Chapitre 7 : Tango de Salon II

203 16 0
                                    

III- Trabada

Riza Hawkeye releva les yeux avec soulagement quand son supérieur émergea finalement de son bureau. Fuery et Havoc avaient depuis longtemps quitté le service pour se soûler très très fort. Heureusement, comme pour la majorité de l'équipe de Mustang, l'alcool avait l'atypique effet de les rendre tout à fait silencieux, surtout en ce qui concernait le Général. Ce qui était très possiblement la raison pour laquelle elle avait encouragé leurs intentions.
- J'ai traité la plupart des papiers d'Alphonse Elric, Monsieur, l'informa-t-elle gravement.
Il lui jeta un coup d'œil surpris, remarquant juste qu'elle était encore là. L'épuisement se tapissait dans les poches sombres sous ses yeux et dans la fine ligne de sa bouche.
- J'ai aussi réussi à mettre sur pied un jury d'examen pour demain matin. Alphonse dit qu'il sera prêt. Mais avec ses capacités, cela devrait être une simple formalité.
Un coin de sa bouche se mit à trembler.
- Cela sera bizarre de devoir le saluer après demain. Pas qu'Alphonse n'ait jamais rêvé de prendre du gallon – il ressemble tout à fait à Edward sur ce point. Il voulait voir son frère avant d'aller se coucher, mais je l'ai persuadé d'aller se reposer.
- Merci, Capitaine, dit son supérieur avant de lever un sourcil fatigué. Je suppose que le Colonel Hugues et Alphonse vous ont mis au courant du statut de notre... invité ?
- Ce dont ils ne m'ont pas informé, le Lieutenant Havoc l'a fait, Monsieur, assura-t-elle en laissant tomber sa main sur la crosse de son arme avec un air entendu.
Il sourit faiblement, mais ne lui demanda pas de développer.
- Oh, et le Colonel Hugues m'a dit de vous dire « Le gamin avait raison sur toute la ligne » à propos de vos soi-disant assassins, Monsieur. Poison quand les gardes ont été relevés. Il semblerait que les choses sont en train d'empirer.
Elle hésita.
- Monsieur... pas que l'avoir récupéré ne soit pas merveilleux... mais le timing complique les choses. Particulièrement s'il ne se souvient pas de qu'il est... était.
Roy acquiesça distraitement.
- Je sais.
Il détourna les yeux, ses épaules s'agitant de manière incontrôlable. Elle tendit la main, presque à atteindre son bras, mais elle s'arrêta à temps avant qu'il ne tourne son regard sur elle à nouveau.
- Je vais passer par mes appartements pour prendre un douche et me changer. Capitaine, je sais qu'il est tard, mais pourriez-vous rester et garder un œil sur lui jusqu'à ce que je revienne ?
Elle ouvrit la bouche pour donner son assentiment quand une voix enrouée par le sommeil l'interrompit.
- Si c'est une douche chaude, je viens avec vous.
Auric se tenait debout, sa silhouette se découpant dans l'embrasure de la porte, appuyé contre l'encadrement tandis qu'il frottait ses yeux embués par le sommeil. La faible lumière de la lampe du bureau de Roy derrière lui illuminait le halo de ses cheveux emmêlés par le sommeil, lui donnant un air plutôt séduisant, pensa Riza avec stupéfaction, sentant une lente brûlure envahir ses pommettes alors que son esprit s'efforçait de faire le lien entre le garçon dont elle se souvenait et l'homme très attirant qui se tenait devant elle. Elle arracha ses yeux de lui et retourna son attention sur son supérieur, juste à temps pour attraper l'étrange expression qui vola sur son visage avant qu'un masque plus familier glisse sur ses traits.
- Woh Auric, je ne pensais pas que tu étais intéressé, ronronna Roy. Je suis flatté mais ne penses-tu pas que c'est un peu... rapide, étant donné que nous n'avons même pas encore eu de premier rendez-vous ? Et ce n'est peut-être pas une bonne idée de... faire des efforts physiques dans ton état actuel.
Riza ferma les yeux et se prépara à l'explosion de l'explosif blond. Certaines choses ne changeaient tout simplement jamais...
Cela ne vint jamais.
Au lieu de quoi Auric sourit, un sourire lent, paresseux qui retroussa les coins de ses lèvres d'une manière presque prédatrice. Ses yeux balayèrent délibérément la silhouette du Général, comme s'ils faisaient l'inventaire du physique de l'homme, s'attardant moqueusement sur certaines zones qui firent rougir encore plus Riza, mortifiée. Quand il répondit finalement, c'était d'un baryton rauque qui lui fit recroqueviller ses orteils.
- Ne t'inquiète pas, vieil homme. J'irai doucement avec toi. Du moins, au début. Et si tu penses toujours que tu peux t'occuper de moi après cela... termina-t-il en laissant la phrase traîner suggestivement.
Riza resta bouche bée alors qu'Auric flânait doucement devant son bureau et jusqu'à là. Elle fixa son officier supérieur, qui semblait aussi stupéfié. Puis leurs regards se rencontrèrent, et elle secoua la tête doucement.
- Ne vous inquiétez pas, Monsieur... ceci... hum... n'est jamais arrivé.
Il acquiesça tout aussi doucement.
- Eh bien, tu viens ? soupira Auric, repassant soudainement la tête dans la pièce. Je veux vraiment cette douche. Et de quoi manger. Et après j'ai vraiment besoin de dormir plus. Vins avec moi – si tu es vraiment prêt pour ça – ou autrement, ajouta-t-il avec des yeux scintillant de malice.
Roy se mordit la lèvre pour retenir un commentaire railleur et le suivit en silence. Riza secoua une nouvelle fois la tête. Certaines choses ne changeaient tout simplement jamais... et, venait-elle de réaliser, d'autres l'étaient déjà.
Il n'était plus un enfant.


