Château La Rose

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L'horloge sonna 20h00 quand ils se mirent à table. C'était l'heure à laquelle, Tata Ninou, comme Scott l'appelait, avait depuis toujours, pris l'habitude de diner.

Ils restèrent tous les deux silencieux quelques minutes comme s'ils récitaient une prière informelle, puis la bonne, d'un certain âge déjà, déposa une soupière sur la table. En silence toujours, ils se servirent deux louches Minestrone.

- Tu as vu Charles ?

- Oui.

La discussion en resta là et Scott servit le vin.

- De toute façon... je m'en fiche, relança Scott.

- Ça c'est pas bien passé, alors ?

- Avec mon père, de toutes façons... rien n'a jamais été gratuit... même de là où il est, il reste égal à lui-même.

- C'est ton père...

- Tu sais, Tata, j'ai pas besoin de son fric, moi... j'en ai rien à foutre !

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- De la merde ! Rien que de la merde ! Un putain de deal de merde avec l'au-delà !

Alors Scott expliqua le deal à sa tante et ajouta qu'il en avait finit avec les menaces et les manipulations de son père. Il lui dit aussi, pour mettre fin à toute spéculation, qu'il lui laisserai le château, l'exploitation et tout le reste, que sa vie était ailleurs aujourd'hui et qu'après son départ, il ne remettrait certainement plus jamais les pieds ici. Puis il y eut un long silence.

- Tu vis avec quelqu'un ? demanda sa tante.

- Oui...

- Tu sais... il faut comprendre ton père... il n'était pas idiot...

- Non, mais il était un peu con...

- Il n'en parlait jamais... mais... au fond de lui, il savait bien... que tu n'étais pas... enfin... que tu étais...

- C'est une fille, OK ? Elle s'appelle Alex... Alessandra. Elle est italienne.

- Tiens donc ! Comme l'histoire se répète ! ajouta-t-elle pour elle-même.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

La discussion s'arrêta lorsque la bonne débarrassa les assiettes et apporta le plat principal.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? redemanda Scott.

- Tu aimes le rosbif ?

- Heu... oui... je m'en fiche...

- Merci Rosa ! dit la tante de Scott. Vous pouvez nous laisser... on va se débrouiller.

- Grazie Signora. Buona note.

- Ros... Rosa ?

- Oui, Rosa... elle est italienne. Tu ne te souviens vraiment pas d'elle ? Elle était très belle quand elle était jeune, tu sais... et ton père l'aimait beaucoup.

- Rosa... tu veux dire qu'elle est... qu'elle était... pendant toutes ces années... ici, dans notre maison...

- Tu veux des haricots ?

- Mais je rêve... j'ai l'impression de rentrer dans une famille que je ne connais pas. Et tout ça pour ça ? Toutes ces leçons de morale... tous ces interdits... tous ces secrets ?

- Allez, allez... tout ça n'est pas bien grave ! C'est déjà du passé !

- Ah tu trouves ? Moi je trouve ça très présent, au contraire ! dit-il en levant le ton. Et le pire dans tout ça... c'est que dans son testament, il n'a pas eu un mot pour elle... pas une ligne... il ne lui laisse rien !

- C'est ton père... et les choses sont ce qu'elles sont, ajouta sa tante sur un ton calme et résigné.

Tous les deux restèrent dans leurs pensées un moment.

- Ne pense plus à tout ça... Si tu as une copine, marie toi avec, fait lui de beaux enfants et tout rentrera dans l'ordre !

- Mais putain ! Vous êtes tous pareils, dans cette famille !

Scott se leva d'un bon, jeta sa serviette sur la table et monta dans sa chambre.

"La nuit porte conseil", lui cria sa tante, alors qu'il s'éloignait.

***

Lorsqu'il se réveilla, les cigales chantaient depuis longtemps déjà. Scott descendit sur la terrasse baignée de lumière jaune et s'étira.

Près du massif de roses, il aperçu un vieil homme barbu qui portait un chapeau de paille. Leurs regards se croisèrent et Scott lui fit un geste de la main pour le saluer, mais il s'interrompit quand le vieil homme tourna la tête.

- Il ne te reconnait pas, dit la voix de sa tante derrière lui.

- Est-ce que c'est Marius, le jardinier ?

- Autrefois, oui. Aujourd'hui, il ne reconnait plus personne... Parfois, il me fait peur... son regard vide me glace. Tu veux un café ?

- J'ai cru un instant qu'il m'avait reconnu.

- Est-ce que tu as bien dormi au moins ?

- Comme un bébé... c'est le silence qui m'a réveillé.

Étrangement, Scott se sentait extrêmement bien, reposé et détendu. Loin de l'agitation de sa vie New Yorkaise, il avait l'impression que cette endroit le ressourçait. Après tout, il était chez lui et il pouvait sentir l'innocence et le bien être de l'enfance heureuse le traverser. Autrefois, bien avant les tumultes de son adolescence, il avait vécu ici, les moment les plus heureux de sa vie. Ceux de l'insouciance des enfants gâtés.

Rosa déposa un bol de café noir sur la table et une assiette de tartines beurrées. Scott la regarda différemment.

- Alors, qu'est-ce que tu vas faire, maintenant ? demanda sa tante.

- Je suis désolé pour hier soir, Tata Ninou... j'ai eu tort de m'énerver.

- Ça n'a aucune importance, tu sais.

- Je vais rentrer. Mon avion décolle dans quelques heures. Je vais reprendre ma vie d'avant... mais pas tout à fait comme avant... ça m'a fait quelque chose de revenir ici.

- Comment s'appelle ta copine, déjà ?

- Alex ! Tu sais, c'est une fille géniale. Elle fait de la photo... et puis elle me fait beaucoup de bien... elle est un peu folle... mais je l'aime comme ça.

Sans même s'en rendre compte, le sourire de Scott s'illuminait lorsqu'il parlait d'Alex.

- Elle a l'air d'être géniale... tu as de la chance... on dirait bien que tu es amoureux, toi !

Après un court silence, Scott se sentit obligé d'ajouter :

- Je sais pas si elle veut des enfants !

- Je te signale que moi, j'ai rien dit ! dit sa tante en riant. C'est toi qui relance le sujet.

- Oui... je crois qu'il faut qu'on en parle avant que je parte.

Scott chercha ses cigarettes et sa tante lui en proposa une des siennes.

- Je me rends compte qu'aujourd'hui, j'ai enfin terrassé mes démons... et elle y est pour beaucoup. Je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve... mais elle est encore jeune et...

- ... et toutes les filles veulent des enfants un jour ou l'autre.

Scott resta pensif quelques secondes.

Tata Ninou eut un sourire victorieux et se leva.

- Ne te mets pas en retard... tu as encore tant de choses à faire. Je t'emmène à l'aéroport dès que tu es prêt !

Les mois qui suivirent et quelques jours de plusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant