Chapitre 29 : Almost Like Old Times

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Le Fuhrer-elect releva la tête, perplexe. Il pourrait jurer qu'il avait entendu quelqu'un frapper à sa porte, mais malgré son invitation à entre, personne ne l'avait fait. Il devait entendre des choses, les vieux bâtiments avaient souvent des grincements et des craquements bizarres le soir puisque les poutres et les planches chauffées pendant la journée commençaient à refroidir et à se replacer dans leurs solives. Néanmoins... juste pour être sûr, il enfila ses gants, appréciant la sensation du tissu rugueux contre sa peau, savourant être capable de fléchir ses mains sans douleur. Les médecins l'avaient finalement déclaré suffisamment guéri pour qu'il claque des doigts, et il avait ennuyé Hawkeye incommensurablement cet après-midi en laissant échapper des étincelles à droite et à gauche dangereusement près de divers documents très-importants-et-confidentiels. Il ne faisait même pas attention au nouvel impact de balle dans le mur juste derrière et à gauche de là où sa tête se trouvait quand il était assis, et il sourit à la petite imperfection avant de se tourner à nouveau vers sa paperasse, jetant un coup d'œil douteux à la porte encore une fois. Et puis un mouvement dans sa vision périphérique lui fit bouger la tête et il claqua instinctivement en mots et en actes.
- Qui est là ?
Il y eut un grognement étouffé, et puis Edward Elric se tint tout à coup devant son bureau au milieu de son tapis, semblant extraordinairement irrité, des mèches de cheveux tombant autour de son visage à cause de la vitesse de sa téléportation loin de l'explosion de flamme que Roy avait fait surgir.
- Fais attention, bâtard, tu aurais pu blesser Winnie ! Tu ne m'as pas entendu ? J'ai demandé si ça te dérangerait d'ouvrir la porte, mes mains sont pleines !
Et en effet elles l'étaient, au grand étonnement de Roy, alors que Winnie le regardait d'un air douteux et souffla une petite bulle, se tortillant avec enthousiasme dans les bras de son oncle.
- Ah. Fullmetal. Je vois que tous mes subordonnés apparaissent incapables de frapper avant d'entrer. Et je savais qu'il y avait des avantages à être Führer – soirées tardives, mauvais café, devoir ouvrir des portes pour les gens...
Les yeux sombres de Roy brillaient d'un air sardonique, mais au moins il n'agissait pas... eh bien... bizarrement, pensa Ed avec un certain soulagement, si quoi que ce soit, c'était juste comme au bon vieux temps quand Ed revenait d'une mission et avançait en traînant des pieds pour remettre son rapport. C'était tellement plus facile – et tellement plus intéressant – de se livrer à des joutes oratoires avec Roy que cela ne l'était de faire des remarques polis à une bande de femmes ricanantes. Pas qu'il en admettrait jamais autant devant l'homme – quelqu'un devait garder son ego sous contrôle.
- Tu n'es pas encore Führer, et j'ai frappé, connard ! Mais j'ai pensé que me téléporter dans le bureau était mieux que d'abattre la porte. Je pourrai lui donner un coup si tu veux, en souvenir du bon vieux temps.
Les yeux d'Ed voyagèrent lentement des mains gantées de Roy à l'impact de balle dans le mur, et un regard de longue souffrance lui traversa le visage.
- C'est bon de voir que tu es de retour à ton ancienne forme. Hawkeye doit être à bout, Bâtard, ajouta-t-il presque après coup.
Inutile de rompre complètement avec la tradition, après tout.
- Où est tout le monde de toutes manières ?
- Hawkeye est parti retrouver ses parents à la gare, et Havoc a proposé de la conduire. Ils viennent de leur maison à West City pour l'intronisation. Maes était attendu chez lui pour dîner, tout comme Armstrong, et j'ai ordonné à Fuery de quitter le bureau tôt pour une fois – il s'épuisait à régler la logistique autour des différentes délégations diplomatiques, l'hébergement, le protocole et tout le reste.
Ed remarqua que Roy s'était, comme d'habitude, exempté de l'ordre général – parce qu'Ed n'avait aucun doute qu'il s'agissait de rien d'autre qu'un ordre qui avait fait partir Hawkeye – de quitter le bureau tôt et se reposer un peu avant les cérémonies du lendemain. Qu'est-ce qu'il croyait être, un martyr ? Winnie choisit ce moment pour laisser échapper un autre cri aigu, et les sourcils de Roy se levèrent sous sa frange.