IV- Resolución

- Je serais prudent avec ça, dit doucement Auric depuis la porte.
Roy sursauta. Il était en train de jouer avec une des dagues posées précautionneusement sur l'étroite couchette qu'Auric s'était approprié. Malgré son rang, Roy préférait garder ses appartements au Quartier Général assez spartiates. Des lits superposés standards, un bureau encombré, un placard et une commode. La seule preuve d'ancienneté et d'une concession au confort des habitants était la petite cuisine attenante avec deux anneaux à gaz, et le petit coin salon avec deux fauteuils autour du foyer. Il utilisait les douches au bout du couloir, qui était théoriquement à la disposition de tous les officiers, mais était en pratique une sorte de salle de bain privée puisque la plupart des officiers préféraient se tenir à l'écart du fameux Flame Alchimiste. Même s'il n'avait techniquement rien fait récemment... en réalité, il y avait eu ce Lieutenant Colonel ennuyant qui avait louché sur lui une fois de trop, mais c'était il y a un bon moment ! Et la moustache de l'homme avait repoussé. Finalement.
Auric s'avança dans la chambre, frottant toujours vigoureusement ses cheveux pour les sécher.
- Certaines personnes gardent la pointe centrale de leurs saïs ronde, mais je préfère une section octogonale même si elle s'écaille facilement. Plus de dommages à l'impact, ajouta-t-il cliniquement. Mais les bords et les pointes sont tranchants, alors ne vous coupez pas. Cela pourrait vous empêcher de claquer des doigts, et je n'ai ni le temps ni le désir de traîner après vous pour sauver votre peau.
Roy reposa le saï à côté des deux autres.
- Pourquoi trois ? demanda-t-il avec intérêt.
Bien qu'il soit assez confiant en sa capacité à se défendre soi-même, il devait admettre que se concentrer uniquement sur l'aiguisage de ses capacités alchimiques avait signifié qu'il n'avait pas été en mesure de passer autant de temps sur les arts martiaux. Son premier officier supérieur avait grogné : « S'ils s'approchent à ce point de vous, Mustang, vous avez fait une erreur et vous méritez probablement ce qui vous attend. » mais il trouvait toujours la pratique intéressante.
- Un à lancer, deux pour le corps-à-corps, répondit Auric alors que son visage émergeait des profondeurs d'une serviette verte de l'armée.
Sans y être incité, il souleva l'un des sais, le soupesa légèrement dans sa main et l'envoya voler vers le bois de la chambranle de la porte, où il s'incrusta avec obligeance.
- Des armes de défense très utiles. Alp préférait le bô mais avez-vous jamais essayé de cacher ça sur toi ? grogna-t-il alors qu'il enfilait par dessus sa tête un t-shirt à col large emprunté à Mustang.
- Je ne peux pas dire que j'ai essayé.
Roy se glissa hors de la couchette.
- Voudrais-tu manger quelque chose ? J'ai de la soupe et quelque chose que les militaires appellent poulet, et quelque chose qu'ils appellent bœuf.
Auric haussa les épaules.
- De la soupe c'est bien. Merci.
Roy fouilla ses tiroirs pour trouver l'ouvre-boîte et réchauffa la soupe. Auric le regarda à travers ses yeux à demi-fermés. Finalement, l'homme blond se décida à parler.
- Vous vous demandez comment je peux parler de ça avec autant de désinvolture alors qu'Ed n'aurait jamais pu n'est-ce pas ?
- Maintenant que tu le dis, oui.
Roy se concentra sur la soupe qu'il versait dans deux tasses ébréchées qu'il avait sorti.
- Ton attitude vis-à-vis des combats et du fait de tuer et de la mort est certainement différente.
- Et cela vient de l'homme connu comme l'un des « héros » de la guerre civile d'Ishbal ? Al et Winry m'ont dit ce que vous aviez fait.
La tête de Roy se redressa brusquement, et ses yeux étincelaient d'une froideur mortelle.
- J'avais des ordres. Et je... je regrette bien des choses que j'ai dû faire.
