Wyckoff Heights Medical Center

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Blanc.

Les stores vénitiens, les murs, le sol, les draps, la chemise de nuit de Scott. Dans la chambre atone de l'hôpi- tal de Wyckoff, seuls quelques rayons de lumière diaphane et le lourd grondement de l'avenue se permettaient de ren- trer. Le temps qui passe, lui, avait capitulé.

Au terme d'une nuit sans sommeil, Alex s'était finale- ment endormie sur une chaise en Formica, son iPhone to- talement déchargé, sur les genoux.

Seuls les deux bips du tensiomètre fixé par une pince au majeur de Scott, rompaient chaque minute, le silence inquiétant de la chambre.

Après le dernier bip, Scott entrouvrit lentement ses paupières. Au même moment, Alex se redressa brusque- ment sur sa chaise, comme pour ne pas se laisser surpren- dre en train de dormir, elle qui l'avait veillé toute la nuit, laissant tomber son téléphone sur le sol.

- Comment tu te sens ? lui demanda Scott ?

- T'es drôle, toi. Je suis complètement décalquée ! Et toi ?

- Qu'est-ce qu'on fout là ? dit-il en découvrant la chambre d'hôpital. C'est quoi tous ces tuyaux et ces ap- pareils ?

- On t'a fait deux transfusions sanguines cette nuit. Cette fois tu m'as vraiment fait peur ! dit Alex en se passant la main dans les cheveux comme on fait quand on se réveille.

- J'aiundecesmaldegorge,j'arriveplusàparler,dit Scott d'une voix roque.

- On t'as entubé. T'arrivais plus à respirer.

Scott tenta de se redresser sur son lit et Alex l'aida à regonfler son coussin.

- Enlève-moitouscesmachins,fautqu'onsetire!dit Scott.

- Ecoute, je suis claquée. Le médecin va passer, laisse-moi aller fumer une clope, dit-elle en fouillant dans son sac pour trouver son briquet. On verra après.

C'est à ce moment qu'un homme en blouse blanche, entra dans la chambre accompagné de deux internes et d'une aide soignante. D'un certain âge déjà, grand, grison- nant et un peu dégarni, mais encore bel homme, il affichait une assurance et un détachement à glacer le sang.

N'adressant de regard à personne, droit comme un i, il consultait au pied du lit, le dossier médical de Scott et sa fiche des températures de la nuit.

- Bien évidemment, vous ne pouvez pas fumer ici, mademoiselle, dit-il sans lever les yeux.

- Bien évidemment, répéta Alex en faisant rouler les siens au ciel.

Après un long silence, le médecin se décida à parler.

- Je suis le Professeur Smith, le responsable de ce service. Voyez-vous, Monsieur D'Auriac, vous avez eu beaucoup de chance !

- C'est Nolan, son nom. Scott Nolan, dit Alex en je- tant nerveusement son paquet de cigarettes dans son sac.

Le Professeur jeta un regard interrogatif et agacé aux deux internes.

- Y a-t-il une erreur ? Sur le dossier, il a été inscrit : Jean-Baptiste D'Auriac, n'est-ce pas ? Vous êtes Français ? C'est mademoiselle... comment déjà ?

- Alex.

- Alex comment ?

- Alex, c'est tout. Ca ira bien comme ça ! dit-elle sans

cacher son agacement.
- Vous êtes Espagnole ? Vous avez un accent espag-

nol, me semble-t-il.
- Italienne. Je suis Italienne ! Vous avez un problème

avec les étrangers ? dit-elle en croisant les bras.
- C'est mademoiselle... Alex, donc, dit-il en lui lançant un regard appuyé, qui a rempli votre dossier d'admission et qui a déclaré que vous vous appeliez

Jean-Baptiste D'Auriac.

- Il s'appelle Scott Nolan. Vous devriez le connaitre, c'est l'artiste le plus cool de Bushwick. D'auriac c'est son nom de famille, ça compte pas.

Scott, se redressa sur le lit pour interrompre cette con- versation absurde, sur le point de dégénérer.

"OK, ça va ! Ca suffit. Donnez-moi les papiers a sign- er, qu'on en finisse et laissez-moi sortir, dit-il en débran- chant le tensiomètre et la poche de sérum physiologique".

Les bips s'affolèrent et l'aide soignante aussi. Elle cou- ru autour du lit pour stopper les appareils et pincer le tube du sérum qui se répandait sur le sol. Avant d'entreprendre quoique ce soit d'autre, elle jeta un regard interrogateur au Professeur. D'un simple geste circulaire de la main, il mit fin à toute action.

Il adopta alors, une nouvelle attitude, plus solennelle et plus grave. S'appuyant les deux bras tendus sur le bas du lit, le Professeur reprit d'une voix lente et chaude.

- Monsieur D'Auriac. Vous avez fait une tentative de suicide. Vous avez été inconscient pendant presque 24 heures. Vous avez bien failli mourir. Sans l'aide de votre amie - il regarda Alex à nouveau pour la reconsidérer - vous ne seriez pas là. Maintenant vous êtes dans MON service et c'est MOI qui dit ce qui est bon pour vous, car vous apparemment, vous, ne le savez pas.

- Sauf que votre diagnostic est faux Docteur et que vous ne pouvez pas m'obliger à rester là !

- Comment pouvez-vous prétendre avec autant d'aplomb, que mon diagnostic est faux ? Vous plaisantez j'espère ! dit le Professeur un peu gêné face à ses in- ternes.

- Il s'est pas suicidé, c'est tout ! C'est pas la peine de vous emballer, lança Alex en regardant par la fenêtre.

- Comment ça ? Mais c'est inouï ! Ca fait plus de 30 ans que j'exerce, je sais tout de même reconnaitre une tentative de suicide ! Vous souffrez certainement de grave dépression.

- Il est pas dépressif, c'est un artiste, lança Alex à la cantonade.

Le professeur reprit son calme et continua dans son schéma médical.

- Vous aller donc rencontrer un confrère psychiatre, vous verrez il est très bien... et c'est lui qui déterminera le moment opportun où vous pourrez sortir.

- Horsdequestion.D'ailleurs,çavabeaucoupmieux, dit Scott en descendant de son lit.

- Mais Monsieur... vous ne pouvez pas !

- Si, professeur, dit Scott tout en s'habillant. Alors ça sera avec, ou sans votre autorisation. Et merci pour le pansement, ajouta-t-il en se frottant le poignet.

- Bouge-toi, Scott, dit Alex qui s'impatientait déjà dans le couloir. Ca fait des heures que j'ai pas fumé, moi.


Les mois qui suivirent et quelques jours de plusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant