Nicolas s'appuya contre le mur près de la porte. Il tendit l'oreille, à l'affût du moindre bruit, le cœur battant. Il tentait de calmer sa respiration qui s'était emballée quand il avait compris qu'on venait pour lui... Rester calme... Ne pas penser qu'il vivait peut-être les dernières secondes de sa vie, qu'il n'avait rien d'un surhomme, que la mort se faisait de plus en plus proche à mesure que les grincements dans le couloir se rapprochait... Et ces sifflements... On murmure à côté, on s'apprête à attaquer, on vient pour lui.
La mort se glisse dans sa peau de serpent fourbe et silencieux. La mort en a assez de revenir à chaque génération chercher son baron d'Elby. Elle en a assez de se démener pour les réduire à néant, recommencer à chaque génération, repousser le rocher encore et encore... Si elle tue le fils de Sisyphe, elle en aura définitivement fini avec elle. Perspective alléchante !
Mais Sisyphe a pu tromper la Mort. Il est même expert en cette œuvre. Il lègue à son fils ce talent inné, son fils si rusé et bien plus ingénieux que lui. Alors le fils de Sisyphe ne parviendra-t-il pas à en venir à bout ?
Un bref éclair de lumière passa à travers les carreaux. Nicolas cligna des yeux, ébloui, et crispa ses doigts sur le poignard avec plus d'anxiété. Une autre équipe grimpait par l'extérieur. On voulait le prendre en étau. Pour mieux l'étrangler.
"Et si je meurs... La race d'Elby cesse de vivre. Ce combat de trois générations aura été vain et c'est moi, le malheureux qui ne mérite pas mon appartenance à cette race, qui aura été cause de son échec. Et si je meurs, je ne saurais même pas pourquoi je meurs, je ne saurais même pas pourquoi mes parents sont morts, ni mes grands-parents et arrières-grands-parents. Imbécile fini !"
Nicolas se sentait impuissant, comme s'il était simplement exposé au milieu d'un désert, prêt à recevoir les foudres de la mort, prêt à s'effondrer d'un seul coup dans la chaleur et la puanteur de la haine ambiante à l'égard de lui et de sa famille. Qu'avait-il vécu ? Qu'avait-il fait de sa trop courte vie ? Il n'avait fait que croître dans un cocon étouffant hors duquel on ne voulait que sa mort. Voilà qu'il en sortait, voilà qu'on le tuait.
"Ne pas te croire surhumain. Mesure bien le pétrin dans lequel tu te trouves avant d'agir inconsidérément." Se répétait-il en broyant presque le poignard qui se trouvait dans sa main tant son anxiété croissait. "Mesure bien le pétrin dans lequel tu te trouves," gemissait-il en observant avec une attention désespérée tout ce qu'il entourait. Mais le placard, le lit et la commode n'étaient pas des cachettes envisageables ; les seules ouvertures étaient bouchées par ces grincements et murmures que l'on entendait dans ce silence nocturne angoissant ; et quelle aide attendre ?
L'imbécile ! En bon enfant gâté, il s'était dit qu'on viendrait le sauver si telle situation arrivait un jour, ou que son intelligence l'aiderait à rester en vie. Mais maintenant que faire ?
Il avisa sa canne dans un coin et décida de s'en saisir. Elle serait plus féroce que le poignard ridicule qu'il écrasait nerveusement. Mais que faire seul contre une équipe de sbires déterminés à voir le soi-disant monstre qu'il était réduit en poussière ?
Et l'aube pointait...
Il n'eut pas le temps de s'interroger plus longtemps... La porte s'ouvrit violemment et deux hommes en jaillirent. Deux hommes explosèrent la vitre de sa chambre pour y pénétrer. Nicolas en prit un par surprise, qu'il frappa au genou, prenant ainsi une sorte de revanche à la balle qu'il avait lui-même reçu. L'homme s'écroula à terre en hurlant. La colère seule avait guidée le geste de Nicolas. Une colère aveugle et stupide puisqu'elle attira immédiatement l'attention sur lui. Mais il s'évita la peine de réfléchir et se jeta sur l'homme le plus proche. Il le désarma et voulut feinter quand son épée rencontra une autre lame. Son adversaire venait de sortir d'un coup brusque son épée. Le duel s'engagea. Il ne s'agissait pas tant de tuer pour Nicolas que de se tirer d'affaire en parvenant à sauter par la fenêtre.
Mais déjà, dans le duel, son genou le dérangeait terriblement. Il ne pouvait qu'avancer jambe tendue, en serrant les dents pour oublier la douleur qui faisait tressaillir tout son corps comme s'il recevait quelques milliers de poignards. Alors sauter ? L'idée lui paraissait terrible. Mais vivre ? Il était fou de vouloir vivre à tout prix, cherchant désespérément la maigre interstice de vie qu'on lui laissait quand on le haïssait si férocement. Mais il était fou, fou d'envie de vivre et vivre encore, vivre la vie que sa famille n'avait jamais pu vivre.
Nicolas sauta sur le rebord de la fenêtre et fit tourner sa lame sur elle-même pour enfoncer la pointe au niveau de la clavicule de son adversaire. Le genou en feu, il n'hésita pourtant pas à sauter et se rattrapa à la corde dont s'étaient servi ceux qui avaient grimpé jusqu'à sa fenêtre. À terre, il voulut courir, mais au premier pas qu'il fit il comprit qu'il ne pourrait pas en faire un deuxième. La douleur qui avait jailli de son genou avait été si fulgurante qu'il avait manqué de s'évanouir. Mourir alors... Mourir... Vraiment ?
Les deux sbires restant le rejoignirent avant même qu'il n'ait eu le temps de les chercher du regard. Au moment où le premier posa pied à terre, Nicolas l'aggripa par son habit et l'attira contre lui pour plaquer son épée contre sa gorge, s'en servant comme bouclier pour éviter au second de tirer.
- Ne tirez pas ! Cria-t-il. Ou je le tue.
Et pour marquer ses mots, il appuya plus encore son épée sur la gorge du malheureux.
L'imbécile ! Il ne savait pas dans quoi il s'engageait : un coup partit et son bouclier s'effondra à terre, mort.
- Lui, on s'en fiche, commenta le tireur. Toi, on te veut mort. Qu'importe le prix.
Le genou blessé du jeune homme l'empêchait de se lancer dans un numéro d'acrobaties impressionnants. Il était dos au mur, prêt à mourir.
- Pourquoi ?
L'autre haussa les épaules et appuya sur la détente. Nicolas s'écroula sur les pavés de la rue.
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Le Fils de Sisyphe
Fiksi SejarahGagnant Wattys 2021 1854. Nicolas d'Elby découvre un carnet dissimulé dans la roche de son château. Un trésor, des secrets de famille, des artéfacts antiques aux origines mythiques et une malédiction semblent être tout l'héritage du jeune homme. Et...