- Voici votre réponse, répondit-il. Le devoir et la survie sont des motivations puissantes.J'ai fait ce que j'avais à faire pour m'acquitter de mes responsabilités envers la Guilde en tant que Gardien.
Les deux hommes accrochèrent leurs regards dans une confrontation d'états d'âme et de volonté, mais ensuite Auric lâcha un petit rire attristé et détourna les yeux.
- Je vous laisse gagner celui-là puisque j'ai gagné le dernier tour. En plus, c'était un coup bas. Je suis désolé.
Son adversaire cligna des yeux.
- Tu ne sais pas, je pense que c'est la toute première fois que tu me dis quelque chose comme ça.
Auric leva un sourcil, tandis qu'il acceptait une tasse de soupe.
- Eh bien, vous ne me connaissez pas depuis très long. Je ne peux pas parler pour Ed. Mais je suis plus vieux qu'il ne l'était, et la maturité ne vient-elle pas avec l'âge ? Ce n'est pas que ça se voit dans votre cas, bien sûr, dit-il avant d'éviter agilement une petite flamme du poêle à gaz. Eh, pas d'utilisation de l'alchimie ! Vous ne me voyez pas me téléporter aux quatre coins de la pièce, si ?
Roy sourit d'un air moquer, lançant les gants plus loin, et se laissa tomber dans l'autre fauteuil. Pendant un moment, ils restèrent simplement assis, sirotant leurs tasses. Les flammes de la cheminée s'éteignirent doucement avant que le plus grand des deux ne rompe le silence.
- Pourquoi n'as-tu pas encore essayé de faire de l'alchimie ?
- Je n'en ai pas besoin.
La réponse était sèche.
- Oh ?
- Ça ne fonctionnerait pas.
Auric pinça ses lèvres fermées et refusa de regarder Roy. Son corps était soudain tendu, comme s'il voulait fuir.
- Alphonse dit que tu ne veux même pas regarder un cercle de transmutation. Alors comment peux-tu savoir que tu ne peux pas ?
- Ça ne fonctionnera pas, c'est tout. Je ne me souviens de rien concernant ma vie ici, alors pourquoi ça fonctionnerait ?
Les yeux de Roy se rétrécirent.
- Premièrement, la capacité à faire de l'alchimie est innée, donc je doute que le fait d'avoir ou non tes souvenirs a de l'importance. Et deuxièmement, tu te souviens en réalité de certaines choses qui étaient importantes pour toi, comme le prouve ton journal.
Il évita soigneusement de mentionner l'étrange fait qu'il soit lui-même apparu dans les rêves d'Auric.
- Au moins, jette un œil à certains cercles de plus communs, ils pourraient réveiller ta mémoire. Et regarde si tu peux les utiliser – ils peuvent s'avérer très pratique en défense...
- Je vous l'ai dit, je n'en ai pas besoin ! Je peux prendre soin d'Al et moi sans l'alchimie, grogna Auric en sautant sur ses pieds et en se dirigeant vers la cuisine pour ostensiblement y rincer sa tasse.
Il s'appuya lourdement contre l'évier, en tournant le dos à Roy avec détermination.
Roy le suivit, inébranlable.
- De quoi as-tu peur, Auric ?
- Je n'ai pas peur !
Auric se tourna vers l'homme plus âgé, ses mains se crispant en points le long de son corps.
- Simplement... ça ne va pas marcher, alors pourquoi s'en préoccuper ?
Son corps tout entier tremblait désormais.
- Ne pouvez-vous pas juste laisser tomber ?
- As-tu peur que cela ne marche pas.. ou que cela marche ? Le défia Roy. Tu ne le sais pas, n'est-ce pas ? Et c'est pour cela que tu fuis.
- Je ne fuis pas !
Les yeux d'Auric s'embrasèrent d'humiliation.
Roy soupira.
- Alors parle-moi, Auric. Aide-moi à comprendre. Je ne peux pas t'aider, ni toi ni Alphonse, si tu ne fais pas confiance.
Déjà vu, pensa-t-il avec un amusement las. Cet Elric avait définitivement des problèmes de confiance. Il recula d'un pas, laissant Auric avoir plus de place.
- Crois-le ou non, je me soucie de vous deux. Je veux qu'Alphonse soit en sécurité, moi aussi, donc au moins dans ce domaine, nous avons les mêmes objectifs.
Auric déglutit difficilement. Soudain, il semblait très jeune. Ses prochains mots, pourtant, brisèrent cette illusion.
- Vous avez du whisky ?

