5 mois, tout va bien, je n’ai pris que 4 kg, Kaylissa va bien hamdoulilah, elle a bien grossi aussi ma petite chérie et je me portes à merveille, elle bouge beaucoup mais c’est comme une berceuse qui apaise mon cœur.
Je reste de longues heures sur mon tapis de prière, soit pour prier, soit pour consulter Allah.
Même s’il avait fait le choix de me laisser, il restait très présent, il appelait souvent, et je lui envoyais chaque matin une photo de mon ventre et je me souvenais de nos soirées devant la télé, de notre arrivée à Marseille où nous ne parlions que très peu ensemble alors qu’avant le départ de Moha, on était proches, je me rappelle de la façon dont nous avions « repris contact » et je souriais rien qu’en y repensant.
Même si je savais que depuis le départ de Moha, beaucoup de choses avaient changées, et notre relation aussi.
On parlait de longues heures au téléphone et il avait acheté des tas de choses pour Kaylissa, des habits, un petit doudou magnifique, des petites ballerines roses et un petit transat vibrant tout rose, il m’envoyait toujours une photo de ses nouveaux achats par téléphone pour que je valide et le fait de ne pas nous voir nous permettait de « reprendre les choses là où nous les avions laissées ».
Nous rigolions beaucoup ensemble, et à vrai dire, c’était le seul avec qui j’arrivais à parler et à rire, avec les autres, je… c’était impossible.
Hassoul, j’étais donc chez Khalti, la plupart du temps cloitrée dans ma chambre entrain d’écouter du Coran et de raconter des tas d’histoires à Kaylissa, le reste du temps, j’étais entrain de prier ou je m’accordais une pause télé.
Je ne sortais que pour manger ou me laver, et personne n’avait essayé de me brusquer dans cette routine qui devenait de plus en plus sombre et mauvaise pour ma santé morale.
Personne ne voulait me déranger.
Personne ne prenait la peine de me demander comment j’allais, je le savais, pas par envie, mais par besoin, car nous étions tous dans le même bateau : sentir qu’une vie arrive alors que nous n’avions pas complètement appris à faire avec le décès de Mohamed s’avérait plus difficile que facile, même si nous pensions le contraire lors de mon retour.
De temps en temps, j’avais le droit à des questions pour savoir si Kay allait bien, ce n’est pas que je ne me sentais pas soutenue, mais je ne me sentais pas assez soutenue, je sais que j’en attendais peut être trop et encore une fois, je me devais de faire avec parce que je sentais que ce n’était pas encore le moment pour eux.
Je sais que ça devait être dur pour tout le monde, mais… non Diya, cesse de chercher des excuses, pour les autres comme pour toi, ce n’est pas qu’ils ne font pas les choses comme il faut, c’est juste qu’ils ne sont ni Mohamed, ni Lui…
Un soir, alors que nous discutions tous ensemble, autour de la table…
Tissem : Diya ?
Moi : oui Tiss ?
Tissem : il va revenir
Moi : qui ?
Tissem : Lui, je l’ai appelé
Moi : fallait pas
Tissem : on est inquiets pour toi Diya, mais pas que pour toi, pour Kaylissa aussi, et pour nous, te voir comme ça ça nous rend malheureux…
Moi : je.. j’suis heureuse, faut pas vous inquiéter, je… j’suis vraiment heureuse, je vais bientôt accoucher, je… j’flippe un peu parce que je suis destinée à vivre seule et à élever ma fille, sans rien avoir d’autre, je devrais… j’devrais m’en contenter, mais… Mohamed me manque… vraiment et… j’ai peur d’être un poids pour vous.. je… j’devrais vous aider parce que… c’est mon mektoub, pas le vôtre, et j’ai pas le droit de vous bloquer avec moi et de vous rendre tristes…
Khalti : ma fille… jusqu’ici on a rien dit, on voulait te laisser tranquille, mais il faut qu’on arrête tous de se mentir… tu te rappelles, je t’avais dit que tout était mektoub, et tu commences à peine à écrire ton mektoub, ma fille…
Lamia : on t’entend tu sais… le soir… tous les soirs tu pleures et tu racontes des histoires de prince charmant à Kaylissa, toutes les nuits, mais parfois tu ne pleures pas…
Samia : on te vois, quand on te croise, tu as tout le temps les larmes aux yeux, tout le temps, sauf parfois…
Tissem : quand tu lui parles à Lui…
Khalti : ton cœur l’a choisit, ton mektoub c’est lui aussi…
Moi : mais de quoi vous me parlez là, vous êtes toutes folles, vous me dégoutez à dire ça, qu’Allah me pardonne et que vous puissiez aussi me pardonner de vous traiter, mais…
Nour : khlass, on est pas fou, et toi non plus t’es pas folle ! bordel Diya, tu vois pas qu’on veut que ton bonheur ? et … c’est pour ça qu’on lui a demandé de revenir… pour qu’il fasse renaître la Diya qui est morte le jour où mon frère est parti…
Je me suis levée, abasourdie par ce que je venais d’entendre, me dire que je suis mon cœur a choisit un autre homme, et que depuis le départ de Mohamed je ne suis plus moi ?
