Baiser (V3)

CiontU

Yuzu

Pour dire la vérité, je n'avais même pas envisagé la possibilité que Javi refuse de participer à mon show. Je ne sais pas pourquoi mais ça ne m'avait pas traversé l'esprit qu'il puisse avoir autre chose, ça me semblait naturel et normal qu'il vienne, comme si c'était dans l'ordre des choses, après tout il ne m'avait jamais vraiment dit non pour quoi que ce soit...
Jusqu'à ce qu'il le fasse et que je me prenne la réalité en pleine figure.

Javi avait d'autres choses à faire dans sa vie, et lentement mais sûrement il sortait de la mienne.

En finissant l'appel Skype j'étais resté un moment sans rien faire en le réalisant : on n'était pas inséparable, sa présence à mes côtés n'était pas acquise, et il allait partir. Je ne sais pas pourquoi cette réalisation ne me heurta qu'à ce moment là mais un poids énorme alourdi ma poitrine m'empêchant presque de respirer. Je fermai les yeux pour en chasser l'humidité et essayai de penser à autre chose : moi aussi j'avais une vie, je pouvais très bien passer à autre chose. Pourtant dans les semaines qui suivirent et malgré le nombre incalculable de visites médicales, de réunions d'organisation pour le show, d'interviews, l'absence de Javi résonnait sourdement comme un bruit de fond déprimant continu.
Et quand pendant une répétition Shae Lynn s'approcha en me tendant son portable parce que « Javi pouvait faire un message pour le show », j'avais été surexcité. En moins d'une heure j'avais organisé une réunion, expliqué l'idée d'un live que Javi pourrait faire depuis la patinoire de Madrid, failli virer un type qui avait eut l'audace de sous-entendre que « ça ne valait peut-être pas le coup de faire tout ça pour une performance » mais qui s'était sauvé en promettant de tout organisé pour le jour J, et j'avais ensuite rappelé Javi comme promis pour lui expliquer l'idée et le convaincre d'accepter. Je me considérai comme quelqu'un d'efficace en général mais là j'avais battu mon record : tout était bouclé à la fin de la journée.

J'abordai donc mon spectacle avec le cœur un peu plus léger, me forçai à ne pas pleurer quand le live commença, et comme d'habitude Javi me remonta le moral sans même faire exprès : sa performance était catastrophique. Du point de vue professionnel.
Il faillit tomber plusieurs fois sur ses spins, se traînait le long de la patinoire et n'avait clairement pas eu son troisième café. Peut-être même pas son deuxième.
À cause de toutes les caméras pointées sur ma tête je n'avais pas ri ni pleuré, même si je devais avoir les yeux un peu rouges à la fin, mais je ne pus m'empêcher de sourire quand Javi s'approcha et prit l'écouteur avec une tête qui en disait long sur son état.

-Il est vraiment, vraiment très tôt ici en Espagne Yuzu, précisa-t-il dans un reproche à peine dissimulé.

-Merci beaucoup d'avoir patiné Javi, ris-je.

Notre dialogue fut court et gêné par les centaines de spectateurs mais je m'arrangeai pour que la salle entière lui chante joyeux anniversaire (le pauvre l'avait bien mérité). Est-ce que j'avais été trop transparent en lui disant au revoir ? Très certainement. Est-ce que j'aurais dû m'abstenir de lui renvoyer son baiser ? C'était le cadet de mes soucis.

-C'était une très belle performance, résuma professionnellement la présentatrice quand le live fut coupé.

-Absolument pas, c'était terrible, ris-je. Je ne sais pas ce qui c'est passé, il devait être saoul... Cela dit normalement Javi est assez bon pour les performances alcoolisées.

La façon dont me regarda la présentatrice en se raclant la gorge me notifia qu'on sortait beaucoup trop du script, mais c'était mon show donc je faisais ce que je voulais.

-Il est vraiment tôt à Madrid, je culpabilise un peu de l'avoir fait patiner dans ces conditions mais il a fait beaucoup d'efforts. Je l'appelerai plus tard pour voir si tout allait bien, souris-je.