- Mon bureau n'est pas une crèche, Fullmetal.
- Va te faire foutre, bâtard. C'est la fille d'Al et Winry, Winnie. Je fais du baby-sitting pour eux ce soir, et elle est surexcitée et a besoin d'être calmée et nourrie, alors je l'ai emmenée dans l'endroit le plus ennuyeux auquel j'ai pu penser.
Et Ed fit sauter l'enfant de haut en bas dans le creux de son bras, les yeux scintillants de défi tandis que Winnie roucoulait joyeusement.
Le visage de Roy ne changea pas d'un pouce, et pourtant il réussit d'une manière ou d'une autre à transmettre le sentiment distinct qu'il questionnait la prudence de la décision d'Al tandis qu'il lançait d'une voix traînante avec un ton suspicieusement neutre :
- Ils ont laissé un bébé. Avec toi.
- Quoi ? demanda Ed sur la défensive et avec un peu d'exaspération. Je suis parfaitement capable de prendre soin d'elle – je prenais soin d'Al quand il était petit, pas vrai ?
Roy continua à l'observer prudemment, et Ed se démonta légèrement.
- Eh bien, j'aidais maman, en quelques sortes. Et les Gardiens aiment les enfants – ils sont comme l'espoir et la promesse d'un nouveau départ. Une fois j'ai dû rester quelques mois avec une famille qui avait trois jeunes enfants.
L'expression du Flame Alchimiste s'adoucit en voyant le célèbre Fullmetal Alchimiste tamponner soigneusement la bave des joues et du menton de sa nièce. Winnie leva les yeux, gloussant, et se concentra brièvement sur le grand homme lui souriant de derrière le bureau. Peut-être que c'était la couleur inhabituelle de ses cheveux sombres et ses yeux brillant bleu-noir à la lumière de la lampe qui attiraient son attention, tellement différente des cheveux de lin qui prévalaient dans son environnement habituel, car elle sourit soudainement, montrant deux petites dents miniatures parfaites, et tendit les bras vers Roy pour être portée.
- Hey ! Protesta Ed tandis que on poids changeait tout à coup. Pas toi aussi, mon ange, il n'est vraiment pas le genre de gars pour qui tu devrais tomber, crois-moi. De plus d'une manière. On t'en trouvera un sympa comme ton papa, pas ce bâtard manipulateur, suffisant, avec son sourire en coin...
- Admets-le, Fullmetal, les belles personnes m'aiment toutes.
Roy sourit narquoisement avec la réplique, et Ed roula des yeux. À la grande surprise du plus jeune, le Flame Alchimiste n'hésita pas, et à la place il tendit les bras pour prendre la petite fille après avoir prudemment enlevé ses gants pour que le tissu rugueux n'égratigne pas sa peau sensible.
- Puis-je ?
Ed soupira.
- Très bien, ne viens pas grimacer vers moi quand bavera sur ton uniforme, oh votre grandeur.
Il fit le tour du bureau et la remit soigneusement au Fuhrer-elect, notant avec une certaine surprise la facilité avec laquelle Roy prit la petite fille et l'arrangea dans ses bras. Winnie gargouilla joyeusement pendant que Roy la caressait doucement sous le menton.
- Entraînement avec Elysia ?
Roy releva la tête en souriant, un petit mais franc sourire qui éclaira son visage et le faisait semble bien plus jeune.
- Un peu... mais surtout d'avoir aidé avec mon frère cadet quand je grandissais.
Ed pencha la tête sur le côté et regarda Roy. C'était la toute première fois que l'homme mentionnait sa famille.
- Tu as un frère cadet ?
Et juste comme cela, l'animation avait disparu à nouveau.
- Avais.
Un masque terne glissa sur ses traits, et Ed dut s'empêcher de crier sur l'homme pour avoir fait cela, pour toujours ériger des murs qui n'avaient pas besoin d'être là pour paraître fort. C'était peut-être nécessaire avec tout le monde, mais pas avec Ed. Ou cela ne devrait pas l'être.
- Je suis désolé.
Des mots banaux venant de quiconque d'autre, mais pas venant d'Ed. Et il pouvait voir que Roy savait qu'il comprenait plus que quiconque n'en avait le droit.