***

Roy servit une autre portion généreuse de whisky au Auric encore tremblant. Le premier verre avait été avalé immédiatement, et cela avait semblé calmer la soudaine crise de nerf du Gardien, donc Roy espérait que le deuxième l'aiderait suffisamment pour qu'il puisse parler de ce qui le tourmentait. Le visage d'Auric était très coloré, mais Roy ne pouvait pas dire si c'était le stress, ou la chaleur du feu, ou les effets du whisky. Dans tous les cas, c'était mieux que la pâleur cireuse d'il y a quelques minutes.
- Chaque fois que je vois un cercle – n'importe quel cercle ! - quelque chose en moi semble le reconnaître, dit Auric brusquement.
Il évitait toujours le regard de Roy, et ses doigts serraient son verre si fort que Roy s'inquiétait qu'il puisse se briser, mais au moins sa mâchoire semblait s'être déverrouillée.
- C'est comme un chatouillement aux confins de ma conscience, comme quand vous savez que vous savez quelque chose mais vous ne parvenez pas à savoir quoi.
« Et j'ai... j'ai peur. Et si j'essaye de l'activer et que cela ne fonctionne pas ? Tout le monde veut que je sois Edward Elric. Mais si je ne le suis pas ? Et si la partie de moi qui était lui était mort quelque part ? Est-ce que vous savez ce que ça fait de voir la déception sur le visage des gens dès qu'ils réalisent que je ne suis pas Ed ? Que je ne me souviens pas d'eux ?
Roy se sentit légèrement coupable.
- Mais si j'essaye et que je l'active ? Et si je me souviens ? Il y a une part de moi qui crie que je ne devrais pas savoir ce que c'est qu'un « cercle de transmutation », encore moins comme l'utiliser. Je pense que c'est une part de moi qui a peur de mourir. Parce que si je me souviens... si Ed revient... qu'est-ce qui m'arrive ? Qu'est-ce qui arrive à Auric ?
Auric tourna finalement la tête pour regarder Roy.
- C'est drôle, parce qu'Al disait que je prenais tout cela très bien. Les Gardiens ont la réputation de toujours tout accepter facilement, parce que si vous n'avez pas peur de la mort, qu'est-ce que vous pourriez perdre d'autre qui pourrait avoir de l'importance ? Mais c'est différent, je n'ai pas peur de mourir dans l'action, en tant que moi. Mais simplement disparaître de l'existence parce que vous n'étiez même pas censé exister... c'est différent.
- Ça n'arrivera peut-être pas, tu sais, dit Roy gentiment. Maes a fait quelques vérifications avec des psychologues. Parfois les souvenirs reviennent progressivement, et se fondent avec la nouvelle personnalité. Et parfois les souvenirs ne reviennent jamais – mais ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas ré-apprendre ce qu'on a perdu, ou reconstruire ses relations. Al et Winry t'ont déjà accepté Auric, comme une personne différente d'Ed, même s'il leur manque effectivement. Donne-leur du temps.
- Mais ça pourrait, dit Auric d'un ton morne. Et pour être franc, l'alternative n'est pas bien mieux. Comment pourrait-on vouloir vivre chaque jour sachant que tapie au fond des yeux des gens, des dont l'opinion est importante pour soi, il y a une tristesse tenace que tu ne sois pas quelqu'un d'autre ? Mon existence est à la fois une accusation et une excuse, et honnêtement, ça devient pesant, ajouta-t-il avec un visage désolé. C'est pour ça que je ne pouvais pas parler de ça à Al. Il se sent déjà coupable de sentir comme il se sent. Et je ne peux pas le blâmer. Mais ce n'est pas non plus la chose la plus facile à vivre.
Roy passa en revue dans son esprit différentes réponses appropriées. Non, trop condescendante. Celle-là serait trop banale. Pourquoi pas... non, trop méprisante. Oh bon sang. Auric le regardait avec expectative.
- Je suis désolé.
Roy leva les mains, en désespoir de cause.
- Je... honnêtement, je ne peux pas penser à une seule chose édifiante et suffisamment sage. Excepté que non, je ne peux pas imaginer vivre de cette manière. Et que cette situation toute entière, pour être poli... craint.
Auric ferma les yeux. Roy le regarda avec inquiétude. Puis un petit ricanement émergea des lèvres d'Auric. Le ricanement se transforma en léger rire, et puis il se mit à rire à gorge déployée, un fou rire qui semblait jaillir de quelque part du plus profond de lui. C'était contagieux, et Roy se trouva effondré dans le fauteuil d'en face et abandonné lui-aussi à la douce hystérie. À chaque fois que l'un d'entre eux parvenait à s'arrêter, l'autre lui lançait un coup d'œil et grognait : « Ça craint ! » les envoyant tous les deux dans une nouvelle crise de fou rire. Le relâchement de la tension était palpable, et Roy pensait vaguement, assez inévitable étant donné les événements de la journée écoulée. Il se laissa aller dans le fauteuil, sentant une agréable chaleur se répandre à travers son corps alors qu'il versait la dernière goutte d'ambre dans sa gorge. Auric gargouilla encore une fois, quelque chose qui ressemblait à « bienvenu dans ma vie », puis sembla finalement se calmer, même si ses lèvres étaient toujours crispées. Il releva les yeux vers Roy avec un mélange de résignation et de curiosité.
- Vous avez une craie ?

