Les mois qui suivirent et quelques jours de plus

The Juilliard School is our Link

Après quatre étages à pieds, l'escalier en colimaçon qui permettait d'atteindre l'entrée de la Factory, était toujours aussi difficile à franchir pour Alex, même après tous ces mois de pratique et des centaines d'ascensions. Elle se dit que c'était peut-être à cause du sport qu'elle ne pratiquait pas, ou à cause de la cigarette, mais ce qui lui parut étrange, c'est qu'elle se sentait encore plus essoufflée que d'habitude.

Alors, elle attribua cette fatigue passagère, à la gentillesse de Pedro et au poids du sac de papier kraft recyclé, qu'elle tenait entre ses bras. L'épicier qui l'aimait beaucoup, ne manquait pas d'ajouter quelques petits "cadeaux" à la liste de courses d'Alex, chaque fois qu'elle passait pour récupérer sa commande.

Elle arriva sur le palier le souffle coupé. Alors elle s'appuya quelques secondes contre la porte pour reprendre sa respiration, avant d'entrer.

Après une courte pause, elle poussa la porte, comme on monte sur scène et déclama d'un air enjoué qu'elle était passée chez Pedro acheter un poulet rôti et embrassa Scott, alors qu'il travaillait à une nouvelle toile. Elle posa le sac de papier sur la table du coin cuisine et commença à le vider.

- Tiens ! Pedro a ajouté une bouteille de Chianti ! Tu as faim ?

- Non.

Alors elle s'approcha de lui et plaça sa tête par-dessus son épaule pour s'intéresser à ce qu'il faisait.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- C'est le tableau que j'ai promis aux étudiants de la Juilliard School. Ca te plait ?

- Mouais... répondit-elle.

- J'ai trouvé une enveloppe dans la boîte aux lettres avec toutes les signatures et un mot de Sandra, alors...

- "De la part de la meilleure promo du siècle ! ;) Kisses, Sandra". Ca, c'est bien elle !

La composition que Scott était sur le point de terminer, ne fascinait pas vraiment Alex, mais elle trouvait tout de même l'idée originale et appropriée à la circonstance, puisqu'il devait utiliser les signatures que les étudiants lui avaient envoyés et les regrouper sur une œuvre qui serait exposée de manière permanente à l'intérieur de la prestigieuse école.

Pour cela, il avait choisi une bâche brute, aux contours irréguliers, qu'il avait recouvert de peinture noire. Ensuite il avait éparpillé de manière aléatoire, puis collé, tous les bouts de papiers signés par les étudiants. Chaque autographe, entouré d'un cercle blanc, était relié à un rond central dans lequel on pouvait lire : "The Juilliard School is our link".

Enfin, il signa à son tour.

- Alors ? redemanda-t-il.

- Ouais... c'est pas mal.

* * *

Plus tard dans la soirée, ils s'installèrent sous la verrière pour regarder les étoiles.

Scott roula un joint et Alex resservit deux verres de Get 27, puis il restèrent silencieux un long moment.

- J'ai vu Diego aujourd'hui.

- Comment il va ? dit Scott avec détachement.

- Jody est enceinte.

Le silence s'imposa à nouveau et Alex ajouta :

- Ils vont se marier.

- C'est une bonne chose.

- Je sais pas.

- Pourquoi ?

- Je sais pas, répéta-t-elle.

Scott passa le joint à Alex et souffla la fumée vers les étoiles.

- C'est pas parce qu'on a des enfants, qu'on est obligé de se marier. Non ? C'est plus comme ça maintenant ! dit-elle. Je ne vois vraiment pas ce qui pourrait nous obliger à faire un truc pareil !

- Je sais pas.

Il y eut encore un long silence.

- Et toi ? Tu veux des enfants ? dit Scott.

- Pourquoi ? Tu as envie de te marier et t'oses pas me le demander, répondit-elle en éclatant de rire.

- Non, mais n'importe quoi !

- Tu me vois... moi ? Avec des gosses ? Changer les couches, aller les chercher à l'école, les promener au parc... j'arrive déjà pas à m'occuper de moi... alors... non merci, ça va comme ça !

- OK. N'en parlons plus.

Scott resta un moment seul sur la terrasse pour regarder Manhattan qui ne pouvait pas dormir non plus. Lorsqu'elle se réveilla au milieu de la nuit, Alex vint le rejoindre sans faire de bruit. Elle alluma une cigarette qu'ils partagèrent en regardant au loin.

- T'étais sérieux, tout à l'heure, affirma-t-elle.

- Je sais pas.