Chapitre 15 (partie 2)

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- Il était une fois...

- Connaître le passé, c'est s'approprier les forces du Loup Blanc et du Cercle des Archéologues. L'Ignorance a trop longtemps été l'alliée de Thanatos.

Il embrassa Ambre, se laissa glisser nu à côté d'elle et passa un bras autour de son cou. Elle le regardait de ses yeux ensorceleurs.

- Il était une fois, en 1793, Alphonse d'Elby. La sentence tombe : condamné à mort par le Comité du Salut Public. La foule hargneuse, l'échafaud, le bourreau. Le couperet va tomber. Un cri, une malédiction : je vous maudis tous, et le fils de Sisyphe viendra accomplir cette malédiction.

Nicolas écoutait attentivement, pendu aux lèvres de la jeune femme.

- Où as-tu trouvé cela ?

- L'un des membres a pris le temps de retracer ces événements dans l'un des carnets...

- Qui ?

- On l'appelait le Loup Blanc et mon père lui a succédé. Le fils de Sisyphe viendra accomplir cette malédiction.

Cette fois, c'est elle qui l'embrasse, comme pour prendre possession de son corps tout entier. Avant de reprendre :

- À la création du Cercle, tous avaient promis de veiller sur les artéfacts antiques issus de leurs fouilles conjuguées. Sous les ors étouffants de la Grèce, l'aristocrate qui te sert d'ancêtre découvre un objet d'une extrême valeur qu'il se promet de protéger comme la prunelle de ses yeux. L'objet mythique fait de son possesseur un être mythique aux richesses intarissables. Le gant de Midas dont tu connais le mythe...

Nicolas ferma les yeux, rêveurs. Il était une fois un roi de Phrygie aux origines de la Grèce ayant reçu des mains de Dionysos la grâce de pouvoir tout changer en or. Mais cette fortune était aussi malédiction puisqu'elle empêchait cette tête couronnée de boire et de manger. Il était une fois un gant doré abandonné par un roi de Phrygie, enfoui dans un caveau doré, recueilli par le Sisyphe moderne.

- Dont je connais le mythe, répéta Nicolas.

- Il voulut garder pour lui l'objet d'une grande valeur et maudit le Cercle qui cherchait à le lui arracher. Il maudit le Cercle et promit sa destruction. Le Loup Blanc fit jouer ses relations au sein des révolutionnaires. Et la tourmente de 1793 emporta ton arrière-grand-père.

- Il restait mon grand-père, du sang des Sisyphe.

- Il prit la fuite, en Angleterre favorable aux aristocrates français, pour revenir plus tard réclamer ses terres, ignorant le trésor qui y reposait. Toutes les manigances du Loup Blanc n'avait pas pu aboutir à retrouver le gant de Midas. Il fallait racheter les terres. Les guerres révolutionnaires et napoléoniennes constituaient un frein à cette entreprise. Mais ton grand-père finit par trouver la mort, au moment où ton père devenait assez âgé pour reprendre le flambeau. Son combat fut de courte durée et il te laissa orphelin. Tu n'avais que quelques mois.

- Ils ignoraient qu'ils possédaient le gant de Midas.

- C'est l'orgueil qui fait tenir ta famille, Nicolas. Il aurait fallu remettre le gant au Cercle.

Le jeune homme se mit sur le dos et se perdit dans la contemplation de la fresque étoilée au plafond.

- Voilà une belle histoire, conclut-il dans un sourire.

- Je t'ai dit ce que je savais. Tout ce que je savais. Ai pitié de mon père qui n'a fait que combattre une famille parjure. Ta famille, Nicolas. Ce sont des objets dangereux et tu n'as pas à t'acharner ainsi pour te les approprier.

Le jeune homme eut presque l'air déçu. Il se leva, enfila un pantalon en jetant un coup d'œil au soleil qui se levait dehors. Il devait aller travailler. Mais Ambre le retint par le bras et laissa un baiser sur ses lèvres.

- Alors ?

- Tu ne m'as pas tout révéler. Tu me caches quelque chose ou tu ignores toi-même un détail d'importance. L'une ou l'autre alternative me chagrine car je ne voudrais aimer ni une menteuse, ni une idiote.

- Je ne t'ai rien caché.

- Crois-tu...

Il ouvrit la porte pour sortir, mais la jeune femme le rattrapa sur le pallier. Elle avait elle-même un peu de mal à comprendre la réaction de son amant et paraissait sincèrement désolée. Percevant son trouble, Nicolas soupira :

- Je préfère idiote à menteuse. Juste à côté de notre chambre, sommeille la promesse d'une réconciliation entre deux partis qui s'affrontent depuis quatre générations. Pour lui, je donnerais tout ce que j'ai. Pour lui, je serais l'homme honorable que je n'ai jamais été et que je n'ai jamais cherché à être. Pour lui, je détruirais et anéantirais tous ceux qui promettent des misères à mon propre sang. Je veux en faire un roi, un empereur, un dieu. Je veux que la France entière, consciente ou non de ce trésor, s'incline sur son passage. Qu'importe le gant de Midas. Mais le Loup Blanc ne peut pas vivre si notre enfant veut grandir en paix.

- Nicolas, tu parlais d'une réconciliation... Bergelet est son grand-père. Songe au fait qu'il ne représente peut-être pas une menace. Par pour son petit-fils en tous cas.

Il lui jeta un regard étrange qu'elle ne sut comment interpréter. Elle prit un ton désespéré pour demander :

- Qu'est-ce que tu me caches ? Est-ce qu'il y aurait autre chose à savoir à propos de mon père ? Je t'ai tout révéler. Ton arrière-grand-père est un traître au Cercle, nourrissant des pensées avides. Ta famille a risqué sa vie pour poursuivre ce but malsain. Et toi-même, tu te laisses prendre au piège de l'avidité.

- Je n'ai jamais été quelqu'un de moral.

- Deviens-le. Pour ton fils. Renonce à cette quête infructueuse. Rend l'aulos (ne me mens pas, je sais que tu l'as), le gant de Midas et tous les autres artéfacts à l'Empereur. Pardonne à mon père. Et laissons notre fils grandir en paix.

- Tu es naïve, Ambre.

Il dévala les escaliers, saisit sa canne. Mais elle le rejoignit d'un pas furieux et la lui arracha des mains, sentant croître en elle une colère inexplicable :

- Qu'est-ce que tu me caches ? Pourquoi est-ce que tu ne libères pas mon père ? Il pourrait s'exiler. Je pourrais le convaincre.

- Mais il ne le fera pas, répondit tout aussi brusquement le jeune homme. J'ai mis du temps à comprendre pourquoi il ne quittait jamais sa canne, d'allure si particulière. J'ai effectué quelques découvertes. Incrédule, j'ai creusé et creusé longuement, avec l'aide de mon ami libraire. Alphonse d'Elby ne s'opposait pas au Loup Blanc parce qu'il voulait garder pour soi le gant de Midas. Il s'opposait au Cercle parce qu'il savait que le Loup Blanc jouait en solitaire. Son surnom n'est pas né de nulle part, mais des critiques acerbes de mon ancêtre à son encontre. Le gant de Midas aurait enrichi considérablement le prédécesseur de ton père. Et la preuve en est que le canne qui ne le quitte jamais, la canne de Nestor, allonge sa durée de vie. L'ancien Loup Blanc, que ton père a rencontré mourrant quand il venait voler chez lui, dans sa prime jeunesse, a vécu plus de cent trente ans et connu trois générations des Sisyphe. Et le mythe de Nestor... Le mythe, Ambre...

- Dit que Nestor a vécu trois générations.

- Crois-tu vraiment que notre fils, le deuxième Sisyphe que rencontre ton père, soit en sécurité avec un Loup Blanc en liberté ?

Le Fils de Sisyphe Où les histoires vivent. Découvrez maintenant