Chapitre 12 (partie 3)

32 7 0
                                    

- Sanjivani ! Comment allez-vous ?

- Mieux depuis que je vous vois, jeune homme ! Si vous saviez comme je vous suis reconnaissante...

- Avez-vous une liste de vos clients habituels ? Et de ceux que vous fournissez en opium ?

- Pour les clients qui viennent ici, oui. Mais quant à ceux que je fournis en opium, il y en a dans toute la France ! Et à l'étranger ! Le trafic s'est bien développé grâce à vous.

- Montrez-moi votre livre des comptes, demanda Nicolas soudainement très curieux.

Le salon de thé, qui comprenait également un fumoir d'opium dans une salle adjacente, bien situé au centre de la capitale, faisait fureur depuis qu'il avait ouvert ses portes trois ans auparavant. Sanjivani avait finalement renoncé à rejoindre l'Inde, touchée qu'elle était par le luxe délicieux de la fortune. Mais elle vouait une admiration exagérée au jeune baron qui lui avait offert cette richesse.

Elle le conduisait dans un petit bureau et ouvrit un vieux livre tout effrité qui lui servait déjà lorsqu'elle était dans son petit réduit parisien. Une liste infinie, à en perdre la tête, s'égrennait, que le jeune homme parcourut rapidement. Il sortit un calepin pour noter les habitués qui possédaient un nom un peu plus renommé que les autres. Ils ignoraient en venant ici qu'ils tombaient sous la botte du jeune baron, aussi longtemps que l'addiction les dévorerait.

- Et les commandes pour l'étranger ?

- Je les ai mises à part.

Nicolas nota conscensieusement les adresses. Il était possible que l'une d'elle soit celle de Bergelet. Ne s'était-il pas arrangé pour lui faire goûter l'opium après l'affaire de l'attentat ? Il enverrait toutes ces informations à Léonard.

- Bien, veille à ce que les tables dans ce coin-là ne soient pas occupées (je ne veux pas être dérangé) et apporte-moi dans un quart d'heure deux tasses de ton meilleur thé. J'attends un invité important.

Il vint s'asseoir près d'une fenêtre et regarder passer les passants. Perdu dans ses pensées, il ne sentit pas ses doigts se crisper sur son pantalon, son pied se mettre à battre frénétiquement le sol et l'anxiété le gagner. Quand il revint à lui, il posa une main sur son genou pour le calmer et s'efforça de se détendre, presque honteux de s'être ainsi relâché.

Le comte d'Aubissac venait d'entrer. Les battements de cœur du jeune homme s'accélèrent, hésitant entre avidité, curiosité et désespoir. Il se leva pour serrer la main du comte et l'invita à s'asseoir.

- Vous êtes-vous décidé ? Lui demanda d'emblée le père de Louise.

- Oui, il faut que je me range. Et Louise me semble un bon parti.

Le comte d'Aubissac ne retint pas un large sourire, profondément heureux, et ajouta d'une voix qui contenait mal son émotion :

- Je vous laisse lui faire votre demande. N'hésitez pas à la surprendre : elle est très romantique.

Nicolas s'en était déjà rendu compte. Mais son interlocuteur reprit une mine grave et se pencha sur une petite malette avant de sortir un document qu'il lui montra :

- Il s'agit d'un contrat de fiançailles, que nous mettions tout de suite les choses au clair. Je précise qu'elle est ma seule héritière et que je m'engage à vous aider dans l'affaire que vous savez.

- Attendez... Que signifie ce symbole ?

Sur le haut de la page, dans un petit cercle, il y avait un symbole : une trompette au-dessus d'un parchemin... D'un volumen. Nicolas comprit soudainement :

- La trompette et le volumen sont les symboles du cercle des Archéologues.

- Comment le savez-vous ?

Il se leva alors pour aller chercher sa canne et montrer la graphie qui se trouvait sur la paume.

- Je m'étais renseigné sur ce symbole que je trouvais étrange. Mais on ne m'avait parlé que de Clio.

- Ce sont bien les attributs de Clio, muse de l'Histoire et par extension des passionnés d'archéologie que nous sommes.

