Partie 16

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- Tu es venu me chercher, murmura Garance, blottie au creux des bras d'Eliam.

- Je serais mort s'il avait fallu, répondit le jeune homme en prenant violemment ses lèvres.

Ce même rêve, ces mêmes mots, chaque fois que le sommeil avait raison d'elle.

Recroquevillée dans le lit à baldaquin, Garance ouvrit les yeux dans la pénombre de la chambre qui lui servait de prison. Ses doigts glissèrent sur ses lèvres comme pour rendre réel un rêve qui ne l'était pas. Elle avait l'impression délirante de sentir son parfum d'iode et de musc, mais ce n'était qu'une chimère à laquelle elle s'accrochait désespérément pour tenter de survivre. Elle ignorait depuis combien de temps Dragan Lancéart était devenu son bourreau. Elle savait juste que les jours s'allongeaient et que peu à peu la neige avait fait place à la pluie.

Le sadisme de Dragan Lancéart était à un point qu'elle n'aurait pu concevoir. Son imagination perverse était sans limite. L'appréhension de ses sévices était au moins aussi traumatisantes que ses viols quotidiens. Mais elle s'évertuait à survivre, survivre pour tenir la promesse faite à Galahaad.

Durant de longues semaines, Dragan avait cherché à briser les défenses de la jeune femme. Chaque jour, il s'étonnait de la résistance de la petite Princesse d'Elenith. Elle subissait ses assauts sans broncher, muette. Dans ses moments, seule face à la folie de cet homme, son esprit semblait se dissocier de son corps. Ses pensées se réfugiaient dans ses souvenirs, elle vivait les tortures comme une spectatrice et non comme une victime. Les coups de son bourreau pleuvaient sur sa peau, Dragan tentait par tous les moyens de la rendre présente et consciente. Mais, au plus fort de ce cauchemar, Garance avait trouvé la faculté de se réfugier dans le souvenir des bras d'un homme qu'elle ne reverrait sans doute plus jamais. Les réminiscences du passé étaient si fortes qu'elle éprouvait la sensation de ses mains calleuses sur sa peau, la suavité de ses lèvres, l'intensité de son regard tourmenté. Plus la douleur s'intensifiait, plus les sensations devenaient réelles.

Puis un jour, Dragan Lancéart avait découvert son point faible. Son ventre s'arrondissant de jour en jour, Garance ne pouvait plus dissimuler sa grossesse. C'est à ce moment qu'il était parvenu à atteindre ses défenses. Jusqu'à cet instant, cet enfant n'avait été pour Garance qu'une promesse à tenir. Mais Dragan Lancéart avait rendu sa grossesse réelle, le cauchemar était alors devenu intolérable.

L'Empereur lui avait clairement fait comprendre qu'il attendrait la naissance de son bâtard pour éliminer l'enfant puis l'épouser. Depuis il s'acharnait à lui décrire le destin qu'il avait prévu pour son bébé. Impuissante, Garance essayait de survivre à une situation qui était en train de la briser. Plus que les violences infligés par son bourreau, la survie plus qu'incertaine de son enfant à naître était en train de démolir ses derniers remparts.

La jeune femme se hissa hors des draps et s'avança jusqu'à la fenêtre de sa chambre. Ses longs cheveux bruns cascadaient jusqu'à ses reins. Son corps meurtri frissonna dans la longue et diaphane chemise de nuit qu'elle portait. Elle posa une main sur le léger renflement de son ventre et le caressa doucement. En silence, des larmes se mirent à couler sur ses joues. La présence de son bébé était en train de la détruire. En quelques jours, son esprit avait balayé le déni et cet enfant était devenu le centre d'un univers en plein chaos. Face à la perversité de son bourreau, face à ses propres péchés, face à ses irréparables erreurs, il était l'innocence, son absolution, son pardon et sa perte, car elle mourrait de perdre cet enfant. Mais comment pourrait-elle le soustraire à son destin ? Elle était prête à abandonner son bébé pour lui permettre d'échapper à la vindicte de l'Empereur. Mais quoi qu'il advienne et même s'il avait été capable de la moindre compassion, Dragan Lancéart n'aurait pas laissé vivre l'héritier de Galahaad de Saillans. Sa propre impuissance et sa faiblesse manifeste était en train de tuer Garance à petit feu. Quel intérêt de survivre à tous ce qu'on lui infligeait si c'était pour perdre son enfant ?

Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant