Chapitre 10 (partie 2)

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Le Petit Journal, gazette du 18 mai 1858

- Demandez le journal ! Rebondissement dans l'affaire du Fils de Sisyphe ! Le baron d'Elby gracié par l'Empereur ! Demandez le journal ! Un sous la feuille ! Demandez le journal...

Un béret sur la tête, pieds nus et un paquet de journaux à la main, l'enfant s'égosillait dans la rue, arrêté régulièrement par quelques passants. Quatre ans auparavant, l'affaire avait marquée les esprits. Mais depuis, on avait un peu oublié. On s'étonnait, on achetait la feuille. On avait un peu oublié. L'article rappelait les événements à ces bourgeois pressés.

" Vous rappelez-vous de ces étranges séries de meurtre dans les rues de Paris ? On parlait d'un tueur en série. On murmurait le nom de Sisyphe. Pourquoi ce nom ? Nul ne le sait. Nicolas d'Elby, dévoilé sous ce surnom étrange, n'a jamais voulu révéler l'origine de cet étrange surnom. Mais le sait-il lui-même ? Voilà quatre ans, il était condamné à la prison, sans s'être réellement défendu : lui-même devait se croire coupable. Mais voici qu'au cours des festivités de Noël, des complices l'aident à s'enfuir. Les assassinats vont reprendre, croit-on. L'Empereur subit un attentat d'Orsini. Le baron est sur les lieux. Mais il n'est pas accusé. Il est gracié. Pourquoi ? 

Je vais vous révéler le fin mot de l'histoire. Le baron n'était pas le seul à être sur les lieux, lors de l'attentat. Il n'était même pas toujours présent lors des meurtres de 1852. Mais une autre personne l'était : le sieur Bergelet, aussi connu sous le nom du Loup Blanc (pourquoi ? Mais qu'est-ce que j'en sais ! Qu'ils les gardent leur surnom !). Cet industriel en fuite a été dénoncé par nul autre que son plus fidèle ami, le contremaître Gustave Bertin. Ne dirait-on pas un véritable feuilleton digne de la plume de Dumas ? Entre retournement de situation et traitrise, les rebondissements et le suspens ne manquent pas. Ce contremaitre révèle alors tout de la complexe organisation criminelle montée par monsieur Bergelet lui-même, qui lui a permis de se débarrasser des ennemis empêchant son ascension dans le monde et qui lui fournissait de nombreuses sources de revenus, issus du commerce de la prostitution ou du marché noir. Voilà un riche qui ne se gêne pas d'écraser la masse prolétaire parisienne. Et celui qui nous en a débarrassé est nul autre que le baron Nicolas d'Elby. 

Mais tenez-vous prêt : le feuilleton n'est pas fini, car monsieur Bergelet a disparu et pourrait bien encore aujourd'hui tirer du trou où il se cache les fils mystérieux de son organisation."

Nicolas, descendu dans la rue pour se rendre au palais de l'Elysée, entendit le gamin des rues crier son nom et proposer sa feuille aux passants. Il sourit et s'arrêta pour la lui acheter et la parcourir d'une traite. Il venait d'apprendre le geste de l'Empereur qui le graciait et était plus que ravi de voir son nom blanchi. Un seul point d'ombre l'inquiétait : après avoir énervé le loup, il devrait bientôt le voir sortir de sa tanière plus dangereux qu'auparavant. Il s'agissait de jouer serré et de ne pas perdre le crédit qu'il venait de gagner auprès de l'Empereur. 

Sa canne à la main, un chapeau haut de forme plongeant son visage pâle dans l'ombre, d'où n'émergeait qu'une paire d'yeux acérés, il marchait rapidement le long des quais de la Seine. Il avait choisi de marcher, plutôt que de prendre une voiture, car le soleil, après de longs mois d'hivernage, venait de refaire son apparition. Il était heureux, de cette joie profonde qui l'envahissait quand il savait que tous ses plans allaient à la perfection et que ses rêves les plus fous étaient sur le point d'être réalisé. Il fallait profiter de ce moment de gloire, de ce moment de bonheur, avant que le Loup Blanc n'avance un nouveau pion sur son échiquier pour déstabiliser son adversaire. 

Les gardes du palais de l'Elysée le laissèrent entrer sans sourciller. Nicolas s'était arrêté quelques instants devant le n°18 de la rue de l'Elysée, un brin nostalgique. Mais il entrait cette fois par la grande porte. L'Empereur avait rendez-vous avec lui.

- Attendez-le ici. Il ne va pas tarder à vous recevoir, lui indiqua-t-on.