Le Flame Alchimiste hocha la tête, se sentant tout à coup étrangement nu sous ce regard fauve brûlant qui semblait briller plus fort que les lampes dans la pièce, et il dut combattre l'envie de fuir la pièce ou de sauter sur Ed et de lui faire perdre la raison, deux pensées totalement inappropriées pour le futur Führer. Et il s'était promis que, qu'importe ce qui se passerait entre eux, ce serait le choix d'Ed, parce qu'il méritait ce droit et de ne pas être tenu par une promesse faite dans un excès de jeune gauche. Et de toute façon... d'un point de vue purement pratique, le poids de Winnie sur ses genoux le coinçait dans son siège.
- Donc. Tu es venu pour livrer ton rapport, je présume ?
- Ouais.
Et Ed s'affala fatigué sur l'un des petits canapés du bureau, jetant une liasse de papiers sur la table basse et posant ses bottes tachées de boue à côté d'eux. Roy se leva, portant toujours Winnie, et vint s'asseoir en face. Ed était négligemment étendu sur le petit canapé dans ce qui aurait été une position étrange pour quiconque d'autre. Pourtant d'une manière ou d'une autre, avec sa tête penchée vers l'arrière et ses yeux clos, la ligne de sa gorge mise à nu dans la lueur chaude des lampes au bout des tables du fond, il ressemblait un peu à un ange déchu, et Roy se prit à le fixer avec émerveillement. Il arracha ses yeux et s'éclaircit la gorge en toute conscience.
- J'ai entendu dire que tu avais eu quelques... problèmes à la gare.
Ed mit un oreiller sur son visage et grogna.
- Comment diable peux-tu toujours savoir ce genre de choses ? Et pourquoi je m'ennuie à écrire des rapports si tu sais déjà ce que j'ai fait ?
Une tache d'embarras rampa le long de son cou, rendant le bout de ses oreilles roses.
- Je déteste les journalistes.
Le Fuhrer-elect haussa les épaules.
- Ils peuvent être utiles. D'ailleurs, tu devrais t'y habituer – tu es un héros et une célébrité national maintenant. Bienvenue au club.
- N'y avait-il pas un homme sage qui a dit 'Je ne rejoindrai aucune club qui voudrait de moi ?' demanda Ed sèchement de derrière l'oreiller. Sans parler de la liste des membres – tu es dedans. On en a assez dit.
- Penses-y plus comme un enrôlement, conseilla Roy en choisissant d'ignorer précisément la pique avec dignité. Que tu l'aimes ou pas, tes jours de relative intimité sont terminés, à moins que tu aies décidé de devenir un ermite. Et si c'est le cas, je dois insister pour que tu attendes jusqu'après l'intronisation – Maes sanglotera si quoique ce soit tourne mal avec ses 'plans de fête' comme il dit, et je pense vraiment que tu figures de manière proéminente dedans. Il a déjà promis le plaisir de ta compagnie au bal de demain aux différentes délégations diplomatiques. Pour une certaine raison, l'ambassadeur de Xing semble particulièrement désireux de te rencontrer – j'ai entendu dire qu'il avait une sœur qui n'était pas mariée.
Ed arracha l'oreiller de son visage et lança un regard noir à Roy, qui luttait pour rester complètement placide, bien qu'un tressaillement au coin de sa bouche trahisse son amusement.
- Est-ce pour le bien de Maes ou pour le tien, bâtard ? Besoin d'un petit coup de pouce pour ta popularité ?
- Bien que je nie avec véhémence cette dernière suggestion... serait-ce si mal de ma part de te vouloir présent ?
La voix de Roy s'était adouci vers la fin, et il sembla soudain très occupé avec Winnie, qui avait réussi à se débarrasser d'une de ses petites chaussures et était maintenant en train d'essayer de se lever sur les genoux de Roy. Ed s'assit lentement, stupéfait de la sincérité détachée de l'admission.
- Est-ce que c'est un ordre ?
Roy releva la tête, souriant lumineusement, même si le regard dans ses yeux ne l'était pas le moins du monde.
- Une... requête. Un choix.
Ed laissa échapper une respiration qu'il ne savait pas qu'il avait retenue. Il prit un moment pour se ressaisir, voulant que sa voix ne tremble pas lorsqu'il força les mots hors entre ses lèvres soudainement sèches.
- Quelqu'un doit être là pour t'empêcher de prendre la grosse tête.
- Est-ce que c'est un oui ?
- Oui.
C'était presque un rire étouffé, et Ed se demanda comment quelque chose d'aussi significatif pouvait être résumé à un simple petit mot.
- Bien.
