Testament

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L'étude de Maître Charles de Saint Hilaire avait quelque chose de terrifiant, comme si le temps s'y était arrêté au siècle dernier. La fenêtre principale donnait sur la Place du Capitole et son agitation, mais à l'intérieur, le silence se mêlait à l'obscurité, épaississant davantage encore l'atmosphère déjà pesante de ce moment que Scott redoutait tant.

Les secondes semblaient interminables et n'étaient ponctuées que par le tintement sinistre d'une grande horloge à balancier. Au mur, une immense fresque de l'art espagnol du XIXème siècle, ajoutait de la grandeur, de la force et de l'autorité à cet endroit qui avait dû connaitre bien des tragédies au cours de son histoire.

Scott ne se sentait pas très à l'aise, un peu comme un adolescent qui chercherait sa place dans le monde inconnu des adultes et, dans ce haut lieu de la bourgeoisie provinciale, il avait le sentiment de n'avoir encore rien vécu d'important. Plongé dans cet épais silence, qui paradoxalement en disait si long, toute sa vie lui paraissait oriblement superficielle.

Sur le bureau Louis XV, chaque chose était à sa place : le sous-main en peau d'autruche, la lampe en laiton avec son abat-jour vert comme on en voit souvent dans les bibliothèques anglaises et l'inévitable Mont Blanc dans son pot en bois de rose.

Charles, quant à lui, était un octogénaire dont l'embonpoint, trahissait une vie riche, faite de bonne chair et de grandes expériences. Il avait toutefois su gardé, derrières se petites lunettes rondes, l'œil brillant de la jeunesse éternelle et la malice du vieux renard. D'immenses bacchantes blanches, qui ne laissaient apparaître qu'un bout de sa lèvre inférieure, compensaient sans doute l'absence de pilosité de son crâne rose.

Il ouvrit le meuble bar, retira le bouchon de la carafe en cristal et sans même demander l'avis de Scott, servit deux grands verres de Cognac. Puis, il souleva le couvercle de la boîte à cigares et leva enfin les yeux.

- Tu fumes, mon garçon ?

- Oui... mais... non, merci.

Dans un silence, presque monacal et après l'avoir soigneusement guillotiné, il alluma son Montecristo. Une bouffée de fumée épaisse envahit la pièce.

- C'est mon dernier péché, déclara-t-il avec le fatalisme de ceux qui ont déjà tout vécu.

- Alors, ça ne peut pas faire de mal, ajouta Scott poliment.

- Ton père était quelqu'un de bien, tu sais. C'était mon ami... mon seul véritable ami. Moi, mon père... il ne m'a pas beaucoup parlé. Il faut dire que les circonstances étaient difficiles. Quand j'ai connu ton père, c'était la guerre... on n'était que des gamins. Notre maison avait été détruite pendant les bombardements et tes grands-parents nous ont recueillis. C'était très courageux de leur part. On est restés caché dans leur cave pendant plusieurs semaines. Ils ont pris de gros risques pour nous. Ils nous ont donné à manger en partageant le peu qu'ils avaient... sans eux je ne serait certainement pas là aujourd'hui. Dans cette cave, il n'y avait rien à faire... rien... à part attendre. Alors on s'occupait comme on pouvait. Il y avait ce livre de zoologie de Geoffroy Saint Hilaire... ce seul livre que j'ai lu et relu des dizaines de fois. C'était ma seule distraction. Et puis, après la guerre, mes parents ont prit la précaution de changer de nom. En souvenir de cette période terrible, ils ont cru plus prudent de délaisser le nom de Baumberger pour celui de Saint Hilaire. Quoiqu'on en dise, ce fut une sage décision... et tu sais... chaque jour, ce nom me rappelle combien ta famille a été importante tout au long de ma vie. Alors, à mon âge... c'est pas un petit cigare...

Scott alluma une cigarette pour se donner une contenance.

- Tu as des enfants ?

- Heu... non.

Les mois qui suivirent et quelques jours de plusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant