- Très belle histoire, commenta le jeune homme. Je ne vois pas où est la barbarie que vous dénoncez tous, mais l'histoire est belle.
On lui lança quelques regards de travers auxquels il ne prit pas garde. Il était soudainement tout intrigué par la jeune femme qui leur avait livré le récit.
- Excusez-moi, dit-il à Louise en se levant.
La jeune femme paraissait presque l'attendre, un verre de champagne à la main, tout près de la fenêtre. Elle lui adressa un petit sourire ironique quand il lui demanda :
- Très belle histoire. Pourquoi ai-je le sentiment d'être le seul à partager cet avis ?
- Vous ne vous embarrassez pas de présentation, vous.
- C'est que j'ai le sentiment que vous n'êtes pas le genre de femme à vous montrer tatillonne sur les introductions. Auriez-vous préféré que je demande à ma ravissante compagne, Louise d'Aubissac, de m'introduire auprès de vous ?
- Qui êtes-vous ?
- Le baron d'Elby. Mais à qui ai-je l'honneur ?
- Ambre Bergelet... À votre air ébaubi, je devine que vous reconnaissez le nom de cet investisseur financier qui possède aujourd'hui l'une des plus riches fortunes de France... C'est seulement pour ma fortune que l'on m'invite. On ne m'aime pas.
- Vraiment ? Questionna encore le jeune homme, de plus en plus ensorcelé par le charme étrange de la jeune femme. Ils ont bien tort. Mais pourquoi vous rendre dans des salons où vous êtes cordialement haïe par tous ?
- Parfois, j'ai quelques curiosités à satisfaire.
Elle ne précisa pas, gardant un suspens mystérieux sur ses paroles. Mais Nicolas eut le pressentiment qu'il n'était pas étranger à ces curiosités à satisfaire... Un bref instant, le vertige le saisit.
- Si vous parlez toujours par énigme, je comprends que votre présence ne soit pas recherchée partout.
Mais elle fit non de la tête, armée d'un léger sourire ironique.
- Vous croyez ? Oh, mais l'on raconte des histoires bien plus étranges sur moi...
Quelles histoires ? Nicolas laissait son armure de glace s'envoler pour se laisser prendre d'intérêt pour cette jeune personne. Un intérêt passionné, dont il se rendait à peine compte et dont il ne percevait pas encore le danger.
- Des histoires de sorcellerie, de brigandage... On dit que je fais des choses mauvaises, que j'exerce une mauvaise influence sur les gens, que je suis bizarre...
Mais Nicolas n'en souriait que plus. Il posa un doigt sur les lèvres de la jeune femme et lui souffla :
- Je ne veux pas le savoir. Moi, je n'ai pas à critiquer une femme aussi belle que vous, je...
- Que vouliez-vous me dire ? L'interrompit-elle. Pourquoi être venu me chercher dans mon coin ?
Nicolas s'apperçut du vertige qui l'avait saisi et en eut presque honte. Il toussota pour reprendre contenance, et...
- Votre histoire...
- Oui...
- Vous aimez la Grèce Antique, n'est-ce pas ? En êtes-vous passionnée ?
- Comment cela ?
- Je cherche une érudite en la matière, qui puisse me renseigner. Voyez-vous...
Il mit sa canne en pleine lumière pour lui faire observer la paume. Les pierres précieuses renvoyèrent leurs éclats dans toute la salle, ce qui fit qu'un instant tous les regards se tournèrent vers le jeune homme.
- Quel bel ouvrage, souffla la jeune femme. Vous aimez être au centre de l'attention.
- Oui, mais regardez de plus près... Tenez, admirez la finesse des détails... Cette trompette vous rappelle-t-elle quelque chose ? Je m'y connais mal et je me demande si elle n'est pas l'attribut de quelque divinité grecque.
Au trouble qui empourpra le visage d'Ambre, le jeune homme sût qu'il avait touché juste : ce symbole évoquait sans doute plus qu'une simple divinité. Nicolas se plaisait à imaginer que la trompette était le signe de quelque organisation secrète. Et peut-être n'avait-il pas tout à fait tort.
- Un bien bel ouvrage, répéta simplement Ambre. Mais un peu démodé. À qui appartenait cette canne ?