- Pourquoi mettre ce symbole sur un contrat de mariage ?

- J'ai discuté avec les membres du cercle, excepté Bergelet. Ils sont d'accord pour vous soutenir : ils menaceront, comme moi, de révéler tout ce qu'ils savent du cercle à la presse si Bergelet ne le quitte pas pour vous laisser la place.

Le jeune homme laissa échapper un sifflement, sincèrement surpris par la tournure que prenait cette affaire. L'enjeu était de taille et il était heureux soudainement d'avoir pris la décision de se marier.

- Très bien. Racontez-moi tout.

- Le cercle a été créé au début du règne de Louis XVI, par le comte de Bormes qui revenait de Grèce troublé par l'étrange acquisition qu'il venait de faire.

- Et qui était ?

- Le caducée d'Hermès. Il en discuta avec plusieurs de ses amis, eux aussi passionnés d'archéologie, et découvrit rapidement qu'il existait d'autres objets du même type. Conscient du danger qu'ils pouvaient représenter si jamais une personne un peu plus malhonnête que les autres venaient à tomber sur ces objets, il proposa la création du cercle des Archéologues. Pour y entrer, il faut apporter l'un de ces objets magiques. Seuls les héritiers directs ont le droit de connaître l'existence du cercle. Par un serment, nous jurons de ne jamais utiliser ne serait-ce qu'un seul de ces objets.

- Et où sont-ils ?

- Traditionnellement, le président en a la charge et les garde dans un coffre. Mais une fois par an, il ouvre le coffre pour nous montrer que tous les objets sont bien là. Une autre mission du cercle est de collecter d'autres objets antiques et magiques. Nous savions que l'aulos de Marsyas était en Egypte et avions engagé de grands moyens pour le retrouver. Mais Napoléon Bonaparte engagea son expédition en Egypte l'année où nous avons découvert la flûte. Frappé qu'un tel objet existe, il nous le racheta à prix fort et nous promit qu'il serait à l'abri dans ses coffres. Cet événement a toujours représenté l'une des plus amères défaites du cercle. Monsieur Bergelet a tenté à de nombreuses reprises de récupérer l'aulos. Mais l'Empereur lui a toujours assuré qu'il était à l'abri dans ses coffres. Je ne pensais pas que Monsieur Bergelet irait jusqu'à le voler.

- Et qu'avez-vous sur ma famille ?

- Je crois que le président nous cache beaucoup de choses. Il nous a simplement expliqué que votre ancêtre avait volé l'un de ces objets et comptait bien s'en servir à son propre compte. Il s'agissait du gant de Midas.

Il y eut un silence, pendant que Nicolas méditait sur ce qu'il venait d'entendre. Et si le Loup Blanc avait raison ? Et si c'était sa famille qui était en tort après avoir voulu un peu de pouvoir ?

- Et le gant de Midas, reprit Nicolas, vous savez ce que c'est ?

- Je n'ai jamais su pourquoi cet objet était particulièrement dangereux ou puissant. Mais vous avez compris pourquoi nous vous acceptions dans le cercle, prêts même à vous en donner la présidence : il vous faudra retrouver ce gant de Midas.

Nicolas haussa les épaules, ne sachant toujours pas où pouvait se cacher un tel objet.

- Une dernière question : pourquoi ces noms de code ?

- Oh, tout le monde n'en a pas. Pour le Loup Blanc, c'était un jeu au départ. Ils voulaient donner un aspect ésotérique à cette société et votre ancêtre, Alphonse d'Elby, proposa de donner comme titre au président ce pseudonyme. Je ne crois pas qu'il ait beaucoup plus de signification...  Quant à Sisyphe, mais vous ignorez l'origine de ce nom ? Les premiers membres du groupe connaissaient la passion qu'avait votre ancêtre pour les surnoms. Après sa fuite et son départ du cercle, il a été particulièrement à traquer. Le surnom est venu de lui-même pour marquer au fer rouge celui qui osait défier la mort et les dieux.

Le Fils de Sisyphe Où les histoires vivent. Découvrez maintenant