***

Auric observa avec appréhension le cercle que Roy avait dessiné sur les lames de bois du parquet. L'homme le plus âgé se redressa, dépoussiérant légèrement ses mains.
- Voilà. Un très simple pour commencer. Ce n'est même pas pour une transmutation, seulement un changement d'état.
Il déposa un verre à moitié plein au centre du cercle de transmutation.
- À l'état liquide : de l'eau.
Il s'agenouilla à nouveau et effleura doucement le cercle de ses deux mains, l'énergie crépitant brièvement autour du verre.
- Un changement dans le niveau d'énergie : de la glace. Et de l'eau à nouveau.
Il lui tendit la craie.
- Maintenant à ton tour. J'ai découvert que la plupart des gens trouve ça plus facile d'activer un cercle qu'ils ont eux-mêmes dessiné.
Ses doigts étaient chauds, et poussiéreux, et secs alors qu'ils frôlaient doucement ceux d'Auric, lâchant le bâtonnet de craie blanche dans la main ouverte.
- Vas-y.
Auric hésita, tournant la craie dans sa main. Roy attendit, sans bouger. L'homme blond se mordilla les lèvres avec inquiétude pendant un moment, avant de se ressaisir et de tendre la main avec détermination, inscrivant un cercle devant lui, net dès le première essai. Il jeta un bref coup d'œil sur le cercle de Roy pour s'y référer, puis remplit rapidement le reste du cercle avec des traits fermes et décidés. Roy haussa silencieusement les sourcils et déplaça le verre dans le nouveau cercle.
- Bien. Maintenant, détends-toi et concentre-toi. Il faut être sensible aux flots d'énergie.
Auric considéra le cercle d'un air dubitatif, puis imita les précédentes actions de Roy.
Rien n'arriva.
- Oh et bien, je suppose que c'est tout, annonça Auric.
Le ton était juste un tout petit trop joyeux au goût de Roy, tandis qu'il commençait à se relever du sol. Une main sur son épaule le ramena par terre.
- Quoi ?
Roy lança un regard furieux à l'homme plus petit.
- C'est tout ?
- Qu'attendiez-vous de plus ? répondit Auric avec irritation, repoussant la main de Roy avec plus de force que nécessaire.
- Je m'attendais à ce que tu fasses un effort raisonnable. Gardien.
Roy lança froidement, utilisant toutes ces années d'expérience militaire pour condenser déception, colère et compassion dans le regard qu'il réservait d'habitude à ses subordonnés récalcitrants. Une étincelle s'alluma dans les yeux d'Auric à l'utilisation de son titre et son regard se leva lentement pour rencontrer celui de Roy.
- C'est à peu près la même chose de ce que tu m'as dit, ajouta-t-il sans méchanceté.
- Peut-être que c'est seulement que je ne veux pas.
Le visage d'Auric se figea en une expression familière et têtue.
- Tu n'aurais pas dessiné le cercle si tu ne le voulais pas, réplique sèchement Roy. Mais très bien. Je vais te donner un choix. Tu peux choisir de t'enfuir là, maintenant, loin d'ici, loin d'Al, loin de tous ces gens qui te connaissaient et qui veulent te connaître à nouveau. Ou tu peux rester, et me faire confiance, et surveiller Al comme tu l'as promis. C'est ton choix, Auric. Tu as dit que tu étais assez âgé pour être mature. Prouve-le.
L'objet de sa dérision siffla.
- Ne sois pas condescendant avec moi, espèce de bâtard.
Roy sourit d'un air moqueur.
- Ne me fais pas l'être.