Et juste comme cela, la tension déformant l'air sembla se dissiper. Ed se trouva à sourire d'un air idiot, pensa à le supprimer, et décida que cela n'avait pas vraiment d'importance, tandis que les coins des yeux de Roy se plissaient avec affection. Winnie choisit ce moment pour hoqueter une nouvelle fois, et puis sa lèvre inférieure commença à trembloter.
- Mince, j'ai oublié, marmonna Ed en plongeant vers la sacoche. Elle a besoin d'être nourrie. Al m'a dit qu'il y avait une sorte de nourriture pour bébé là-dedans.
Roy regarda le sac abîmé avec scepticisme pendant qu'il distrayait une Winnie pleurnichant avec sa montre de poche.
- As-tu toi-même dîné ?
- J'ai été légèrement occupé au cas où tu ne l'aurais pas remarqué.
La réponse fut laconique alors qu'Ed récupérait une bouteille et la réchauffait avec un bref contact de paumes. Regarder Ed – ou Al, d'ailleurs – pratiquer l'alchimie, qu'importe combien la tache était petite, était toujours un plaisir esthétique qui pouvait être comparé à regarder un athlète dans son sport : efficace, sobre, et avec la grâce qui venait d'une confiance absolue, celle qui venait d'être devenu tellement bon à quelque chose que c'était devenu une seconde nature, comme respire, ou courir, ou rire. Le jeune homme testa quelques gouttes sur son poignet et hocha la tête, satisfait.
- Tu vois, j'ai cet officier supérieur vraiment ennuyant, il a en quelque sorte insisté pour que les rapports soient rendus aussi vite que possible...
Sa voix mourut dans sa gorge tandis qu'il se tournait pour regarder Roy.
- Attends, est-ce que c'était une invitation à dîner ?
- Ça l'était, dit sèchement Roy. Mais puisque tu sembles être entièrement dédié à ton travail...
- Est-ce que tu pourrais être encore plus sibyllin ? grommela Ed bien qu'il rentra la tête pour cacher un sourire pendant qu'une rougeur rosée enchantée que Roy trouva très attirante s'élevait sur ses joues. Très bien – tu peux me débriefer tout aussi facilement autour d'un dîner que de l'autre côté de ton bureau. Et c'est toi qui payes.
Il s'avança pour prendre Winnie, qui tendit les bras obligeamment lorsqu'elle avisa la bouteille sous le bras de son oncle avec une immense satisfaction.
- Vraiment, murmura Roy avec intérêt tandis que l'amusement caché sous le le velours soigneusement neutre de sa voix faisait brusquement relever la tête au jeune homme. J'ai toujours pensé que tu préférais les boxers, Edward.
Le Flame Alchimiste se prépara pour l'inévitable explosion, mais à sa grande surprise, rien ne se produisit. Au lieu de quoi, le jeune homme installa Winnie dans le creux de son bras dans un silence digne, tendant la bouteille à l'enfant avide et s'assurant qu'elle était dans une position confortable. En gardant toujours son visage complètement inexpressif, il ramassa la sacoche et se tourna vers la porte, jetant un coup d'œil par dessus son épaule pour s'assurer que Roy avait récupéré le rapport de plus en plus froissé de la table basse. Roy ouvrit la porte avec obligeance pour lui et l'introduisit avec une courtoisie élaborée, et Ed le dépassa en exultant une hauteur précieuse et moralisatrice tandis qu'il câlinait sa nièce d'un air protecteur et refusait de le regarder dans les yeux. Ce ne fut que quand Roy se tourna pour verrouiller la porte de son bureau derrière lui qu'il entendit le baryon distinctement enroué d'Ed ronronnait quelque chose qui le forcerait à observer très attentivement une partie très spécifique de l'anatomie d'Ed durant tout le chemin jusqu'au restaurant tandis qu'il essaierait de déterminer s(il était manipulé... ou si c'était vrai.
- Et moi qui pensais que tu avais tout compris, Roy – tu ne peux pas vraiment mettre quoi que ce soit sous ce pantalon, tu sais.
Ed releva sa tête dorée et s'éloigna dans le couloir, ses sens de Gardien lui disait que Roy traînait derrière lui dans un silence stupéfait. Il sourit d'un air suffisant pour lui-même tandis qu'il glissait le bavoir de Winnie plus solidement sous son menton. Fullmetal – 1, Flame – 0.

***

- C'est sympa.
