Tous les chemins mènent au rhum

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[Une nouvelle écrite en 1ère année de licence pendant un atelier d'écriture avec les contraintes type "cadavre-exquis" suivantes : faire une nouvelle fantastique à la Maupassant avec un nain bucheron s'appelant Lionel et accro au rhum. Pari réussit. Ne jugez pas trop sévèrement ma plume de l'époque !]


«Je m'appelle Lionel et je n'existe plus.»

Ce sont les premières lignes trouvées dans la cabane abandonnée. Il avait été signalé quelques heures plus tôt la découverte du corps, ou plutôt les restes, d'un homme atteint de nanisme mort en automne d'après l'autopsie.

L'inspecteur trouva des pages éparpillées, de ce qui semblait être un « journal intime » de l'homme, qui partaient de la cabane en bois et s'engouffrait dans la forêt enneigée jusqu'au corps de la victime.

Il les lut tout en marchant et ramassa au fur et à mesure les pages manquantes...

« J'ai quarante-cinq ans et je suis un nain... et je suis bûcheron. J'espère qu'un jour quelqu'un lira mon récit et que ce jour-là on arrêtera de me prendre pour un fou. »

L'inspecteur ouvrit son rapport sur la victime et constata que celui-ci n'avait aucun contact avec les gens du village le plus proche, vendait son bois et se faisait livrer sa nourriture une fois par mois. Il était considéré comme « fou » car il prétendait que sa famille s'était fait tuer et était rejeté car il était différent à cause de son nanisme.

« Je ne possède pas d'internet ou de poste de télévision donc on me considère reclus du monde... mais je mène ma vie simplement. Je sais que nous sommes en octobre (ou novembre) d'après les arbres et cela me suffit. Je n'ai pas besoin des autres.

J'écris pour prouver que je ne suis pas fou : hier dans la forêt, j'ai retrouvé une bouteille de rhum. Une bouteille de rhum qui ne m'appartenait pas alors j'ai cherché son propriétaire mais sans succès.

Je n'ai pas grand-chose pour me faire plaisir donc j'ai profité et fini ma soirée avec ce rhum... Un rhum délicieux pardi ! La meilleure chose que j'ai bue depuis belle lurette !

Ce matin la bouteille avait disparu. Physiquement disparue.»

— Dit-moi le nouveau ! s'exclame l'inspecteur se retirant du texte, est-ce que tu as trouvé la présence d'alcool en fouillant la cabane ?

— Non chef. Que des bouteilles d'eau mais pas d'alcool, ni d'autres boissons.

«Il se passe des choses bizarres... Je ne suis pas fou.

Un homme est venu me voir aujourd'hui, un vieillard borgne avec plus un cheveu sur le caillou...

C'était étrange parce que personne ne venait jamais dans la forêt sauf le livreur chaque mois. Il m'a demandé si j'avais retrouvé sa bouteille de rhum, j'étais un peu gêné surtout que je n'aime pas trop parler aux gens... Mais ensuite il m'a souri avec les dents qu'il lui restait et m'a montré une autre bouteille, l'a ouverte, a bu la moitié d'un coup et me l'a tendu en me disant « C'est bon hein ? C'est l'meilleur au monde ptit gars ! T'en veux encore plus ?».

J'ai hoché la tête et il est entré chez moi. Nous avons parlé toute la soirée de sa vie, qu'il était soi-disant un ancien voleur, qu'il cherchait des trésors mais qu'il avait trouvé mieux : l'alcool.

Cet alcool.

Puis il est parti en me laissant deux bouteilles et m'a dit qu'il reviendrait demain avec d'autres bouteilles. »

— Est-ce qu'on a trouvé des traces ou des empreintes d'une autre personne dans la cabane ?

— Non chef. Il avait l'air très seul cet homme-là, je ne pense pas qu'il ait reçu de visite depuis un moment.

« Je ne l'ai revu que deux fois. Une fois avec une caisse d'alcool que nous avons fini assez rapidement et le lendemain pour me dire qu'il m'indiquerait où « le trésor », donc le rhum, était caché mais que quand je serai prêt.

J'ai attendu des jours et des jours, je n'en pouvais plus...

J'étais en manque...

Il fallait que je retrouve ce goût si spécial... si enivrant. »

L'inspecteur feuillète les pages remplies de gribouillis incompréhensible, de mots revenant sans cesse comme « MANQUE », « ALCOOL » et aussi « JE NE SUIS PAS FOU !!! »

« Je ... n'arrive plus à travailler... Il me rend dingue... MAIS JE NE SUIS PAS FOU ! Non..non...il est revenu. Il m'a dit que j'étais prêt à posséder le trésor...Alors je l'ai suivi. »

L'inspecteur s'arrête de lire, relève la tête et ramasse la dernière page.

– Dis-moi le bleu... C'est bien ici qu'ils ont trouvé le corps hein ? C'est ici ?

– Oui chef. C'est assez glauque chef...

« Ça y est. J'ai suivi le vieillard mais je l'ai perdu. Il fait nuit, il y a du brouillard mais j'ai pris ma lampe torche.

Je n'avais jamais remarqué ce coin avant...

Un cimetière.

Je viens d'en faire le tour et pas une trace du vieux mais je veux le retrouver...

Il me reste à peine une gorgée de rhum...

Je ne suis pas fou...

Je ne comprends rien, ça ne peut pas être moi...

Je n'ai peut-être jamais existé. Je sens que c'est la f.. »

Le stylo a dérapé sur le dernier mot. L'inspecteur baisse la tête et regarde la tombe devant lui : CI-GIT LIONEL LE NAIN DEVENU FOU A LIER.

– C'est vraiment glauque chef... on a trouvé un burin juste à côté de la tombe, il semblerait que ce soit lui qui l'ait gravé... mais pas une seule bouteille d'alcool, de trésor ou de trace d'un vieillard.

– C'est sûrement la solitude qui l'a rongé. Ce vieillard n'a jamais dû exister, il devait être fou et a commencé à halluciner. Pauvre homme.

L'inspecteur donne les pages à son assistant et repart dans la direction de la cabane en pensant :

« ..Il serait mort ivre ? Comment a-t-il put délirer à ce point ? Et cette histoire de vieillard et de trésor ?

...Mais pour les bouteilles...Où sont-elles ?

D'où venaient-elles ?

Et comment a-t-il put trouver une bouteille en plein milieu de la forêt ?

L'esprit de l'homme est capable de tout. »


FIN

Brunch ta mère ! [RANTBOOK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant