Partie 11

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Quand Eliam posa sa main sur la chevelure blonde poisseuse de sang, il eut l'étrange sensation de quitter son corps pour n'être plus qu'un observateur de la scène. Il hissa hors de son sarcophage de bois la tête qui y reposait. Il ferma les yeux un instant, car il ne voulait en aucun cas faire face à ce qui l'attendait. Autour de lui, un silence de mort emplissait la pièce, mais le tempo de son sang battait si fort dans ses tempes qu'il l'assourdissait. Il prit enfin le courage de rouvrir les yeux et à cet instant le monde vola en éclat.

Il reposa avec délicatesse le crâne du Roi Galahaad de Saillans sur la table, le regard rivé sur les traits livides de son frère aîné. La mort avait sculpté à jamais le visage du jeune souverain dans une beauté glaciale. Tandis qu'il frôlait de ses doigts la peau froide de la joue de Gal, un son étrange monta de la gorge d'Eliam, jusqu'à devenir un hurlement. Son cri déchira l'atmosphère lourde de la salle et pétrifia l'assemblée muette. Puis, Eliam sentit ses jambes lâcher et s'effondra à genoux sur le sol, dans un bruit sourd. Il ne remarqua pas que Désone, Shilar et Lalikine vidaient la salle. Muré dans une souffrance absolue, il avait la sensation qu'on lui arrachait le cœur à mains nues. Le regard figé dans celui éteint de Gal. Il ne sut combien de temps il resta agenouillé face à la dépouille de son frère, le souffle court, le crâne sur le point d'exploser.

La mort faisait entièrement partie de sa vie, il l'avait tant côtoyé, tant affronter, il l'avait vue tant de fois emmener amis ou ennemis. Souvent injuste, parfois bienfaitrice, quand les douleurs étaient telles, qu'un de ses hommes lui réclamait sa fin, elle était inéluctable et Eliam n'en avait pas peur. Lui et ses amis ne pouvaient être les guerriers qu'ils étaient en redoutant la mort. Cependant, en cet instant, Eliam la refusait de toutes les fibres de son être. Le frère qu'il était ne pouvait l'admettre. Il se releva d'un bond, empli d'une fureur sans nom et saisit une chaise. Elle explosa en mille morceaux contre un des murs blanchis à la chaux. Il brisa chaque pièce de mobilier tentant vainement d'apaiser la colère incommensurable qui le broyait de toute part. Quand il n'y eut plus rien à casser, il abattit ses poings sur la table en chêne. Puis il fit de nouveau face à ce frère qui faisait tant partie de lui. Il passa une dernière fois une main dans la chevelure de Gal.

- Adieu, mon Frère, murmura-t-il d'une voix brisée.

Il entendit alors un raclement de gorge et fit volte-face. Il prit alors conscience de la présence de ses amis. Désone, Lalikine et Shilar se tenaient devant la porte, les épaules basses. Dans leurs yeux, il n'y avait pas de pitié mais un mélange de tristesse et de fureur semblable à celle d'Eliam. Chacun de leurs faciès, même celui du taciturne Désone reflétait un besoin infini de vengeance. Le jeune Prince savait qu'il devait à tout prix s'accrocher à ce sentiment pour ne pas se laisser envahir par le chagrin.

Eliam releva les épaules, puis s'adressa à chacun de ses amis.

- Désone, je veux que tu rentres immédiatement à Estran. Amène à ma mère la dépouille de Galahaad, demandes lui de préparer ses funérailles, et réunis les chevaliers de Saillans. Je veux que tu t'occupes de la mobilisation des hommes de la capitale et des terres, ainsi que du rationnement, il faut nous préparer à vivre un hiver très long. Je te suivrais d'ici douze à vingt-quatre heures.

- Lalikine, je veux que tu fasses nommer ton second et celui de Shilar à la tête du Seiveilan et de l'Evareg, tu deviens Capitaine du Mandragore, je veux que tu sillonnes les mers pour prévenir toute notre flotte que chaque navire de Cy doit être anéanti. Je veux que chacun de nos équipages se comportent comme des corsaires. Chaque bâtiments, qu'il soit commercial ou militaire, battant pavillon impérial doit être envoyé par le fond quoi qu'il en coûte, mais nous ne devons pas le revendiquer, donc désormais nous battrons pavillon noir.

Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant