Winry versa une généreuse gorgée de whisky dans son café et l'avala d'une traite. Elle en avait besoin, même s'il n'était qu'onze heures du matin.
- Tu en veux ? proposa-t-elle brusquement à l'homme assis en face d'elle à la table de la cuisine.
Il releva la tête, surprise, puis secoua la tête, souriant faiblement. Winnie babillait doucement dans sa chaise-haute, tendant une petite main potelée et gazouillant de plaisir quand le gentil, nouveau et intéressant monsieur lui offrit agréablement un doigt.
- Tu prends ça affreusement bien, grommela-t-elle.
Auric haussa les épaules.
- J'aime les enfants. Et ce n'est pas la première fois que je vois ma vie s'évaporer loin de moi, fit-il remarquer. La plupart des Gardiens développe une attitude plutôt fataliste envers tout ce que le destin décide de nous balancer. On doit accepter que nos chances de mourir n'importe quel jour sont bien plus hautes que pour la majorité des gens.
- Tu as ça en commun avec Ed, marmonna-t-elle. Un aimant à événements bizarres. Même si je soupçonne qu'il n'aurait pas réagi aussi bien si vos situations étaient inversées.
Une touche d'amusement s'éleva dans les yeux d'or.
- Je dois tout de même dire, c'est un peu bizarre de parler de moi à la troisième personne. Même si c'est sympa de connaître mon nom d'origine. Edward Elric hein ?
Un curieux sourire.
- Un nom fort. J'aime bien. Auric... Elric... au moins, il y a des sonorités communes.
Winry soupira.
- Tu ne te souviens vraiment de rien ?
Le sourire se fana.
- Winry, je donnerai mon bras droit pour me souvenir...
- Ne dis pas ça ! aboya-t-elle, bondissant sur ses pieds et renversant presque la table.
Surprise, Winnie se mit à pleure et Winry jura dans sa barbe.
- Merde. Attends.
Elle prit Winnie dans ses bras et la serra contre sa poitrine.
- Chuuut, chuut, tout va bien mon cœur, maman ne voulait pas t'effrayer.
Il ne dit rien, se contenta de regarder tandis qu'elle calmait l'enfant qui pleurait, jusqu'à ce que Winnie s'endorme sur son épaule. Winry partit la mettre au lit et confia le bébé à Mamy Pinako.
- Comment va Al ? demanda-t-elle d'une voix étouffée.
- Aussi bien qu'on peut l'espérer. Il est dehors, il réfléchit. Comment va notre invité ?
Winry roula les yeux et retourna à la cuisine, où elle trouva Auric, appuyé sur le comptoir, regardant à travers la fenêtre. Suivant son regard, elle vit son mari assis voûté au bord du ruisseau dans leur jardin.
- Je suis désolé, dit-il sans la regarder.
- Ce n'est pas de ta faute, dit-elle mécaniquement. C'est juste... tu sais... et puis, avec ton bras et ta jambe...
Il releva finalement les yeux.
- Ouais.
Après avoir calmé Alphonse, Winry s'était assise avec un Auric confus et l'avait mis au courant. Il avait vu les photographies. Deux petits garçons aux visages resplendissants, leurs sourires identiques les marquant comme frères malgré leur couleurs de cheveux différentes. Un enfant au visage sévère avec des yeux dorés qui défiaient le monde de s'en prendre à lui, un éclat de métal entre le gant et la manche. Une sorte d'accident, avait-elle dit vaguement, Al te donnera les détails plus tard. Un jeune blond dans un uniforme militaire bleu, un regard d'exaspération sur son visage alors qu'il considérait une main gantée accrochant quelque chose sur sa poitrine.
Lui. Cela avait été sa vie. Mais il ne s'en souvenait pas. Et à en juger par les réactions des gens autour de lui, il s'en sortait facilement. Alp... non, Alphonse dans ce monde... le prenait très mal. Il supposait qu'il pouvait comprendre... Alp avait été ce qui se rapprochait le plus d'une famille, et la sentiment de se faire rejeter par celui qui lui ressemblait tant était étonnamment douloureux, même s'il savait intellectuellement qu'Alp était mort. Donc pour Alphonse, avoir son frère, dont il avait été extraordinairement proche à tout point de vue, qui le rejette en essence... eh bien...
Une main sur son épaule le tira de sa rêverie. Winry le regardait avec une expression très sérieuse.
- Auric. Pourrais-tu aller parler à Al s'il te plaît ?
- Tu es sûre que tu veux que j'y aille ?
- Mec ! Il ne veut peut-être pas, mais tu dois le faire de toutes manières, dit fermement Winry. Ne me fais pas faire ce que j'avais l'habitude de faire avec Ed.
- Qui était ?
Elle tint une clé à molette en silence. Il leva les mains en signe de reddition et se tourna vers la porte. Elle le regarda partir, une point de nostalgie tapi dans ses yeux.
Ed aurait fait plus d'histoires, même s'il avait dû se faire frapper avec une clé à molette.
***
La lumière du soleil sur l'eau était hypnotisante, pensa Al. Si vous la regardiez assez longtemps, votre esprit devenait une de ces étincelles hypnotiques, et alors vous n'aviez plus à penser, plus à ressentir, plus à être quoi que ce soit. Vous n'aviez plus à penser à votre frère qui ne se souvenait pas de vous, qui ne se souvenait pas de maman, qui ne se souvenait pas du sacrifice qu'il avait fait.
- Salut.
Merde.
- Winry a suggéré que nous devions parler.
Al grogna.
- Connaissant ma femme, je doute qu'il s'agissait d'une suggestion.
Un ricanement.
- Elle agitait une assez grosse clé à molette en même temps.
Al ne releva pas les yeux lorsqu'Auric s'assit gracieusement à côté de lui.
- Donc. Tu veux parler ?
- Pas vraiment.
- Très bien, dans ce cas.
Et l'autre homme s'allongea tranquillement sur l'herbe, mettant ses mains derrière sa tête. Al vola un regard. Les yeux d'Auric étaient fermés pour se protéger du soleil, mais c'était le visage d'Ed et les cheveux d'Ed et la voix d'Ed et la présence d'Ed et... et...
Il n'avait pas réalisé qu'il pleurait jusqu'à ce qu'Auric lui tende silencieusement un mouchoir.
- Merci.
- Pas de problèmes.
Finalement, Auric parla de nouveau.
- Parle moi de lui. Parle moi de moi.
- Je ne sais pas par où commencer, avoua Al.
- Pourquoi pas par le début ? ria Auric. Nous étions... nous sommes frères. À quoi ressemblaient nos parents ?
Et lentement, avec hésitation, Al se mit à parler. Auric écouta attentivement, le menton sur la main, les coudes sur les genoux.
***
- Général.
- Hmm ?
Roy releva les yeux avec surprise. Le Capitaine Hawkeye s'était introduite presque silencieusement dans son bureau, et ce n'était pas dans son habitude : elle était très stricte en ce qui concernait le protocole militaire, ne serait-ce que pour garder Havoc, Fuery et le reste de son équipage hétéroclite sur leurs gardes. Pour elle, se glisser partout comme un simple voleur était inhabituel, et c'était le moins que l'on puisse dire.
- Vous devriez voir cela. Cela vient du Colonel Hugues, dit-elle en lui tendant un inoffensif dossier brun.
Roy tendit lentement la main vers le dossier, le considérant d'un air suspicieux. Il avait formulé une théorie selon laquelle les pires nouvelles arrivaient toujours dans les paquets les plus simples. Prudemment, précautionneusement, il ouvrit le dossier et parcourut le haut de la feuille.
Normalement, il était très fier de sa réputation d'avoir toujours raison. Et puis il y avait des jours comme celui-là où il la détestait tout simplement.
- Ils vont vraiment faire cela. Recruter tous les alchimistes civiles et les envoyer sur les lignes de front.
La guerre tournait mal, il le savait, mais ce mouvement du Führer puait le désespoir.
- Cela se finira mal.
- Regardez le premier nom sur la liste, Général.
- Alphonse Elric, lut-il sous le choc.
Oh mon dieu. Le dossier glissa presque entre ses doigts, et pour une quelconque raison, la seule chose à laquelle il pouvait penser, c'était que s'il y avait bien une chose qui pouvait ramener Edward Elric de n'importe quel au-delà dans lequel il vivait désormais, ce serait cela. Ne serait-ce que pour qu'il puisse étrangler Mustang pour ne pas avoir protégé son petit frère comme il l'avait promis. Ses yeux tombèrent sur la photographie qui était posée sur le coin de son bureau, le seul objet sentimental qu'il s'autorisait, et il inspira profondément, se ressaisissant et permettant aux habitudes ancrées en lui par une longue vie dans l'armée de prendre le dessus. Quand il leva à nouveau la tête, seul le masque impassible d'un Général de Division fixait calmement son assistant personnel.
- Capitaine.
- Monsieur.
Hawkeye se tenait déjà au garde à vous.
- Dites au Colonel que j'ai besoin d'une ligne sécurisée...
- ... pour appeler les Eric, oui Monsieur, il dit que cela sera prêt dans deux heures...
- ... les volontaires peuvent choisir leur propre unité, n'est-ce pas ? Et nous avons un poste...
- ... réservation déjà confirmée, Monsieur, et puis-je suggérer respectueusement que plutôt qu'un télégramme...
- ... à propos, j'ai entendu dire que les lignes de télégramme jusqu'à Resembool avaient explosé durant la dernière attaque et que...
- ... cela prendra environ une semaine à réparer, donc pour la sûreté de l'envoi, l'avis de recrutement devrait être envoyé...
- ... par courrier ? Mais c'est un si long chemin jusqu'à Resembool et de toutes façons, nous n'avons...
- ... personne pour livrer le message par courrier, Monsieur, nous sommes à court de personnel...
- ... donc envoyez-le par la poste, Capitaine, nous ne pouvons qu'espérer que le service postal n'est pas dysfonctionnel en ce moment...
- ... peut-être qu'un ticket attendant à la gare pour le premier train demain...
- Vous avez vos ordres, Capitaine ?
- Oui Monsieur.
Alors que Riza Hawkeye quittait le bureau, elle put voir son officier supérieur tendre une main gantée et tourner délibérément le cadre photo face cachée.
***
- Tu as toujours eu la main sûre en ce qui concernait le dessin, dit distraitement Al alors qu'il feuilletait le carnet qu'Auric lui avait donné. Te regarder créer un cercle de transmutation était toujours impressionnant – non pas que tu n'en aies souvent besoin bien sûr – tu n'avais jamais à effacer ou à re-dessiner quoi que ce soit. C'était comme si tu l'avais déjà complet dans ta tête avant même que tu ne commences.
Il leva les yeux.
- Grand frère... hum... Auric ?
Auric avait roulé sur le ventre, les yeux dans le vague. À la voix d'Al, il se secoua et releva la tête.
- Désolé. C'est que ça fait beaucoup à digérer. Pas que je ne te crois pas ou quoi, mais l'alchimie n'existe pas don mon monde. Juste les Portails, et les lois qui s'appliquent à eux, même s'il y a des similitudes. La Conservation d'énergie ressemble beaucoup à l'Échange Équivalent.
Al sourit.
- Il allait de soi que tu sois un Gardien alors.
Il devait admettre que même s'il était encore en colère de ne pas avoir réussi à récupérer son frère... pas encore, insistait-il pour lui-même, assurément Ed se souviendrait en temps voulu, après tout, il se souvenait dans ses rêves, n'est-ce pas... ? Auric était intéressant comme une identité séparée. Il pouvait voir des traits du tempérament de son frère en lui, mais Auric avait plus de retenu, il se contrôlait plus... et il était bien moins en colère. Il supposait que cela avait quelque chose à voir avec la perte des souvenirs douloureux et tout l'esprit fataliste de la Guilde des Gardiens qui semblait être le seul vrai lien qu'Auric avait eu pendant ses quatre ans d'existence.
- Dis-m'en plus à propos des Gardiens.
Un ricanement négligeant. Al avait aussi remarqué que là où Ed donnait toujours l'impression d'un rapace en vol stationnaire, prêt à attaquer dans un aveuglant piqué d'ailes et de serres, Auric était plus décontracté, ou du moins donnait l'impression de l'être, plus comme un chat à l'affût. Un peu comme un certain Général, en fait.
- Nous ouvrons des Portails. Nous fermons des Portails. Transportons des choses à travers des Portails. Agissons comme des coursiers pour des messages qui doivent arriver quelque part rapidement – nous pouvons nous téléporter nous-même sans ouvrir de Portails.
Un regard de tristesse traversa momentanément son visage.
- C'est comme ça qu'Alp s'est rendu sur le front.
- Avez-vous besoin d'avoir déjà été là où vous devez aller pour faire ça ? demanda Al, fasciné.
- Non. Du moment qu'on nous dit où nous allons, nous pouvons sentir la destination à travers les lignes de qi... hum... ce sont les lignes d'énergie qui parcourent la structure du monde. Quand nous ouvrons un Portail, nous les relions seulement à notre volonté. D'autres responsabilités de la Guilde... nous sommes de grands espions et nous travaillons parfois en autonomie comme gardes du corps secrets. Mais si tu répètes ça, je vais devoir te tuer.
Al cligna des yeux.
- Je rigole. Il n'y a personne à qui tu pourrais le dire pour qui ça aurait de l'importance de toutes manières.
Auric s'étira voluptueusement, puis grimaça comme un muscle froissé manifestait son mécontentement.
- Réfléchis-y. Nous pouvons aller où nous voulons grâce à notre volonté... la plupart des gens nous regarde et voit un Gardien et non pas un visage individuel... et nous sommes tous très bien entraînés au corps-à-corps. Tu dois l'être si tu transportes des secrets. Donc la Guilde, dans son infinie sagesse, a décidé que l'échange occasionnel de capacités contre de l'argent ou de l'influence faisait sens.
- Échange Équivalent, murmura Al.
Auric le regarda, surpris.
- Dans un sens, oui. La politique et le pouvoir consistent à échanger des faveurs après tout. En parlant de ça.
Il lança un regard aigu à son journal ouvert sur les genoux d'Al et fit un bruit interrogatif avec sa gorge.
- Oh ! Eh bien, le premier dessin est le lieu où je t'ai trouvé... c'est là que nous vivions étant enfants. Nous l'avons brûlé quand tu es devenu Alchimiste d'État... tu m'as dit que c'était pour que nous allions toujours en avant, jamais en arrière. Le deuxième est un symbole alchimique. Notre maître le portait, et donc nous aussi... et après ta... disparition, le Führer lui-même nous l'a attribué comme emblème officiel de la famille Elric.
Al releva sa manche pour dévoiler un serpent et une croix sur son avant-bras.
- Quand tu m'as ramené, c'était sur mon bras, probablement à cause du processus de transmutation. Celui-là d'après est l'armure à laquelle tu avais rattaché mon âme. Et c'est toi, avec ton automail.
Les yeux d'Al s'attardèrent joyeusement sur la main droite intacte d'Auric.
- Et le dernier, c'est... c'est le Général Mustang.
- L'homme pour lequel je travaillais ? demanda Auric. Pourquoi je me souviendrais de lui parmi tous les autres ?
- Je ne sais pas. dit Al, un froncement de sourcil plissant son front. Peut-être parce que c'est lui qui s'est occupé de nous quand nous étions enfants ?
- Ça n'a pas de sens, sinon je me serais sûrement souvenu de Winry et Mamy Pinako.
Une intensité familière s'infiltrait désormais dans les yeux d'or. Al se souvenait très bien de ce regard. C'était le regard qu'Ed avait l'habitude d'avoir chaque fois qu'un nouveau problème se présentait et qu'il nécessitait une solution.
- Il est aussi tout le temps en train de me dire quelque chose, dans ce rêve. Fulminate ?
- Ful-mi-nate, répéta Al lentement. Fullmetal ! C'était ton titre. Tous les Alchimistes d'État reçoivent un titre officiel à utiliser. Le Général Mustang est le Flame Alchimiste. Et tu es le fameux Fullmetal Alchimiste.
- Étais, Al. Je ne suis plus un alchimiste. Seulement un humble Gardien bien loin de chez lui.
Auric se mordit la langue dès l'instant où les mots sortirent, alors qu'il voyait l'expression d'Al.
- Al, je suis désolé. Je ne voulais pas remuer le couteau dans la plaie.
Al secoua la tête.
- Moi aussi je suis désolé, Auric.
Un sourcil doré s'arqua.
- Pour quoi ?
- Pour... eh bien... Je n'ai pas exactement réagi de la meilleure façon. Et si je t'ai laissé penser que je suis en colère contre toi pour ne pas être la personne que je veux que tu sois... eh bien... Je suis en colère. Mais pas contre toi. Tu ne peux pas t'empêcher d'être qui tu es. Je souhaiterais juste que les choses se soient passées différemment, c'est tout.
- Le destin est. Nous ne pouvons que changer notre façon d'y faire face.
Un coin de la bouche d'Auric se releva.
- Devise non-officielle de la Guilde. Exactement le genre de connerie à laquelle tu peux t'attendre avec une bande de personnes sans souvenirs.
Il se leva et épousseta ses vêtements.
- On rentre ? Il se fait tard et je suis sûr que Winry pense que nous nous sommes entre-tuer.
- Plus probablement que je t'ai tué. Je suis l'alchimiste de la famille maintenant, remarqua Al avec un air sérieux. Et je suis plus grand.
Une étincelle familière s'alluma dans les yeux d'Auric.
- Tu me traites de petit ?
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Full Circle
FanfictionEdward Elric revient amnésique. Il a vécu les quatre dernières années en tant qu'Auric, un Gardien de Portes. Mais il y a certaines batailles qu'il est le seul à pouvoir combattre. Ses amis seront-ils capables de réveiller Ed, et qu'arrivera-t-il à...