Auric fixa longuement la porte. Fais attention à ce que tu souhaites, pensa-t-il amèrement. Il s'était réveillé le matin de son Jour d'Aleph en voulant se souvenir qui et quoi il avait été, et maintenant il était confronté à cela à fond. Si proche, si facile de ramasser ses quelques possessions et de s'éloigner de toute cette folie. Pour aller où, il ne savait pas, mais juste loin d'ici. De préférence, quelque part où l'univers voudrait bien le laisser tranquille, où il n'aurait pas à prendre de décisions qui semblaient toujours finir par se résumer par un choix de vie et de mort. Une bûche tomba dans le foyer, envoyant un sifflement d'étincelles et de cendres, et ses yeux furent attirés par les braises mourantes dans la cheminée. Il y avait eu des flammes et des cendres aussi, lors du dernier Portail. Et Alp. Son ami. Son frère de plus d'une manière. Il l'avait laissé derrière lui, mort dans cette autre monde, et l'avait retrouvé en Al, ici. Une ligne d'une vieille ballade de Gardien flotta dans son esprit et il soupira. Il n'avait pas le choix dans ce cas, pas vraiment.
- Voyons si le phénix peut renaître de ses cendres, murmura-t-il doucement dans un souffle alors qu'il reportait son attention sur le cercle de transmutation.
Il sentit Roy remuer derrière lui, mais cela se fondit dans les sombres ténèbres alors qu'il se mobilisait et s'ouvrait pour ressentir... un cercle est simplement un soutien pour aider à focaliser les énergies, pensa-t-il distraitement, comme les perles... concentre-toi sur lui et sur ce que tu veux qu'il arrive... ancre-toi...
Ses mains se tendirent vers le cercle, mais il ne toucha pas les lignes de craie. Roy observait avec fascination tandis qu'Auric inclinait sa tête dorée au dessus du cercle. Il pouvait sentir l'air commencer à bourdonner d'énergie alchimique à une échelle qui semble bien trop grande pour un si petit cercle, et il se prépara à intercepter Auric si quelque chose tournait mal. Mais soudainement les énergies semblèrent se focaliser dans les mains d'Auric, se précipitant vers l'avant si brusquement qu'elles semblèrent laisser un vide dans leur sillage, et puis Auric leva la tête, souriant doucement alors qu'il caressait l'air au-dessus du verre, qui s'étirait en une forme différente, s'allongeant en un vase effilé et l'eau aussi changeait de forme, jaillissant des bords du verre et se cristallisant sous la forme d'une unique rose rouge sang.
Roy laissa échapper un souffle qu'il n'avait pas réaliser qu'il retenait.
- Tout de suite en tête de classe, dit-il doucement. Une transmutation dès le premier essai. Tu n'as même pas touché le cercle.
- Je n'en avais pas besoin.
Les yeux d'Auric étaient grands ouverts et lumineux.
- Il ne sert qu'à aider à la concentration. Je pense. Ed n'en a jamais eu besoin non plus, n'est-ce pas ?

Tango de Salon: Une façon de danser le tango caractérisée par des mouvements lents et maîtrisés, en mettant l'accent sur la précision et l'élégance. Le couple qui danse reste à une distance « respectable » l'un de l'autre, c'est-à-dire que leurs corps ne sont pas dans une étreinte étroite.
Le meneur guide le suiveur durant la caminada, ou « la marche du tango » sur le pas croisé, connu sous le nom de cruzada ou trabada.
Les temps six, sept et huit sont la resolución ou la fin.

Full CircleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant