« Ne l'avez-vous pas vu, ce matin ? » demanda Aëla, d'une voix marquée par la fatigue.
Assise sur l'agenouilloir, la femme menue dont les cheveux blancs étaient cachés sous une coiffe d'un blanc terne écarquilla les yeux de stupeur. Elle aurait reconnu cette voix démoniaque parmi des centaines. Elle osa à peine se tourner vers la voix.
Du coin d'œil, elle aperçut des cheveux marrons tressés grossièrement sur une chemise en lin blanc qui faisait ressortir sa peau bistrée. Ses mains frémissaient trahissant la peur qu'elle ressentait. Elle lâcha le maillet ovale dans l'eau cendrée. Que faisait cette sorcière, là ?
La buandière se ressaisit, récupéra sa batte et battit sans accorder la moindre attention à la jeune femme, contrairement aux autres laveuses et lavandières.
O, elle battait le vêtement fort.
L'ouvrière n'avait pas envie de s'attiser les foudres du Seigneur en adressant une parole à celle qui pactisait avec le diable. Si jamais, elle croisait ses prunelles maudites, son âme serait conduite tout droit en enfer, d'après le prêtre de son église.
Cela, la femme pieuse, ne le voulait pas. Il était déjà bien difficile d'accepter que son fils côtoie « cette chose », tous les jours. Elle avait bien imploré maintes fois, Paul, de quitter ce lieu de malheur où il était tantôt palefrenier ou domestique. Il n'entendait guère raison.
Tout en battant le tissu de plus en plus fort, éclaboussant Aëla, elle se demandait par quels subterfuges démoniaques, la mulâtresse avait réussi à ensorceler son cher fils.
La mère s'inquiétait et souffrait de l'entêtement de son fils, si bien qu'elle se rendait chaque jour à l'Eglise pour prier. Il n'y avait pas un seul jour où elle ne s'acquittait pas de l'aumône par pénitence, plus que par véritable charité.
Si seulement son défunt mari était encore là. Si seulement elle n'avait pas eu à vivre chez son beau-frère.
Le cœur cogna contre sa poitrine, la mère de Paul tapait le maillet contre le linge, comme une furie. Comme la saleté qu'elle faisait disparaître de la chemise, elle émettait le désir que « cette enfante du Malin » quitte les lieux au plus vite.
À bout de force, elle arrêta le battement. Lorsqu'elle déposa son outil de travail, elle surprit quelques œillades indiscrètes de ses consœurs ahuries. Que pensaient-elles ? Que dirait-on à l'Eglise ?
« N'avez-vous pas aperçu votre fils ? » posa à nouveau Aëla poliment en lui tendant un linge crasseux du panier.
La honte qu'elle éprouvait avait été chassée par la colère. Ses joues rougies, elle essora avec vigueur le tissu, imaginant qu'elle tordait le cou de la « pécheresse ». Quand allait-elle partir ?
« Je ne partirai que lorsque vous me répondrez. »
La mère de Paul se figea. Par quelle diablerie, avait-elle lu dans son esprit ? Il fallait qu'elle sorte de son esprit à jamais. Alors, la mère de Paul secoua frénétiquement la tête.
« Merci ! »
Aëla soupira. Elle roula en boule l'étoffe et le posa sur le rebord du lavoir. Elle avait vite compris qu'elle n'était pas la bienvenue. Elle se releva et regarda autour d'elle, dans l'espoir d'y découvrir un visage familier. Aussitôt, les lavandières ombrageuses cessèrent leurs murmures intempestifs et reprirent les durs labeurs.
Par chance, près d'un muret éclairé par un rayon de soleil qui s'était échappé des nuages gris, elle aperçut une jeune adolescente blonde. Cette dernière plaçait une pièce de toile alourdie par l'eau sur les étendoirs.
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Aëla - La Légende de la Princesse De Moret
Fiksi SejarahAu printemps 1680, les journaux relayent un mystérieux phénomène. A Paris, un mystérieux bandit masqué, armé de son arc, vole les riches pour donner aux pauvres. Rapidement, la fièvre du Robin des Bois français gagne les petits gens asphyxiés par le...