Chapitre 8 (partie 3)

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Des gravats recouvraient un sol pierreux. Des bâches dormaient sur les outils, car le toit n'était pas encore fixé. Il était difficile de se repérer au milieu de ses murs sans vie, attendant quelques années encore avant d'accueillir leurs propriétaires.

Nicolas tentait de se rappeler le plan qu'il avait aperçu dans un livre de son arrière-grand-père, petit feuillet abandonné qui mentionnait simplement comme titre : passage secret de la chapelle de l'Élysée, demeure de la Pompadour, au n°18 de la rue de l'Élysée. Un petit carton à côté mentionnait : "j'ai acheté l'hôtel particulier du n°18 sans savoir que ce passage existait. Mais il est toujours utile de connaître les secrets des lieux de pouvoir". Le jeune homme avait su plus tard que son grand-père avait revendu le n°18. Pour mener sa guerre contre celui qui se faisait appeler le Loup Blanc sous le règne de Napoléon Ier.

Là où se trouvait autrefois la bibliothèque, Nicolas devait trouver une porte dérobée. Mais les travaux avaient bouleversé l'aménagement de la pièce et le jeune homme eut peur que le passage n'ait été condamné. Il fit le tour des murs, cherchant un son creux, un peu perdu par le nouvel agencement des pièces. Il finit toutefois par découvrir une trappe qui ouvrait sur un escalier en pierre en colimaçon. Cette découverte le fit sourire : si le passage n'était pas condamné, c'était que l'empereur comptait peut-être en faire usage un jour. Sans doute pour l'une de ses favorites, si ce n'est qu'on ne lui connaissait pas encore de favorite.

Il récupéra une torche qui trainait au milieu des outils du chantier et s'engagea sans crainte dans le passage. Il savait qu'il devait aboutir sur une chapelle au rez de chaussée. La nuit du trente-et-un décembre avait fatigué le château qui ne se sentait pas le besoin de prier. La chapelle était vide et Nicolas se faufila rapidement jusqu'au salon des Cartes. Il ne se trouvait plus qu'à quelques mètres de la chambre de l'empereur et pourtant le château dormait.

Quelques serviteurs passèrent, sans prêter attention à ce monsieur bien habillé fort occupé avec les papiers sur le bureau. Les ministres avaient leur congé aujourd'hui et Nicolas ne s'inquiétait guère d'être repéré.

- Il n'y a plus que l'antichambre entre moi et l'empereur, sourit-il, parce que j'ai une chance du diable d'avoir découvert ce passage.

Mais il n'avait pas besoin de voir l'empereur. Il voulait découvrir où se trouvait un certain objet précieux, pour revenir le voler le jour de l'attentat et ainsi faire diversion. C'était l'arrangement qu'il avait trouvé avec les Italiens : il offrait la diversion et Orsini se chargeait de la bombe.

La porte était ouverte et Nicolas pouvait voir passer les gens dans l'antichambre de l'empereur. Il jetait de temps à autres un coup d'œil pour s'assurer que personne ne venait et c'est ainsi qu'il put noter à temps la porte de la chambre de l'empereur s'ouvrir sur Napoléon III. Il se cacha rapidement derrière une armoire et glissa un oeil dans une fente. Le chef de l'État était accompagné par l'un de ses ministres et semblait de mauvaise humeur. Il s'arrêta un instant dans la pièce où s'était caché Nicolas pour lui dire :

- Je ne comprends toujours pas que vous ne me le disiez que maintenant ! Cela concerne l'un des secrets d'État les mieux gardés et vous devez m'en informer dans la seconde-même où vous en avez connaissance.

- Nous venons à peine de quitter la période des fêtes et je ne voulais pas vous importuner avec ce genre de détail, se défendit le ministre.

- Détail, grommela l'Empereur en reprenant sa course dans le palais.

C'était la première fois que Nicolas le voyait. Une cinquantaine d'années, un uniforme bien sanglé, couvert de décorations et un air sec, un peu soucieux. Le jeune baron sourit en se promettant qu'un jour ils se rencontreraient dans les formes. Mais aujourd'hui, c'était lui l'homme en fuite.

Il suivit discrètement l'Empereur, le vit entrer dans la chapelle, jusqu'à s'engager dans le passage secret. Nicolas comprit que c'était son jour de chance et qu'il était sur le point de grapiller quelques secrets. Des lambeaux de conversation lui parvenaient encore :

- Vous croyiez que ce n'était qu'une affaire de meurtre et vous n'avez pas fait le lien, tout imbécile que vous êtes, avec l'affaire du Loup Blanc.

C'était de lui qu'il s'agissait et Nicolas dressa l'oreille.

- On ne l'a pas oublié en prison pour rien... L'Empire n'a pas besoin que le secret de l'aulos de Marsyas s'ébruite trop, et c'est assez de Monsieur Bergelet pour le convoiter.

- Monsieur Bergelet...

- Est sous contrôle. Jamais il n'osera porter la main sur l'Empire où je m'assurerais de sa chute. Ce petit baronnet surgi de nulle part, ce Nicolas d'Elby, était complètement hors de contrôle.

- Le procès était truqué ?

- Bien sûr qu'il l'était ! C'est pour cela qu'il vous faut le retrouver, le tuer, ou l'enfermer dans la pire des prisons, le plus loin possible de l'aulos de Marsyas. Au bagne de Cayenne par exemple.

Ils disparurent dans le passage secret et Nicolas se décida à les suivre. Mais il n'y avait aucune lumière dans le couloir souterrain, comme s'il avait avalé l'Empereur et le ministre qui venaient d'y entrer. Intrigué, le jeune homme se cacha dans un confessionnal et attendit qu'ils ressortent. Il mit à profit ce temps d'attente pour s'interroger sur ce qu'il venait d'entendre et qui compliquait sérieusement ses plans pour l'attentat.

Il avait prévu de faire en sorte qu'aux yeux du monde le Loup Blanc semble le premier suspect de cet attentat, relié à l'aulos de Marsyas qu'il convoitait depuis si longtemps. Mais si Nicolas volait l'aulos, ce n'était pas Bergelet qu'on allait d'abord soupçonner, mais lui. Et cela ne l'arrangeait guère. Il voulait gagner la confiance de l'Empereur et voilà que celui-ci venait de souhaiter juste devant lui son envoi au bagne.

La porte dérobée se réouvrit et les deux hommes de pouvoir quittèrent la chapelle pour poursuivre ailleurs leur discussion. Nicolas s'introduisit à son tour dans le passage, cherchant une ouverture quelconque dans l'un des murs qui le conduirait... Il ne savait trop où. Il tâtonnait nerveusement, pressait les pierres une à une, cherchait un mécanisme secret.

Un pan de mur se retourna brusquement et l'emporta dans une pièce secrète. Là, sur un coussin, l'aulos.

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