Nicolas ne se trouvait qu'à deux portes de la chapelle et du passage secret. L'excitation lui fit battre son cœur un bref instant, songeant au plaisir qu'il avait eu à jouer les espions. Il ne lui fallait plus que devenir agent secret. 

La porte s'ouvrit et on lui fit signe d'entrer. 

- Monsieur le baron, le salua Napoléon III tandis que le jeune homme s'inclinait respectueusement. Veuillez vous assoir. Le témoignage de votre ami Gustave Bertin m'a été précieux. Mais c'est vous que je voulais voir aujourd'hui. Car j'ai eu une idée, et vous y jouez un rôle important, monsieur le baron. 

Nicolas s'assit sur la chaise que lui indiquait l'Empereur, légèrement inquiet par ce qu'il allait lui proposer.

- Vous me demandiez ce que je savais des artéfacts antiques. Eh bien voici : il en existe cinq à ma connaissance. L'aulos de Marsyas, que vous avez déjà rencontré, l'épée d'Alexandre, la canne de Nestor, le caducée d'Hermès et... Le gant de Midas. 

Il garda quelques secondes de silence pour observer la réaction de son interlocuteur. Mais Nicolas ne bougea pas d'un cil. 

- L'un de ces objets vous dit-il quelque chose, monsieur le baron ? 

- Non, mentit le jeune homme. Si l'on excepte l'aulos, ce ne sont que des noms rencontrés dans mes livres mythologiques. 

- Toute l'aristocratie sait que ces objets existent, que l'aulos de Marsyas se trouve... Se trouvait en ma possession, que le gant de Midas a disparu il y a près d'un siècle dans les mains de votre ancêtre, monsieur le baron. 

Nicolas mima la surprise : 

- Je l'ignorais. 

Ce qui n'était pas complètement faux. Mais cela avait au moins le mérite d'éclaircir un peu plus les mystères qui entouraient sa famille, sans donner toutes les réponses : que s'était-il passé pour que son ancêtre se retrouve avec cet artéfact ? Cet objet était-il aussi magique que l'aulos ? Plus puissant même ? Au vu des regards ambitieux qui se tournaient vers Nicolas, il était probable que le gant de Midas dépasse en imagination les objets les plus puissants.

- Quant aux trois autres, le mystère les entoure également, mais nous soupçonnons tous monsieur Bergelet d'être à la tête d'une organisation qui se serait donner pour mission de les récupérer tous. Il n'a jamais démenti, ni confirmé ces soupçons. Mais il m'a toujours assuré de sa très profonde loyauté, et je pensais l'aulos à l'abri. 

Il sortit un papier, griffonna quelques mots, et poursuivit : 

- Au vu des récents événements, j'ai décidé de cesser d'accorder ma confiance à cet homme et vous demande donc, avec la plus grande discrétion, de récupérer pour moi les quatre artéfacts antiques. L'aulos, l'épée, le caducée, la canne. Avec ce genre d'objets, passer par la voie légale serait une perte de temps inutile. Qui se résoudrait à les abandonner en d'autres mains ? Aussi, je vous charge d'une mission secrète et ce papier vous donne tous les droits de déroger à la loi. La mission est d'autant plus difficile que nous ignorons tous où se trouve monsieur Bergelet, qui a malheureusement pris la fuite. Est-ce que vous acceptez ? 

Cette fois-ci, Nicolas était sincèrement étonné par ce que lui demandait l'Empereur. Mais il ne voyait pas comment refuser. Il acquiesça.

- Si vous réussissez à lui racheter sa fortune personnelle (comme vous vous étiez engager dans la lettre) et à lui voler ses artéfacts antiques, je saurais vous récompenser. Sinon, je saurais bien vous trouver un crime ou deux pour vous replonger dans cette prison où vous vous trouviez si bien. Cependant, et pour m'assurer que je ne placerais pas une fois de plus ma confiance en la mauvaise personne, je vais vous demander de ne rien entreprendre sans l'aide d'un second agent que je vais vous présenter.

Il sonna une clochette posée sur son bureau, qui fit sursauter Nicolas, et dans l'instant, la porte s'ouvrit sur un homme que le jeune homme reconnut immédiatement : 

- Le commissaire Bruno !

Celui-là même qui s'était fait un malin plaisir de l'envoyer en prison, quatre ans auparavant. Le jeune baron en eut des frissons. 

- Il est inspecteur maintenant, précisa Napoléon III. Mais je vous en prie, vous pouvez disposer, messieurs.

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