Partie 36

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Garance eut le luxe d'éviter Eliam toute la journée. Elle installa son petit garçon dans la chambre qu'elle lui avait fait préparer, attenante à la sienne. Lorsqu'il tomba de sommeil, elle le coucha et demanda à Ilith de ne pas le quitter des yeux, postant deux de ses guerriers des Steppes devant sa chambre.

Elle en profita pour retrouver Vanech dans son bureau. Le pirate l'attendait, face à l'une des grandes fenêtres, le regard rivé sur la ville. Garance le rejoignit.

- Quand comptes-tu partir pour Cy ? Demanda-t-elle,

- Dès que possible, j'ai perdu pas mal de temps sur le chemin du retour.

- Tout est prêt, il ne reste que le navire avec lequel tu as fait route à affréter. Penses-tu pouvoir me laisser une dizaine d'homme à Amarylis.

- En as-tu réellement besoin, maintenant que tu es associé à Saillans ?

- Je ne suis pas associé à Saillans. Répondit-elle, stupéfaite par la réflexion de Vanech.

- Est-ce le père de ton fils ?

- Pourquoi me demandes-tu cela ?

- La ressemblance est frappante.

- Eliam de Saillans est son oncle, c'est normal qu'Oxance lui ressemble.

- Si tu le dis. Dit-il en quittant la pièce. Je prendrais la mer demain. Gardes dix de mes hommes si tu le souhaites.

Garance le suivit du regard, elle n'avait pas vu venir la conversation qui venait de se dérouler.

- Vanech ! Attends ! S'exclama-t-elle avant qu'il ne passe la porte.

L'homme se retourna, malgré les paroles qu'ils venaient d'échanger, son visage était totalement impassible. S'il avait eu quelque espoir concernant Garance d'Elenith, ses aspirations s'étaient envolées au moment où il avait vu la jeune femme en présence d'Eliam de Saillans. Vanech était par définition un homme pragmatique voir même cynique, il lui était impossible d'ignorer l'évidence. Le véritable amour de la jeune femme n'était pas son défunt mari, mais le frère mutilé. Peut-être ne voulait-elle pas lui avouer ou peut-être l'ignorait-elle encore, mais ce n'était pas le cas du pirate. Il n'avait passé quelques minutes en leur présence, mais l'atmosphère électrique que produisait leur alchimie était palpable. A peine avait-il aperçu le jeune Roi de Saillans, qu'il avait compris qu'il n'avait pas de temps à perdre à Amarylis. Il posa une dernière fois son regard sur la jeune femme, tandis qu'elle posait sa main sur son bras :

- Te reverrais-je ? Demanda-t-elle.

Il y eut un long silence. Ils se toisèrent.

- J'ai rempli ma part du marché, tu as rempli la tienne. Répondit-il en franchissant la porte.

Garance resta figé un instant, avant de s'assoir dans un fauteuil. Elle oscillait entre colère et déception. Elle n'acceptait qu'il lui ait parlé de cette manière. Mais elle ne parvenait pas à lui en vouloir. Il lui avait sauvé la vie, lui avait ramené son fils et rendu Elenith. Elle lui devait beaucoup, elle en avait conscience. Cependant, s'il souhaitait rompre le contact, elle n'avait pas à lui refuser.

Eliam était adossé au mur du couloir de marbre blanc quand Vanech sortit du bureau de la Reine d'Elenith. Le pirate eut un temps d'arrêt en apercevant le Roi de Saillans. Les deux hommes se dévisagèrent avec animosité, il n'y avait aucun faux-semblant entre eux. Eliam était capable de reconnaître un homme qui convoitait la femme qu'il aimait. Vanech soutint un temps le regard d'Eliam, avant de quitter le couloir à grands pas.

Le Roi de Saillans s'engouffra aussitôt dans le bureau. Il trouva Garance assise derrière sa table de travail. Il ferma la porte derrière lui et s'approcha de la femme qui le rendait fou. Cependant, il avait conscience d'être face à une inconnue. Garance avait été incapable de lui parler de son enfant. Il ne comprenait pas pourquoi et surtout il se sentait trahi. Combien de secrets avait-elle ? Il avait bien l'intention d'obtenir des réponses à ses questions.

- Comment as-tu pu me cacher l'existence de ton fils ? Demanda-t-il sans préambule.

Garance releva la tête et figea ses prunelles de cendres sur lui, mais s'abstint de répondre. La fureur qui couvait depuis l'aube submergea d'un coup Eliam. Garance vit le changement sur son visage. Un éclat passa dans ses yeux, ses traits se durcirent. Il fit un pas vers elle, Garance se releva aussitôt. Elle saisit sa dague.

- Que fais-tu ? S'exclama-t-il en désignant l'arme. Te ferais-je peur ?

Garance resta muette mais elle le foudroya du regard.

- Tu fais confiance à un assassin au point de lui confier ton fils, mais tu ne me fais pas assez confiance pour ne serait-ce que m'en parler.

- Je lui fais confiance car il a sauvé la vie de mon fils et la mienne et m'a rendu Elenith. Répondit-elle glaciale.

Eliam accusa le coup. Elle le mettait face à ses échecs, consciemment ou non. Il fit le tour du bureau pour faire face à la jeune femme, la surplombant de sa haute taille.

- Oxance est-il le fils de mon frère ou le mien ?

Garance tressaillit. Plus que la colère, le visage d'Eliam reflétait désormais une immense douleur. Galahaad n'étant plus là, elle avait le sentiment qu'Eliam était la seule personne à qui elle devait la vérité.

- Je l'ignore... J'ai su que j'étais enceinte à mon arrivée en Cy.

Eliam sonda le regard de la jeune femme et sut qu'elle disait vrai. Il songea au jour du couronnement de Galahaad et l'incompréhension le submergea.

- Comment as-tu pu me cacher que j'avais un fils ou un neveu ?

Garance ne parvint pas à répondre, elle savait que c'était injuste de lui avoir caché Oxance, mais cela avait été au-delà de ses forces. Elle ignorait si c'était la peur de la réaction d'Eliam ou le simple fait qu'elle n'assumait pas ses erreurs et l'injustice dont elle s'était rendue coupable, mais elle ne pouvait se justifier que par cette peur viscérale qui ne l'avait plus quittée depuis qu'elle avait failli perdre Oxance.

- Il est mon fils, la chair de ma chair, le sang de mon sang. Dès qu'il a été dans mon sein, j'ai du le protéger contre l'ignominie. J'ai accepté le viol, j'ai été brisé pour le protéger. J'ai sombré dans la folie au point de m'affamer pour que mon enfant ne tombe pas entre ses mains. J'aurais préféré le tuer moi-même, plutôt que laisser ce monstre tuer mon bébé. Je me suis forcé à te haïr pour oublier la douleur que c'était de t'aimer. J'ai survécu comme j'ai pu.

Eliam dévisageait Garance. Chaque mot qu'elle prononçait lui tordait les tripes. Il s'approcha lentement de la jeune femme dont les yeux brillaient de larmes contenues, se courba de sa haute taille, puis posa ses lèvres contre les siennes. Tous deux comprirent enfin qu'ils ne pouvaient pas être expiés pour leur péché, il n'y aurait ni oubli, ni pardon, ni guérison. Ils apprendraient seulement à vivre avec leurs démons... ou pas. Mais peut-être pouvaient-ils empêcher le destin de s'en prendre à Oxance ?

- Tous ce que j'ai fait, je l'ai fait pour mon bébé, murmura-t-elle contre les lèvres d'Eliam.

- Je sais, répondit-il, mais tu n'es plus seule maintenant. Je vous protégerais Oxance et toi de mon nom et de mon corps s'il le faut.

- Je sais me défendre maintenant, mes mains ont su prendre une vie et au besoin je le referais, répondit-elle en prenant de la distance.

- Reviens-moi Garance, murmura-t-il en tendant sa main vers la jeune femme.

La Reine d'Elenith prit la paume rugueuse qu'il lui tendit entre ses mains.

- Laisses-moi du temps Eliam.

Le Roi de Saillans acquiesça en prenant délicatement la jeune femme contre lui. Il avait confiance, il avait la certitude que malgré toutes les épreuves et les douloureux souvenirs, Garance lui reviendrait. Elle était son absolution et sa raison de vivre. Son enfant, qu'il soit le sien ou celui de son frère était le pardon qu'il attendait.

Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant