Le taxi le déposa à l'entrée du Château La Rose. Scott avait envie de marcher un peu avant d'arriver jusqu'à la grande bastide. Peut-être avait-il peur de faire un bon trop brusque dans le passé, de retrouver trop vite les lieux de son enfance. Baigné par le chant des cigales, sous les platanes centenaires qui bordaient la grande allée de gravier blancs, les images se bousculaient dans sa tête. Il revoyait son père et sa mère quand ils étaient heureux, ses jouets d'enfant et la cabane qu'il avait construite dans le bosquet derrière la maison en pierres. De là, il pouvait voir les vignes à perte de vue. Il se souvenait des vendanges et de ses moments bonheur, ceux qui nous laissent une trace indélébile, aussi douce et qu'effrayante.
Après toutes ces années d'absence, il aurait voulu que rien n'ait changé, retrouver l'atmosphère heureuse de son enfance. Il aurait aimé retrouver précisément, tout ce qu'il avait voulu quitter à l'adolescence. Tout ce qu'il avait pu détester à ce moment là, lui manquait. Lui, le rebelle, celui qui avait quitté le domaine familial pour rêver à d'autres aventures. Lui, pour qui l'idée de prendre la suite de l'exploitation familiale avait été si insupportable, lui qui avait tant déçu son père en s'exilant à des milliers de kilomètres, souhaitait secrètement que quelqu'un ait pris sa relève.
Il s'était préparé à ce retour, comme l'enfant prodigue. Il aurait voulu ne pas avoir changé et paraître à l'image de celui qu'on attendait, sauf qu'aujourd'hui, plus personne ne l'attendait. Alors, il avait soigné sa barbe et attaché ses cheveux avec un catogan pour tenir son chignon derrière sa nuque. Avec son jean, sa chemise blanche et son blaser bleu marine, il avait le sentiment d'être quelqu'un de bien, en tous cas, il se disait qu'ainsi, il pouvait être lui-même et à la fois, celui qu'on espérait.
Lorsqu'il arriva, avec son sac d'affaires à la main, près de la grande maison recouverte de lierre, une femme d'un certain âge déjà, l'aperçu. Encore très belle, elle avait le regard vif et la chevelure soignée. En le voyant, elle posa son sécateur et s'essuya machinalement les mains sur son tablier.
- Tata Ninou ! s'écria-t-il.
- Jean-Baptiste ? C'est toi ? lui demanda-t-elle en s'approchant. Ca fait des siècles que plus personne ne m'a appelée comme ça ! dit-elle en le prenant dans ses bras. Comme je suis heureuse de te voir.
Elle avait cet accent ensoleillé qu'ont les gens dans le sud-ouest de la France.
- Moi aussi, si tu savais !
- Comme tu as changé, mon grand !
- Toi, t'as pas changé.
- Tais-toi... je suis devenue une vieille femme. Rentre, on va poser tes affaires. Tu as faim ?
Ils entrèrent dans la grande bâtisse fraîche. Immédiatement, l'odeur de la maison transporta Scott dans un passé si lointain et si familier à la fois, qu'il eut l'étrange impression de voyager dans le temps.
A l'intérieur, rien n'avait bougé. Il jeta un rapide regard circulaire qui le glaça. C'était comme s'il était parti la veille. Comment peut-on vivre ainsi ? se demanda-t-il. Faut-il vraiment avoir trouvé son chemin, ou plus encore, avoir atteint son but, trouvé la sérénité et le bonheur, pour se complaire dans un tel immobilisme ? Malgré tout, un sentiment de plénitude s'imposa à lui.
Sa tante, perçu l'étrange sensation qui le traversait et cru bon d'ajouter : "Tu sais, depuis que ton père est mort, je n'ai rien changé".
Scott ne dit rien, car il savait bien que rien n'avait changé depuis bien plus longtemps que ça.
- Viens ! Tu vas poser tes affaires dans ta chambre.
Ils gravirent le grand escalier.
- Regarde, depuis ton départ, tout est resté comme tu l'avais laissé.
- C'est terrible, dit Scott.
- Tu sais, quand tu es parti... tu leur as beaucoup manqué.
Il regarda la chambre autour de lui. Les livres sur les étagères, quelques figurines, des jouets qu'il avait construit lui-même, sa lampe de bureau à ressorts, son petit lit et sa couette Goldorak. Tout lui paraissait si familier et si lointain à la fois. Il se sentait comme un étranger dans sa propre peau.
Les silences étaient longs et en disaient beaucoup.
- J'ai rendez-vous chez Charles pour la succession cet aprèm... mais je ne vais pas rester.
- Je sais.
VOUS LISEZ
Les mois qui suivirent et quelques jours de plus
RomanceNew York. Alex, une jeune photographe tombe amoureuse de Scott, un artiste gay. Elle est Italienne, lui, Français. Les mois qui vont suivre les entraineront dans une relation amoureuse qui les dépassera, jusqu'à ce qu'un terrible malentendu, les pou...