Du grand n’importe quoi, certes je ressens de la reconnaissance, du dévouement envers lui, mais rien de plus !
Non je ne l’aime pas, non, ils n’ont pas honte de me dire ça alors que Moha est parti depuis à peine 5 mois ?
Comment osent-ils croire que j’ai vendu sa place sous prétexte que je rigole avec lui et pas avec eux ?
Comment osent-ils ?
Je claque la porte et m’effondre sur mon lit, mon seul remède désormais, c’est toi Kaylissa, je caresse mon ventre et tente de me calmer car tu ressens que Maman ne va pas bien, j’essai de te rassurer par ce petit mouvement circulaire et réussi de ce fait moi aussi à me calmer, lentement.
Mes larmes coulent en silence désormais, j’ai le dos contre le mur et les jambes allongées.
Khalti ouvre ma porte et en la voyant, j’essuie mes larmes d’un coup de manche, elle s’approche de moi, enlève son voile qu’elle portait sans relâche, même devant nous, depuis la mort de Mohamed, elle s’assoit à mes côtés.
Khalti : tu sais ma fille, ne crois pas qu’on fasse ça pour ton mal mais…
Moi : Yemma, comment tu peux laisser dire une telle chose ? j’aime Mohamed, jamais je ne l’oublierai ! jamais je ne le remplacerai !
Nos larmes coulent à l’unisson et Kay a cessé de bouger, comme si elle écoutait sagement nos paroles…
Khalti : on a jamais dit que tu avais oublié Mohamed, ni que tu l’avais remplacé, ma fille… le jour où Mohamed est parti, tu as achevé ta première vie, et le jour où tu as su que Kaylissa serait bientôt parmi nous, tu as commencé une seconde vie, celle que tu vie désormais. Tu auras toujours le même amour pour Mohamed, ce sentiment d’inachevé, ce goût amer en toi, mais cette tristesse sur ton visage, ce désespoir, ce n’est pas toi, tu nous as tous relevés, un a un, et quand tu as senti que tu devais partir pour nous permettre de nous en sortir par nous-mêmes, tu es partie, tu as toujours fait le bien autour de toi ma fille…
Moi : mais…
Khalti : tais toi et écoutes, ouvre lui ton cœur, c’est un homme bon tu le sais depuis longtemps déjà, et je suis sur que jamais mon fils, de la haut, Allah y Rahmou, ne l’aurait laissé s’approcher de toi et de Kaylissa s’il n’avait pas été digne d’être le deuxième homme de ta vie, le premier homme de ta seconde vie…
Je leva la tête et à ce moment là, Tissem, Samia et Lamia entrèrent dans la chambre, elles vinrent toutes les trois se joindre à nous et ensemble nous avons pleuré de longues heures.
On a parlé de tout et de rien, mais surtout de nos souvenirs avec toi Mohamed…
Tissem : tu sais, tu resteras toujours ma belle sœur, t’es une femme en or, t’es.. mon.. modèle
Lamia : notre modèle
Samia : vous vous êtes vraiment aimés, du plus profond de vos cœurs et… j’suis heureuse que ça ait été toi et pas une autre qui soit restée jusqu’au bout avec mon frère, qui ait traversé autant de choses avec lui, à ses côtés, à nos côtés, sans jamais faiblir, j’aurai pas pu rêver mieux que toi pour mon frère…
Khalti : et maintenant… c’est à nous de te rendre tout ce bien ma fille…
Lamia : soi heureuse wAllah, je veux que ton bonheur, je veux que ma nièce grandisse et je sais que tu seras une mère exemplaire, qu’elle vivra et connaîtra Mohamed grâce à toi
Moi : et à vous…
Lamia : mais maintenant, même si tu crois que c’est trop tôt, ou heja comme ça, ne crois pas, on voit tous, on a tous remarqué, à croire que vous êtes deux gros aveugles, si toi et mon frère c’était écrit, la preuve est que on peut se reconstruire, tu l’as déjà fait deux fois au cas où tu aurais oublié, et jamais deux sans trois, j’vous souhaite que ça soit votre dernière fois, j’vous souhaite de vieillir ensemble inchaAllah, j’vous souhaite tout ce que je t’ai déjà souhaité avec mon frère parce que… la famille… c’est tout…
Khalti : y a pas mieux que lui pour toi ma fille, et pour Kay, moi je fais confiance en Allah…
Tissem : ouvre ton cœur à l’évidence… s’il te plait…
L’évidence était telle que je refusais de la voir, même si ça faisait quelques temps que je l’avais vue, mais volontairement refoulée.