Winry sourit, alors qu'elle posait son menton sur ses mains croisées et elle regardait d'un air joueur à travers ses cils la haute silhouette de son mari de l'autre côté de la nappe de lin blanc.
- C'est dur de croire qu'une guerre a jamais eu lieu, pas vrai ?
Un air de musique flottait dans l'air depuis le quatuor à cordes dans un coin, pas assez fort pour masquer le bourdonnement agréable des conversations et des rires dans le restaurant bondé tandis que des couples, des familles et des amis célébraient le retour de la paix et d'un nouveau chef. Il y avait un air d'excitation refoulée dans l'air, et le Green Lion étant la sorte de restaurant qu'il était, Winry était presque sûre que la grande majorité des clients assis autour d'elle assisterait tous au bal d'inauguration le lendemain soir. Et elle aussi ! Pour tout ce qu'elle préférait les salopettes aux robes et qu'elle était la plus heureuse avec de la graisse jusqu'aux coudes, qu'elle n'était plus une enfant aux yeux remplis d'étoiles et qu'elle était une mère en plus, il y avait encore assez de la fille en elle pour que la jeune femme ressente des papillons d'excitation dans son estomac quand elle considérait le fait indéniable qu'elle, Winry Rockbell Elric, allait aller au bal avec son propre prince, et elle soupira avec une satisfaction profonde.
Al releva les yeux d'où il était occupé à plisser le bord de la nappe sur ses genoux. Il avait déjà réorganisé les cubes de sucre dans le sucrier par couleur et renversé le petit vase en argent au milieu de la table à trois reprises.
- Bien sûr. Sympa. Pas de guerre. Tout à fait.
Il trouvait encore cela difficile d'exprimer à Winry comment avait été la guerre, la dévastation, la mort et la destruction... la ligne qu'il avait presque franchie, et pour être honnête, la juxtaposition bizarre de ce cadre entièrement civilisé et de ses souvenirs des tentes couvertes de boue et des hommes couverts de sang avec la peur dans leurs voix lui donnait des mots de tête. Il comprit tout à coup pourquoi Ed et Roy avaient été si désespérés de le garder de l'autre côté de cette ligne qu'ils avaient franchi bien avant... il était à peu près certain qu'il trouverait cela impossible d'être assis là à écouter sa femme lui parler brillamment des plantations de printemps et du dernier potin local dans leur petite ville autrement. Tel que cela était, il avait le sentiment qu'il bougeait dans un monde de rêves déformé, comme voyant la réalité reflétée dans une bulle de savon scintillante et extensible qui était magnifique et éclairée par le soleil que vous saviez pouvoir éclater et disparaître à n'importe quel moment.
Havoc, parmi tous, lui avait parlé de ses sentiments une fois, essayant d'expliquer au très jeune Major Elric pourquoi ses hommes engagés venaient en confiance vers lui, leur officier commandant, pour des conseils sur comment gérer le monde dans lequel ils étaient revenus. Le Capitaine grand et maigre pouvait être surprenamment loquace quand il l'envie lui en prenait.
- C'est comme... c'est comme être un fantôme, tu sais ? avait dit Havoc en jouant avec un mégot de cigarette dans ses doigts longs et nerveux. Bouger dans un monde sans en faire partie, un monde que tu pensais vouloir, mais que tu t'es battu pour préserver, mais un monde dans lequel les gens ne comprennent pas ce que tu as traversé parce qu'ils ne le peuvent pas, parce que personne ne peut à moins qu'ils aient été là en réalité. Avec le temps, pour la plupart des gens, ça passe... tu tournes la page, tu te fais part de la vie normale à nouveau. Pour certains par contre, ça n'arrive jamais, et sans personnes qui comprennent, c'est... c'est dur.
- Est-ce que c'est passé pour toi ? avait demandé Al. Est-ce que quoi que ce soit aide ?
- En partie. Je suis un garçon de la compagne, je prends les choses facilement. Jamais voulu plus que de servir mon pays, trouver une fille sympa et avoir ma propre famille. Et maintenant j'ai deux de ceux-là, et avec un peu chance le troisième viendra avec le temps. Mais de temps en temps, je me souviens de certaines choses. Et je n'ai même pas vu le pire de tout ça.
Havoc avait écrasé son mégot de cigarette sous sa botte.
- Les gens comme le Général et le boss, ils ont vu et fait plus que je ne peux ne serait-ce que commencer à imaginer. Je ne sais pas comment ils font pour tenir le coup et continuer. Mais ils le font et c'est pour ça qu'on les suit. Qu'on les respecte. Qu'on les aime.
