Ceropegia

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Javi

Pyeongchang approchant à grands pas, j'avais été très inquiet de savoir si Yuzu pourrait gérer sa promesse de ne plus me balancer son sale caractère à la figure dès qu'il était sous tension. En plus des JO, sa blessure et le fait qu'il ne soit même pas sûr de pouvoir participer devait l'angoisser plus que jamais donc je m'étais attendu à devoir changer de temps d'entraînement mais de façon surprenante, Yuzu s'en sortait bien.
Il n'arrivait pas aux séances en bondissant joyeusement ni ne faisait la conversation avec un enthousiasme débordant mais ce n'était pas ce que je lui avais demandé et c'était compréhensible : je ne lui en aurais pas voulu d'être déprimé face à sa situation, ni de le montrer, et je voyais bien qu'il faisait beaucoup d'efforts. Il ne m'ignorait pas, acceptait de parler un peu pendant les pauses, ne s'enfuyait pas quand on était tous les deux dans les vestiaires pour éviter toutes interactions et se forçait à ne pas paraître trop sombre.

Nos conversations reposaient sur le terrain le plus neutre possible pour éviter le malaise et notre sujet de prédilection était donc : Effie.
Je n'avais jamais pris autant de photos d'elle que ces dernières semaines, les montrant ensuite à Yuzu quand on décompressait sur un banc entre deux sessions. C'était un peu futile mais j'espérais que ça lui permettait de se distraire ne serait-ce qu'un peu de toute la pression qu'il devait gérer... Je continuais mon entraînement normalement, sautais des quads quotidiennement, et lui devais me regarder en ne pouvant rien faire d'autre que de tester la glace pour évaluer la douleur dans ses patins : il ne pouvait même pas réellement glisser. Je ne savais pas comment il faisait pour ne pas exploser de frustration : à sa place je n'aurais pas pu supporter de voir un patineur faire exactement ce que je ne pouvais plus faire et retourner le couteau dans la plaie... Pourtant Yuzu ne donnait aucun signe de vouloir changer d'emploi du temps et il allait même jusqu'à observer mes entraînements avec attention alors qu'il aurait pu quitter la patinoire bien avant moi pour éviter d'endurer ma session complète.

-Yuzu ? J'aimerais te poser une question concernant en partie le patinage mais si tu ne veux pas, je comprendrai.

Yuzu détourna la tête de son sac pour me regarder et acquiesça avec hésitation. Je savais que je marchais sur des œufs en abordant le sujet mais je voulais comprendre.

-Pourquoi tu restes à chacun de mes entraînements ? Ça ne me dérange pas du tout, bien sûr ! C'est juste que ça doit être pénible, non ?, grimaçai-je prudemment.

-C'est dur, marmonna-t-il en reportant son attention sur ses affaires. Ça fait mal de te voir sauter, patiner aussi facilement, alors que moi...

Mon cœur se serra en voyant la douleur se peindre sur son visage. Je ne connaissais personne qui adorait patiner plus que Yuzuru : être incapable de faire quoi que ce soit sur la glace devait être une véritable torture pour lui, sans parler de tout le reste. Il se préparait pour Pyeongchang depuis la fin de Sotchi, il attendait de pouvoir faire ses preuves depuis des années, et d'un coup sa participation n'était même plus certaine.

J'avais envie de lui dire que tout irait bien, qu'il guérirait à temps, qu'il pourrait concourir, mais rien n'était sûr et je ne pensais pas qu'entendre des promesses creuses soit ce dont il avait besoin pour le moment.

-Si je peux faire quoi que ce soit...

-Tu fais déjà beaucoup, Javi, me coupa-t-il avec un sourire triste. Je sais que tu me donnes de l'espace, que tu essayes de ne pas trop me déranger, que tu te retiens sur pleins de choses pour que je n'ais pas à me forcer. J'aime bien quand tu me montres Effie, j'aime bien quand tu me donnes des biscuits pendant les pauses, et quand tu m'aides à ne pas penser à... tout ça. Merci.

-Je t'en prie, ce n'est pas comme si je me forçais...

-Je sais. Et pour répondre à ta première question : ça fait mal mais je dois te regarder t'entraîner. C'est la seule façon pour que je revois les mouvements, comme... de l'image-training en plus réel. Je regarde tous les angles, quand tu rates et quand tu réussis, j'essaye de comparer mes techniques, de refaire tout mentalement... Je fais du vrai espionnage sur adversaire : tu devrais me demander d'arrêter.

Baiser (V3)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant