Les élèves étaient si différents et si semblables à ceux de l'année précédente. Depuis la grande baie vitrée de la salle blanche, tout semblait exactement comme avant, mais dans son coeur, Aline sentait que tout était différent. Elle ne s'en était toujours pas remise et malgré les faux-semblant, les sourires tristes et les apparences sauvés, son sentiment d'échec, d'incompréhension était resté et avait migré dans une colère sourde qui se tapissait en elle, prête à surgir à chaque instant. Tout lui pesait, la vie était devenu un enfer.
Durant un temps, elle avait eu cette volonté de rompre avec le passé, de dire stop à ces sentiments ridicules. Elle avait eu envie d'aller de l'avant et de se reconstruire. La démarche avait été enclenchée, elle avait trouvé un psychologue, très gentil, très à l'écoute, très bien. Sa colère s'était estompée, ou du moins, ne se manifestait plus de manière intempestive. Et puis, il y avait ce jour qui avait stopper net tous ses efforts. Elle s'en souvenait parfaitement, c'était quelques semaines plutôt.
Alors qu'elle faisait son tour hebdomadaire à la libraire et qu'elle se penchait sur les dernières sorties romanesques, elle l'avait vu. Elle avait doucement tendu les doigts vers la couverture grise et avait lentement attrapé le bouquin, elle avait parcourue la quatrième de couverture, feuilleté quelques pages. Son coeur battait la chamade. Sans plus attendre, elle s'était précipité à la caisse, payé le livre et était rentrée chez elle. Dès qu'elle fut assise dans son fauteuil, elle démarra sa lecture, l'adrénaline coulant dans ses veines.
Le temps passa sans qu'elle ne s'en aperçoive et au petit-matin, quand les dernières lignes se gravèrent dans sa mémoire, elle en eut le coeur net. Elle referma le livre et passa ses doigts sur la couverture. Roses interdites. Le titre moqueur dansait sous ses yeux. Un rire nerveux s'échappa de sa bouche et la secoua. Ce roman, elle en était sûre, avait été écrit par Rosa Maulin elle-même. Elle avait eu le culot de réapparaître et de romancer toute son histoire. Ce texte était l'incarnation de l'échec personnelle de la professeure de musique, elle n'y était ni citée ni mentionnée. Elle réalisa qu'elle n'avait même pas fait partie du décor.
Dans un premier temps, Aline eut l'envie de se rendre au poste de police, de hurler au monde entier que cette gamine avait trompée tout le monde. Bien-sûr qu'elle n'était pas morte, elle avait rusé une fois de plus et avait réussit à s'enfuir par un moyen ou par un autre avec son cher professeur. Mais qui aurait cru à cette histoire ? L'affaire était bouclée depuis des mois, Rosa Maulin et Paul Alexandre étaient déclarés morts et le sujet avait été enterré. Personne n'y croirait. Ce livre n'était qu'un cliché amoureux de plus, deux amants qui s'aiment mais qui ne peuvent pas s'aimer, quoi de plus banal pour faire un livre ?
Aline resta donc sans rien faire mais elle savait au fond d'elle que ce roman n'était pas comme les autres. Elle l'avait sentie dès qu'elle avait vu cette couverture. Et ce titre qui semblait se moquer d'elle.
Alors, ce jour-là, debout devant la baie vitrée, elle songeait à ces deux amoureux qui étaient ensemble dans un endroit inconnu, alors que tout le monde les pensait morts. Elle eu une pensée pour ce pauvre homme qui dormait en prison, qu'avait-il fait pour mériter cela ? Sans doute rien de plus qu'elle, ils n'avaient été que des dommages collatéraux, des objets que le bonheur des autres brise à son passage. Et tout à coup, elle fut contente de son sort, si le bonheur faisait autant de dégâts, alors elle était heureuse de ne pas y avoir accès. La médiocrité à cet aspect rassurant, il n'est ni enviable ni pathétique, et n'entraîne aucune conséquence sur autrui.
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Cher professeur.
RomanceTout commence par leur passion pour l'écriture. Monsieur Alexandre enseigne pour la première année lorsqu'il croise sur sa route une merveilleuse élève : Rosa. Mais qui pourrait comprendre leur amour ? **** Merci a @MarieBoulet pour cette magnifiq...