- Il me semble qu'elle appartenait à mon arrière-grand-père. Mais je n'en suis pas si sûr, voyez-vous... Ma famille semble touchée par une malédiction : tous ses membres meurent dans leur jeunesse, ne laissant chaque fois qu'un héritier pour perpétuer cette malédiction. Je n'ai pas connu mon père, qui n'a pas connu le sien, qui n'a que très peu connu mon arrière-grand-père. Comment voulez-vous que les secrets de famille se transmettent de génération en génération ? Il ne reste que les objets, parfois une chasse au trésor.
- Une chasse au trésor ?
L'intérêt d'Ambre s'était ranimé si vivement que Nicolas eut peur d'en avoir trop dit. Il décida d'éluder la question :
- Qui sait ? Peut-être bien. Mais je vois que cette canne vous laisse perplexe. Que diriez-vous de m'accompagner demain chez un de mes amis bibliothécaires ? Cette mystérieuse trompette est peut-être le point de départ d'une réelle chasse au trésor.
Ambre le considéra gravement quelques instants, légèrement désorientée. Elle peinait à comprendre ce que désirait véritablement Nicolas : était-ce une manière de la courtiser ? Cherchait-il à en connaître davantage sur elle ? Ou pensait-il réellement que pareille enquête l'intéresserait ? Mais bien malgré elle, elle désirait également en connaître plus sur ce jeune homme qui ne cessait de la surprendre.
- Ce serait avec plaisir.
Il convint donc d'un rendez-vous avec la belle avant de la saluer, le cœur battant. Il aurait aimé resté plus longtemps en sa mystérieuse compagnie, mais il savait que Louise, qu'il n'avait que trop délaissée, ne le lui pardonnerait pas.
- Que faisiez-vous avec cette possédée ? Siffla Louise quand il revint vers elle. Prenez garde... Ses contes sont des charmes qui débauchent les hommes les plus honnêtes. Je ne sais quelle sornette elle vous a sorti, mais ne vous laissez pas attraper dans ses filets.
Les regards du jeune homme glissaient encore vers Ambre et ne parvenaient pas à s'en défaire. Il y avait son extraordinaire beauté, pleine d'une gravité et d'une majesté enivrante, à couper le souffle dans sa lourde crinoline en brocard rouge. Et ses yeux sombres si profonds qu'on s'y plongeait corps et âme... Elle avait tout de l'enchanteresse en effet.
- Vous voyez, bouda encore la jeune fille. Vous ne la quittez plus des yeux. Et c'est moi que vous étiez venu voir aujourd'hui. Je vais finir par me plaindre.
Elle avait cela d'une voix si triste que Nicolas sortit de sa rêverie pour se tourner vers elle :
- Ne croyez pas cela. Je parlais affaire avec elle : j'aurais aimé rencontrer son père pour une affaire trop compliquée pour vos beaux yeux, Louise. Mais je n'ai rien vu en elle qui justifie vos accusations envers elle. Elle n'a rien d'une débauchée.
- On ne la voit jamais nulle part. Elle se cloître. Je ne sais pas ce qui l'a fait sortir de son terrier, aujourd'hui. Quelque curiosité malsaine peut-être, ou du moins un solide prétexte. Elle ne fait rien pour tenter de se marier et ne cherche même pas à démentir les rumeurs qui courent sur son compte. On dit qu'elle arpente les rues nocturnes de la capitale pour voler, se prostituer ou même tuer dans le but d'accroître toujours plus la fortune déjà indécente de son père.
- C'est une histoire abracadabrante, lâcha Nicolas qui la prenait pourtant très au sérieux. Et vous y donnez crédit ?
- On dit que c'est ainsi que son père a fait fortune et qu'ils sont tous ainsi dans leur famille.
- Alors, il me faut rencontrer son père, murmura pour lui-même Nicolas, le regard toujours rivé sur Ambre qui ne le quittait pas des yeux.
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Le Fils de Sisyphe
Fiction HistoriqueGagnant Wattys 2021 1854. Nicolas d'Elby découvre un carnet dissimulé dans la roche de son château. Un trésor, des secrets de famille, des artéfacts antiques aux origines mythiques et une malédiction semblent être tout l'héritage du jeune homme. Et...