Chapitre 1 (partie 1)

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- Monsieur ! Monsieur ! Vous devez absolument voir cela !

C'était un ouvrier, casquette sur le front et pioche à la main, qui traversait toutes les salles du château dans un état d'excitation anormal. Parfois, il s'arrêtait, levait les yeux en soupirant un bon coup pour se remettre de la surprise qu'il venait de subir, avant de reprendre ses cris à travers le château :

- Monsieur...

Le baron était dans son bureau, penché sur un rapport qu'un ancien domestique, aujourd'hui au château du comte d'Aubissac, lui avait envoyé. Il étudiait le document d'un œil soucieux et légèrement satisfait. Mais en entendant les cris, il frémit et redressa la tête.

- Monsieur, s'écria l'ouvrier, on a découvert quelque chose. Il faut que vous veniez.

- Je suis occupé, lâcha le jeune baron, agacé.

- Je crois que nous avons découvert un trésor.

Certains mots avaient le don d'affoler tout particulièrement le jeune homme et celui de "trésor" en faisait partie. Il perdait alors tout son sang-froid et laissait ses yeux briller avec fièvre.

- Monsieur, un trésor, je crois, répéta l'ouvrier heureux de ce soudain regain d'intérêt.

Le baron partit le premier et fila vers ses appartements où il se faisait construire une salle de bain moderne. Déjà, il ne retenait plus un large sourire qui surprenait l'ouvrier, peu habitué à ces marques d'euphorie.

En cassant le mur, les ouvriers avaient découvert une petite cassette, fermée par un cadenas. Elle trônait maintenant au centre de la pièce, comme une relique sacrée qu'ils n'osaient toucher. Le jeune baron ignora les ouvriers et s'en saisit sans trop de façon pour la porter dans son bureau. Là, il ferma la porte à clé, les fenêtres et les volets, et se pencha sur la cassette.

- Qu'est-ce que tu me caches, toi ?

Il n'avait pas de clé, rien, pour l'ouvrir. Et qui sait depuis combien de temps cette petite cassette dormait dans les entrailles du château ? Face à l'objet, le jeune baron eut soudain le pressentiment qu'il venait de toucher à un secret de famille profondément enfoui, peut-être dangereux... Et le danger l'excitait d'une manière particulière : n'avait-il pas passé toute son enfance à fuir les dangers qui menaçaient de partout ? Alors pourquoi le recherchait-il maintenant ?

- Trêve de plaisanterie. Il va falloir t'ouvrir...

Et le jeune homme ne voulait pas casser le mécanisme qui la fermait. Il réfléchit longuement, tourna autour de l'objet durant peut-être une heure et finit par se décider :

- Marie ? Allez me chercher un serrurier.

- Où voulez-vous que j'en trouve un ?

Il se tourna vers elle en haussa un sourcil, presque choqué qu'elle lui pose cette question. Qu'elle se débrouille après tout !

Tandis qu'elle parcourait la campagne à la recherche de ce serrurier introuvable, il retourna à son travail. Seule l'ombre de la cassette maintenait son inquiétude bien présente. Il jetait régulièrement des regards plein de curiosité vers elle en rêvant à ce qu'elle pouvait contenir, avant de se replonger dans son travail.

- Monsieur, le serrurier est là.

- Montrez lui la cassette. Dites-lui que je la veux ouverte, sans qu'on l'ait forcée, d'ici une heure.

Le serrurier ouvrit de grands yeux ronds et acquiesça. Nicolas hocha la tête et replongea dans ses notes.

C'est en fin de journée que cette cassette put finalement être ouverte. Le jeune baron avait le cœur battant. Il ne savait trop quoi découvrir, et ne sût s'il devait s'étonner en ne découvrant qu'un simple carnet trop petit pour occuper toute cette petite cassette.

Mais ce carnet devait avoir quelque valeur... Il congédia l'artisan, sans même lui jeter un coup d'œil pour lui dire au-revoir, pressé de découvrir ce qui se cachait derrière ce mystère.

- Monsieur dînera ce soir ? Questionna Marie en passant la tête dans son bureau.

- J'ai du travail, je ne prendrais rien. Que tout le monde aille se coucher. Je ne veux personne dans cette aile, entendu ?

Le personnel était habitué aux lubies du jeune homme. On ne fit pas de réflexions et on obéit. Nicolas voulait être absolument seul avec son carnet...

"Comment sortir de cet enfer ? J'ai compromis ma vie et celle de ma femme et mon fils, pour un peu d'ambition et ce que je croyais être de la ruse. Et maintenant ?

Cher Loup Blanc... Oh non, pas cher ! Détestable, exécrable, méprisable ! A quoi bon révéler le monstre qui est en toi ? Personne ne me croira. On me prendra pour un fou. Et tu viens de me prendre ma femme. Pourrais-je survivre sans elle ? Tu me voudrais mort, Loup Blanc ! Tu voudrais que ma race entière périsse entre tes doigts pour venger l'affront que je t'ai fait. Oh... Je pourrais m'écraser, mordre la poussière et m'écraser. Supplier. Peut-être m'épargnerais-tu. Peut-être épargnerais-tu mon fils. Mais tu sais que j'ai trop de fierté et bien trop d'ambition pour m'écraser. Alors, je préfère laisser quelques pouvoirs, en héritage, à mon fils.

S'il tombe sur ce carnet, c'est qu'il est malin, ou qu'il a de la chance. On m'appelait Sisyphe : j'ai voulu être trop malin et la mort m'a rattrapé. Mon fils saura-t-il se montrer le digne fils de Sisyphe ?

Alors voici tout ce que je peux lui donner : nous avons un trésor, un trésor immense. Et pour ce trésor, on a voulu me tuer. Peut-être, quand tu liras ces lignes, serais-je déjà mort.

Cherche le Loup Blanc. Le Loup Blanc et ses sbires. Et qui sont-ils ? Des passionnés du passé : parle-leur si tu veux du caducée d'Hermès, de la canne de Nestor, de l'épée d'Alexandre ou de l'aulos de Marsyas et leurs yeux se mettront à briller. Ils te regarderont avec méfiance. Ils chercheront peut-être à en savoir plus sur toi. Mais ne leur parle pas du gant de Midas, oh ! Ne leur parle pas du gant de Midas, si tu tiens à ta vie.

Reste prudent surtout. Mais pas trop : tout ce que je peux te léguer, c'est cette chasse au trésor bien trop dangereuse pour toi mais qui fera de toi, si tu réussis, le maître incontestable de la capitale. Laisse l'ambition te dévorer un peu et surveille tes arrières. Montre toi digne d'être mon fils,

Alphonse d'Elby,
Ou Sisyphe."

En refermant le carnet, Nicolas se fit la réflexion que son arrière-grand-père avait écrit ces lignes... Et qu'elles semblaient toujours être d'actualité. 

Le Fils de Sisyphe Où les histoires vivent. Découvrez maintenant