Lui aussi, et c’est pour ça qu’il m’avait laissé partir si facilement, il me l’avait dit « j’peux pas faire ça c’est la famille », pensant que ça n’était qu’à un seul sens…
Sauf que vous voyez, c’est tellement plus facile de nier l’évidence et d’en nier les preuves que d’affronter, c’est tellement plus facile de reculer que de vouloir avancer, car on sait tous que c’est bien plus dur de monter que de descendre…
J’me suis laissée descendre un temps, mais un temps seulement, car les miens, c’est à dire, mes proches, n’ont pas entendu me laisser descendre une seule seconde de plus, la machine était en route pour que nous puissions tout surmonter ensemble, gravir les étapes de la vie tous ensemble, en se serrant les coudes, et il était hors de question pour eux de me laisser seules et c’est cette discussion qui m’a fait prendre conscience, qui a réussi à m’ouvrir les yeux et à m’aider à ouvrir mon cœur à la possibilité de pouvoir un jour refaire ma vie.
Je me suis pas rendue compte tout de suite de l’effort surhumain que leur a demandé ce qu’ils venaient de faire, me demander de « laisser » leur frère pour réapprendre à vivre, et ce, à ses côtés, quand j’y repense…. waaaa le truc de fou quand même non ?
Pour moi, sans vous mentir, envisager de refaire ma vie, de pouvoir aimer un autre homme que lui, d’envisager de voir un autre homme être un père pour Kaylissa, c’était le trahir alors que pour eux, c’était la suite logique à mon histoire, à notre histoire à tous...
J’ai fini par les écouter, il m’aura fallut du temps, et lorsqu’il a débarqué de Marseille, deux semaines après cette fameuse discussion, j’ai compris rien qu’en le voyant car j’avais enfin ouvert mon cœur à l’évidence.
J’avais si peur de trahir Mohamed, si peur qu’il croit que je l’ai oublié, si peur de construire autre chose et de tout voir voler en éclat, j’avais peur au delà de tout de ne pas réussir à honorer Mohamed, de ne pas être à la hauteur de ce que tout le monde attendait de moi, j’avais peur, en m’engageant ailleurs, de les décevoir.
J’avais peur de choisir quelqu’un qui puisse « pallier » à son absence pour moi, mais pas pour eux et qu’un gouffre se forme entre nous, j’avais peur de ne pas réussir à aimer à nouveau une personne comme il se doit, j’avais peur de « choisir un père » à Kaylissa et qu’il ne soit pas à la hauteur, j’avais peur que Mohamed ne soit le seul homme que je n’ai su aimer et que Kaylissa n’ait pu rêver comme père.
Pour vous dire, j’étais prête à me contenter du statut de veuve jusqu’à ma mort, de n’être qu’une seule fois mère et père dans toute ma vie, de ne connaître la joie de l’enfantement qu’une seule fois dans ma vie, et de ne jamais enlever l’alliance que Mohamed avait passée à mon doigt il y a un an de cela, j’étais prête à tout ça car je pensais que refaire ma vie ne me permettrait pas d’être plus heureuse que ce que je n’étais déjà, je pensais que me priver de la possibilité de refaire ma vie serait salvateur pour eux et pourtant…
Eux, que je tentais de ne pas décevoir en niant l’évidence, croyaient dur comme fer qu’un nouveau bonheur m’attendait et que j’y avais amplement droit, tandis que moi, c’était tout l’inverse que je pensais.
J’avais eu le droit à toutes sortes de remarques depuis son arrivée « gâche pas tout ma sœur, tu vois pas qu’on a perdu un frère et qu’une fois encore grâce à toi on a retrouvé la joie, le sourire et un nouveau frère ? », « tu attends quoi pour lui faire du rentre dedans, lui, il attend que ça bordel, ouvre les yeux », j’avais tous les jours des coups de pression de leur part, et j’ai fini par commencer à croire moi aussi… grâce à eux mais aussi grâce à lui qui était toujours aussi présent tout en me laissant le temps d’ouvrir mes yeux qui n’étaient, jusque là, qu’à moitié ouverts…
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