Le Yellow Cab déposa Alex devant la Factory.
- Bonjour, Madame Alex, cria Pedro, l'épicier.
- Bonjour Pedro ! Pas "Madame", je vous l'ai déjà dit... ça fait vieille peau !
Elle entra dans l'ancienne usine. La Harley de Scott, clé au contact, était garée en face du monte-charge. Après un instant d'hésitation, elle préféra l'escalier.
Ca faisait longtemps qu'elle n'était pas venue ici, peut-être trop longtemps. En tous cas, c'est la sensation qu'elle avait. Elle aimait cet endroit, les odeurs, les choses qui pouvaient s'y passer et même ce maudit escalier, qui faisait office de sas de décompression et la transportait vers des cieux libres, toujours à être explorés.
Avant même d'ouvrir la porte, elle pouvait entendre la voix de Sinatra à l'intérieur. Elle savait ce que ça voulait dire : Scott était certainement en train de peindre. Personne n'avait jamais vu Scott lorsqu'il créait, car cela représentait un moment de solitude où la transe prenait le dessus sur l'être, un moment où la folie prenait l'ascendant sur la raison, un moment d'intimité qu'il n'avait jamais été capable de partager avec qui que ce soit.
Elle attendit un instant, la tête baissée face à la porte et entra. Elle fit quelques pas et aperçu Scott sur la terrasse. Il avait l'air de danser devant un grand feu, comme les indiens Navajos, à l'heure où Manhattan commence à s'illuminer.
- Viens, sert toi un whisky ! lui dit-il, sans interrompre son ballet solitaire et sans la regarder.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Chuuuut ! Ils reviennent !
- Ils reviennent ? Mais qui ? dit Alex.
- Viens voir, ils sont en train de renaître !
A côté du bidon en feu, un autre bidon métallique semblait être le centre de toutes ses attentions. Ses pas de danse le menaient invariablement à plonger ses bras noirs de cendre, dans le fond du bidon. Il recommença inlassablement ce rituel pendant de longues minutes. Enfin, il se retourna vers Alex et brandi un morceau de toile brûlé. Ses yeux verts, brillaient au milieu de son visage couvert de suie. Invariablement torse nu dans ces moments-là, il ressemblait plus à un ramoneur qu'à un artiste peintre.
Alex le regarda avec un sourire empreint de tendresse et d'admiration et empoigna son NIKON sans hésiter, devant la beauté de son corps.
"Regarde, celui-là est magnifique !" dit-il pendant qu'Alex enchaînait les clichés en tournant autour de lui.
"Celui-là est naze !" dit-il en le jetant dans le feu. "Celui-là est top !"
Alex n'en perdait pas une miette. La lumière chaude du feu donnait du relief aux muscles saillants de Scott et les mouvements de sa danse, rendaient ces photos plus vivantes que jamais.
Alex arracha la bouteille de whisky des mains de Scott et avala une rasade au goulot.
- Qu'est-ce que tu vas faire avec tous ces morceaux de toile carbonisés ?
- Ils sont en train de renaître ! Regarde comme ils sont beaux !
Scott commença à les coller sur une toile vierge. Il les disposa de manière faussement aléatoire et Alex se remit à prendre des photos. Certains morceaux semblaient s'attirer, alors que d'autres avaient du mal à trouver leur place. Certains même, finissaient au feu et Scott replongeait dans les profondeurs du bidon noir pour en dénicher de nouveaux, plus harmonieux. Un a un, chaque bout était collé précisément, puis cousu sur son pourtour avec une grosse aiguille et de la laine rouge.
VOUS LISEZ
Les mois qui suivirent et quelques jours de plus
RomanceNew York. Alex, une jeune photographe tombe amoureuse de Scott, un artiste gay. Elle est Italienne, lui, Français. Les mois qui vont suivre les entraineront dans une relation amoureuse qui les dépassera, jusqu'à ce qu'un terrible malentendu, les pou...