- Ils ont le soutien l'un de l'autre. Et ils nous ont nous.
- Ça c'est bien vrai, avait approuvé facilement Havoc. Ça rend les choses plus faciles pour eux, de beaucoup de façons, parce qu'ils se comprennent l'un l'autre comme personne d'autre ne le peut. Sinon, pourquoi penses-tu que Roy courre les filles mais ne tombe jamais amoureux d'aucune d'entre elles ? Avec quelqu'un qui ne comprend pas – une petite amie civile, une femme, ce genre de choses – c'est souvent plus simple de la laisser tranquille, surtout si l'on tient à elle. Ils se plaignent de vouloir savoir ce qui s'est passé, mais ils ne le veulent pas, pas vraiment. Et n'est-ce pas l'innocence que nous luttions pour préserver ?
Al avait acquiescé, remercié l'homme pour son point de vue, et s'était éloigné pour réfléchir à ce nouveau développement. Il ne l'avait pas vraiment ressenti à ce moment-là, bien qu'il ait procuré une oreille attentive et des conseils à plus que quelques soldats désemparés et quelques jeunes Lieutenants, mais maintenant, assis là à la table entourée par des civiles qui bavardaient et qui n'avaient probablement pas vu grand-chose des retombées de la guerre, il secouait la tête devant sa naïveté. Avoir Ed avec lui l'avait protégé de devoir à se réengager proprement dans le monde réel et dans un mode de vie normal, puisqu'il avait été en mesure de retomber simplement dans le rythme facile et al compréhension qui faisait leur lien, et la même chose avait sûrement été vraie pour Ed, bien qu'Al ait toujours des difficultés à oublier le regard dévasté et perdu dans les yeux de son frère la nuit où il avait expliqué la signification de sa cicatrice. Winry, de l'autre côté, faisait partie du monde réel, et en tant que tel un déclencheur secouant pour ce sentiment étrange d'irréalité. Il était toujours reconnaissant de l'avoir comme son guide pour retourner à une vie de paix. Son front se plissa quand il se demanda si son frère serait capable de s'adapter à ce monde entièrement nouveau qu'il avait aidé à façonner. Mais Ed avait Roy. Certainement ensemble, ils iraient bien ?
Winry fronça les sourcils à la note de distraction dans la voix de son mari. Al avait été convenablement attentif au début du dîner, coupant une silhouette fringante dans son uniforme avec sa chaîne de montre argentée qui attirait l'attention à sa ceinture, et les regards admiratifs lancés dans leur direction par les autres dames avaient été à la fois une source d'irritation et de fierté intense pour elle. Comme la soirée s'éternisait, cependant, Al était devenu de plus en plus distant, offrant des réponses monosyllabiques à ses questions bavardes. Ce n'était pas comme cela qu'un mari qui avait été séparé de sa femme pendant des mois était supposé se comporter, bon sang !
- Al.
Et le ton tranchant dans sa voix lui fit relever la tête rapidement.
- Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Rien. Tu disais que tout semblait pareil à nouveau, pas vrai ?
Al plaqua un regard sérieux et attentif sur son visage. Il avait toujours été meilleur à cela qu'Ed. Malheureusement, il s'y essayait sur l'une des rares personnes qui pouvaient lire dans les frères Elric comme dans un livre ouvert. Sa femme renifla.
- Al...
Il y avait des désavantages à épouser quelqu'un d'aussi observateur.
- Tout va bien, Winry. Tu as fini ? Est-ce que je devrais demander l'addition ?
Une petite main se tendit à travers la table pour retenir impérieusement son bras alors qu'il levait son bras pour demander le serveur.
- Nous n'irons nul part tant que tu ne m'auras pas parlé et expliqué pourquoi ton esprit a été n'importe où sauf ici pour la dernière demi-heure, Alphonse Elric.
Al fixa sa femme de l'autre côté de la table. Winry était clairement énervé contre lui, la lueur joyeuse qui avait illuminé son visage un plus tôt se fanant tandis que ses yeux céruléens lançaient des éclairs d'avertissement vers lui, et il ressentit une pointe de culpabilité pour ruiner sa soirée. Elle avait raison, il n'avait pas pensé à elle, ou à leur charmant dîner, ou à quoi que ce soit à part...
- Je suis désolé, Winry. J'étais juste inquiet à propos de Grand frère.
- Autant que tu devrais l'être, murmura Winry en croisant les bras et en s'asseyant d'un air rebelle. Je ne peux toujours pas croire le culot de ce pervers...
- Pas comme ça, Winry, grogna Al en rougissant légèrement. D'ailleurs... le Général et Grand frère... ils fonctionnent, d'une manière ou d'une autre. Je ne sais pas comment te l'expliquer. Tu as juste à les voir ensemble...
Et son esprit retourna tout ce jour affreux, tellement affreux, quand Ed avait pris par la Porte encore une fois. L'expression sur le visage de Roy était quelque chose que l'esprit d'Al évitait de se rappeler avec trop de détails, ce qui était probablement une bonne chose. Et puis quand Ed leur était revenu... Al ferma ses yeux, voyant les deux silhouettes se détacher sur l'arrière de ses paupières, tellement proches qu'elles semblaient presque n'être qu'une personne, flammes et cendres et poussière fouettant l'air autour d'elles alors qu'elles ignoraient tout si ce n'est la sensation que l'autre était réellement là, vivant, en sécurité... Il se libéra du souvenir et leva les yeux pour rencontrer le regard perplexe de sa femme.
- Ce n'est pas ça. Ils s'aiment – ils ont besoin l'un de l'autre – tout ira bien. Tu verras.
Winry laissa cela passer, bien que la moue de sa bouche disait qu'elle n'était pas entièrement convaincue.
- Dans ce cas, de quoi s'agit-il ?
Al haussa les épaules.
- J'ai seulement... c'est étrange de ne pas être avec lui, c'est tout. Nous avons toujours été ensemble.
- Tous les trois, acquiesça Winry avec un sourire de réminiscence jouant sur ses lèvres. Depuis que nous sommes petits. Jouant la colline. Se retrouvant dans les ennuis pour avoir pris les pommes du voisin sans permission...
Sa voix mourut dans sa gorge alors qu'Al avait l'air mal à l'aise. Son mari était l'âme la plus honnête qu'elle connaisse, et même la plus petit tergiversation occasionnait un immense inconfort – c'était l'une des choses qu'elle aimait le plus à propos de lui. En ce sens, il était bien plus prévisible qu'Ed, qui était bien meilleur pour 'la fin justifie les moyens'. Il devait l'être, étant donné son rôle de frère aîné, supposa-t-elle.
- Quoi ?
- Je voulais dire lui et moi, Winry.
Al se mordit, la lèvre, tâtonnant pour un moyen de s'exprimer.
- Tu sais. Comme quand nous cherchions la Pierre Philosophale. Et même récemment. Presque comme au bon vieux temps. Nous contre le reste du monde.
- Presque comme au bon vieux temps, fit-elle écho d'une voix caverneuse en se sentant devenir engourdie tandis qu'elle luttait pour comprendre. Quand vous me laissiez derrière et que vous partiez pour vos missions, juste vous deux, dans une grande aventure que vous ne vous êtes jamais ennuyés à m'expliquer ou à me dire.
Elle pouvait entendre le venin dans sa voix, et cela l'effrayait.
- Winry, s'il te plaît.
Al lutta pour garder le ton de sa voix raisonnable.
- Tu sais pourquoi nous ne pouvions...
- Oh, je sais pourquoi vous ne pouviez pas – mais vous n'avez jamais voulu non plus ! siffla-t-elle en essayant de ne pas attirer l'attention sur elle et en luttant contre les larmes qui lui brûlaient les yeux. Et tu as raison, c'est tout simplement comme au bon vieux temps – vous deux abandonnant tout et tout le monde pour l'autre... moi, Mamie... quant est-il de Winnie, est-ce que tu vas l'ignorer pour Ed elle-aussi ?
