Chapitre 18 (partie 2)

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"La légende raconte que Sisyphe possédait un beau troupeau dans l'isthme de Corinthe. Mais ce troupeau diminuait à vue d'œil, tandis que croissait celui de son rival. La ruse et la méfiance vinrent s'inviter dans l'esprit du héros qui grava sous les sabots de ses bêtes le symbole de sa famille. Il attendit la nuit. Il attendit l'aube et, au petit matin, il partit rendre visite à son voisin.
"Quel beau troupeau ! Quelles belles bêtes ! Puis-je les observer ?" Mais sous les sabots des animaux, le symbole de Sisyphe. La ruse et la méfiance se transformèrent en rage immense et, pour se venger, Sisyphe résolut de violer la fille de son voisin, la belle Anticlée."

Nicolas murmurait le mythe aux oreilles de sa belle. Il venait de rentrer de Marseille où il s'était assuré que son prisonnier prenne effectivement le large vers l'Algérie. Le voyage avait été lugubre, pour le baron d'Elby, soucieux de savoir que dans un coin du monde son ennemi continuerait à couver sa haine ; pour Bergelet, qui se voyait privé de tout ce qu'il possédait alors même que la fortune, par un revers insolent de chance, l'avait couvert de ses bienfaits un an auparavant à la chute de l'Empire.

Sur les quais du vieux port phocéen, les deux hommes se dirent adieux. Il passa, très brièvement, un éclair étrange de nostalgie, de respect, peut-être de considération, dans le regard des deux hommes. Sans doute comprenaient-ils qu'une époque se terminait et que leur existence et leur combat appartenaient déjà à un autre monde.

- Vous en prendrez soin ? Murmura le vieil homme en quittant la canne de Nestor. Ma plus fidèle compagne...

- Elle sera là, près de moi.

- Tu t'es bien ri de nous, hein ? Le petit gosse qui débarquait à la capitale et se faisait appelé naïvement le fils de Sisyphe...

- Je crois en la fatalité. Et le fils de Sisyphe...

Un nom qui a remué tant de mystères. Et pourtant, le nom qui se cache derrière cette expression n'est pas inconnu. Le baron d'Elby se penche, murmure un nom à l'oreille du vieillard qui écarquille les yeux. Le fils de Sisyphe viendra achever la malédiction... Oh ! Ce n'était pas des mots au hasard.

Nicolas resta quelques temps sur les quais à contempler les voiles du navire s'éloigner. Il attendit silencieusement, peut-être une heure, peut-être plus, que le navire atteigne l'horizon. Alors, les voiles s'embrasèrent, le bateau craqua, éclata, disparut. Le fils de Sisyphe ne jouait pas avec la mort et s'était assuré que le navire embarque une bombe, prête à éclater lorsqu'on larguerait les amarres, et à emporter avec elle les débris du vieux monde que représentait le Loup Blanc.

- Anticlée, reprit Ambre en fronçant les sourcils. J'ai déjà entendu ce nom, dans un autre mythe. C'est la mère du fils de Sisyphe ?

- Oui ma belle.

Nicolas était devenu riche, grâce au gant de Midas et aux fortunes des deux familles d'Elby et Bergelet. Il avait continué à cultiver des relations, dans le cercle des Archéologues, grâce à l'aulos de Marsyas. Il aimait toujours autant les armes et les pierres précieuses, mais les duels avaient cette saveur toute particulière que jamais l'épée d'Alexandre ne lui avait fait perdre un combat. Et le temps filait, passait, son fils même grandissait. La troisième république allait déjà être à l'épreuve des guerres mondiales. Mais le jeune homme, ce cher Nicolas d'Elby, gardait son entrain et son sourire, paré de la canne de Nestor. Il fallut une guerre mondiale pour mettre fin au mythe, détruire Sisyphe et ses fils avec lui et toutes traces des mythes antiques, qui brûlèrent dans les flammes des bombes du XXe siècle.

Ce soir-là, alors qu'il venait tout juste de renvoyer le Loup Blanc dans le monde d'Hadès et qu'il ignorait encore tout des années de luxure, de débauches et de puissance qui l'attendaient, alors qu'il ignorait la mort terrible qui l'attendait, qui attendait des milliers de ses compatriotes, il se pencha vers sa femme et murmura à son oreille un nom. Un nom tout simple. Le nom du fils de Sisyphe et d'Anticlée qui avait pris pour père adoptif un certain Laërte. Il murmura un nom et Ambre ouvrit des yeux ronds. Car le héros né de Sisyphe avait franchi les obstacles les plus grands grâce à ses ruses, était revenu du monde d'Hadès et avait triomphé de la mort. Ce n'était pas un inconnu, non...

Ulysse.

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Merci d'avoir lu cette histoire ! Et le plus beau remerciement que vous pourriez me faire serait de laisser ci-dessous un petit commentaire... Votre personnage préféré ? Celui que vous détestez le plus ? Votre scène préférée ? J'adorerais discuter avec vous de tout cela !

Le Fils de Sisyphe Où les histoires vivent. Découvrez maintenant