Chapitre 9 (partie 1)

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La piaule où on l'avait logé n'était pas bien grande, bien loin des fastes de son hôtel particulier surveillé par la police et le Loup Blanc, mais au confort bien supérieur à la geôle dans laquelle il avait vécu ces dernières années.

Nicolas ne se souciait pas de son confort. Le mode de vie spartiate qu'il avait adopté durant son enfance l'avait détaché des considérations matérielles. Seuls quelques détails importaient : quelques pierres précieuses, une épée, son carnet. Sa canne était avec lui, décoration surprenante dans ce sobre décors, mais Nicolas avait tenu à la récupérer. Il y avait toujours une lueur de tendresse quand il la regardait, comme si elle possédait une âme, lui murmurait des secrets et charmait le jeune homme. Les pierres précieuses scintillantes dessinant la trompette de Clio faisaient porter sur la cane leur aura mystérieuse.

Son carnet était là aussi, comme un double de son esprit qui n'existait que traduit par ces quelques mots maladroits. Une manière de se reprendre en main et de se rappeler l'essentiel. Il écoutait les bruits infimes affleurant de la rue. Une oreille distraite n'aurait perçu qu'un amas confus de sonorités désagréables, mais Nicolas aimait jouer et prendre le temps de distinguer la femme qui discutait du beau temps avec sa voisine, de la voiture qui écrasait les pavés de la rue, du triste grondement du vent. Les yeux rêveurs, d'une rêverie étrange qui ne l'avait jamais pris auparavant, il laissait sa plume en suspension et se demandait... Se demandait s'il pouvait aimer tous ces gens, s'il était encore temps, s'ils pouvaient encore l'accepter, se demandait où l'intelligence, la ruse et l'ambition le mèneraient.

"Et si j'aime, écrivait-il, serais-je naïf ? Ai-je le droit d'aimer quand on veut ma peau, mes richesses et le trésor mystérieux qui réside en mes terres ? Il y a des hommes qui croisent mon chemin et qui n'osent me faire confiance car je n'ai jamais su aimer, sinon utiliser, dominer, transformer."

- Nicolas ! Qu'est-ce que tu fais ?

Le jeune homme redressa la tête et jeta un coup d'œil au calendrier : 14 janvier. Il n'avait que quelques heures.

- Tu te rappelles ce que je t'ai dit, Léonard ?

L'homme le regarda sans rien dire, acquiesçant simplement, se rappelant les conseils amicaux du jeune baron, insistant, insistant surtout, sur sa sécurité : Nicolas voulait retrouver Léonard en vie et en liberté, une sollicitude étonnante qui avait marqué le père de famille.

- Et toi ? Jamais ils ne vont approuver ton plan, crois-tu les berner suffisamment longtemps en leur faisant croire que c'est toi qui va poser la bombe ? Ils vont te tuer, Nicolas. Gustave Bertin a dit que ta liberté...

- Mais je ne lèverais pas la main sur l'empereur. J'ai bien trop à risquer et on me soupçonnera.

Il se leva, avec une rapidité nerveuse, bien trop conscient du fait que le soir qui vennait lui apportait le danger et le souffle de Thanatos. Mais il commençait à traiter avec la Mort comme on traite un plan d'épargne, un transfert de fonds d'entreprise, ou une réforme des finances.

- Écoute, il faut que tu déclenches l'alarme en quittant la pièce où est dissimulé l'aulos pour qu'on sache que l'Empereur est volé.

Il souleva une trappe et en sortit un aulos en tout point identique à celui que possédait Napoléon III. Léonard fronça les sourcils.

- J'ai fait fabriquer une réplique il y a une semaine, expliqua Nicolas. J'ai montré l'original à un spécialiste avant de reposer la copie il y a trois jours.

- Je vais voler un faux ?

- Ce soir, ce qui compte, c'est qu'on sache que l'Empereur est volé. L'alarme ne se déclenche que si la porte est forcée. Je connaissais le code (un coup de chance des dieux). Mais je ne te le donnerais pas. L'entreprise sera délicate : échapper aux gardes du palais, les semer et...

- Il faut que je te l'amène ?

- C'est plus compliqué que cela. Tu sais où je serais ? Je me suis arrangé avec Orsini, non sans mal car il était convenu que je participe directement à l'attentat, pour arrêter la voiture au moment où notre Italien lancera sa bombe.

- C'est-à-dire ?

Nicolas sentait sa nervosité augmenter tandis qu'il débitait son plan et qu'il mesurait un à un toutes ses failles, tous ses risques, comme des clins d'œil que la Mort lui faisait.

Il s'assit sur son lit, attrapa sa canne qu'il observa attentivement, attendri. Et lentement, méticuleusement, nerveusement, il révéla chaque parties du plan soigneusement conçu durant ses nuits blanches à rêver à la lune. Il insista sur les difficultés, il insista d'autant plus qu'elles étaient nombreuses. Et il regarda par la fenêtre le jour pointer en se disant que la nuit qui venait aurait déjà balayé toutes ces difficultés. Léonard se décomposait à mesure que le jeune homme énumérait son plan et vint finalement s'adosser au mur en fermant les yeux pour dissimuler une lueur d'inquiétude.

- C'est l'ambition, Nicolas. Ton plan, c'est l'ambition, par sa complexité et par l'objectif poursuivi. On t'avait dit que c'était ce qui mènerait à ta perte. Tu l'as déjà éprouvé en cinq ans de prison. Pourquoi recommencer ?

Le jeune homme repensait à la discussion surprise entre Napoléon III et son ministre alors qu'il était caché tout près d'eux. Il eut un sourire un peu fin, un peu triste, un brin amusé :

- La chance a tourné, Léonard. Elle est venue me dire qu'il était temps pour moi de retrouver ma fortune, ma richesse et ma puissance.

- L'ambition, c'est mal et tu le sais. Elle te pousse à trahir, à voler, à tuer. Elle retourne contre toi la multitude des ambitieux. Elle te rend seul et te détruit.

- C'est justement pour cela que j'ai imaginé ce plan. Pour sortir de ma solitude et commencer pour de bon mon ascension dans Paris.

- Toujours les mêmes refrains. Je suis fou de te suivre, Nicolas...

Le Fils de Sisyphe Où les histoires vivent. Découvrez maintenant