Elle fixa ses genoux, ses doigts se tordant et se nouant avec sa serviette tandis qu'elle se réprimandait de réagir de façon excessive, mais elle était impuissante face à la montée irrationnelle de peur qui la paralysait, le sombre secret dont elle n'avait jamais parlé à personne, la peur d'être à nouveau abandonnée comme ses parents l'avaient fait. Elle savait qu'ils n'en avaient pas eu l'intention, savait qu'ils avaient fait ce qu'ils croyaient être leur devoir solennel en tant que médecins quand ils l'avait laissée avec Mamie Pinako et étaient partis à la guerre, mais cela ne changeait pas le fait qu'ils n'étaient jamais revenus. Ed et Al avaient juré qu'ils seraient là pour elle à l'époque, mais cela avait été avant que leur mère ne meurent et qu'ils ne soient mêlés à des forces qui dépassaient sa compréhension et qu'ils aient été forcés de la quitter eux-aussi. La différence était qu'Al était revenu à elle, et avait promis de ne plus jamais la quitter, et avait scellé cette promesse avec un enfant. Elle était presque honteuse d'admettre que pendant qu'Ed lui manquait terriblement, une petite part d'elle, égoïste, avait été heureuse de ne plus avoir à rivaliser avec lui pour l'attention d'Al. Mais maintenant il était de retour, et la petite fille en elle tremblait à l'idée que le lien entre les frères attirent une fois de plus Al aux côtés d'Ed, oubliant sa promesse de rester avec elle.
- Eh, dit doucement son mari en se levant et faisant le tour pour s'agenouiller à côté de sa chaise en ignorant les expressions surprises des autres consommateurs du restaurant. Winry. Regarde-moi.
Une main douce se referma sur ses poings emmêlés, arrêtant ses mouvements nerveux.
- Ce n'est pas comme ça. Je t'aime et j'aime Winnie, tu le sais. Je ne vous quitterai jamais à moins que ce ne soit important, et je reviendrai toujours. Mais tu ne peux pas t'attendre à ce que j'arrête de m'inquiéter pour Ed juste parce que j'ai dans ma vie maintenant. C'est une sorte d'amour différent ici – nous n'avions que l'autre quand nous avons perdu maman, et nous avons toujours veillé sur l'autre. Toi et moi avons cela seulement parce qu'il s'est sacrifié pour moi il y a quatre ans, tu te souviens ? Je lui dois tellement... il m'a donné la chance de vous avoir, toi et Winnie. Alors ne me fais pas choisir entre vous deux. S'il te plaît.
Winry baissa les yeux, incapable de rencontrer le regard gris pellucide d'Al, se sentant comme la pire personne qui soit à cet instant. Elle prit une profonde inspiration tremblante, sentant la chaleur des mains d'Al autour des siennes, des mains calleuse et fortes qui connaissaient leur propre force et la tenait aussi légèrement et soigneusement que si elle était faite de verre soufflé.
- J'ai seulement... je sais. Je sais, Al. Et tu sais j'aime Ed aussi. Seulement... s'il te plaît... promets-moi que tu te souviendras que tu es un père maintenant. Nous ne sommes plus les enfants que nous étions... tu as d'autres responsabilités aussi, pas seulement de veiller sur Ed. Winnie a besoin de toi ici... j'ai besoin de toi ici.
Et elle se pencha en avant et l'embrassa sur le front, posant sa joue brièvement contre ses cheveux de sable en un geste d'excuse et d'affection avant de se retirer pour le regarder avec des yeux sérieux.
- Promets-le moi.
Al sourit, cette expression sereine qui le faisait toujours paraître étrangement sage au-delà de ses années.
- Je le promets, Winry. Par ailleurs...
Et un soupçon de malice se glissa dans ses yeux alors que son sourire s'élargissait un peu.
- J'ai le sentiment que je ne suis pas le compagnon que Grand frère choisira pour franchir la prochain étape du chemin de sa vie avec lui. Il préfère les bruns, tu vois.
Les clients du Green Lion furent surpris par une soudaine explosion de rires hystériques venant d'une certaine table, mais personne n'osa se plaindre à la direction. Après tout, le grand Alchimiste d'État aux larges épaules avait l'air d'une force formidable dans son uniforme, même s'il était actuellement étendu contre un pied de la table, haletant pour de l'air et son visage devenu pourpre à force de rire. Et la blonde aux yeux bleus qui se penchait dans son fauteuil apparaissait avoir une clé à molette coincée dans sa jarretière.

***

J'ai une bonne nouvelle ! J'ai officiellement terminé de traduire les derniers chapitres, ce qui veut dire qu'il ne reste aucune raison pour que je ne poste pas jusqu'à la fin. Et ce, même si je reprends les cours lundi...
En plus j'ai aussi eu le temps de relire intégralement mes 214 pages (et oui, ça chiffre !) donc je vais sûrement remplacer les chapitres déjà postés par des versions corrigées (mais ne vous inquiétez pas, l'histoire ne change pas d'un iota !)
J'espère que vous continuerez à apprécier cette histoire ! Bye !

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