Partie 39

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Dans les jours qui suivirent le retour d'Eliam à Saillans, le Roi rassembla son conseil restreint : la Reine, Désone, le Commandant des Chevaliers de Saillans et le Penseur d'Estran. Il leur exposa ses projets dans un débat des plus houleux. Au sortir de la réunion, il se savait plus seul que jamais.

Le dernier à quitter la salle du travail, sans un regard pour son Roi fut Désone. Entre les deux amis, le dialogue était rompu. Désone était incapable de comprendre qu'Eliam puisse faire confiance à Garance, il considérait qu'elle était sa faiblesse, il l'avait vu sombrer à cause d'elle et de nouveau il courait à sa perte par sa faute. Son aveuglement lui faisait perdre tous sens commun et le mettait dans un état de rage permanent. Il en avait parlé à la Reine, mais elle ne parvenait à prendre position tant la volonté d'Eliam était grande.

Cependant, Eliam commençait sérieusement à douter de ses chances de réussite. Cette nuit-là, il écrivit de nouveau à Garance, lui exposant sans faux-fuyants ses doutes et les difficultés qu'il rencontrait. Pour la première fois, il lui confia son dernier recours. Il lui écrivit noir sur blanc que s'il devait échouer à réunir Saillans et Elenith, il abdiquerait sans hésitation car jamais il ne perdrait pas une seconde fois l'amour de sa vie et encore moins pour un trône.

Les mains de Garance tremblaient quand elle acheva de lire la seconde lettre d'Eliam. Elle savait son rêve de démocratie et peu à peu cette chimère devenait une réalité pour Garance. Les propos de son amant trouvaient un écho en elle. Elle commençait à penser qu'Elenith pouvait suivre cette voie. Peut-être son fils serait-il plus en sécurité dans un royaume où le peuple pourrait s'exprimer, où la gouvernance se ferait en fonction des aspirations des hommes et des femmes d'Elenith. Restait à régler le problème de Saillans : comment faire oublier cinq siècles d'inimité ?

Maintenant qu'une certaine stabilité régnait sur Elenith, elle décida qu'il était temps de reconstituer le conseil qui siégeait dans l'amphithéâtre de marbre sous la grande coupole de verre. L'aristocratie d'Elenith ayant été en grande partie décapitée par Cyrius, Garance organisa donc des élections dans tous le pays, pour élire des représentants qui siégerait sous le plafond de verre du palais royal.

L'espoir revint pour Eliam lorsqu'il réunit tous les préfets élus de Saillans. Certes son projet d'unification ne faisait pas l'unanimité mais les représentants du peuple avaient soif de paix et de prospérité. Il se rendit compte qu'il gardait en général un souvenir bienveillant de Garance, Reine de Saillans. Certes, il reprit espoir, mais il ne parvenait à évaluer la proportion de ses partisans face à ses opposants. C'est à ce moment là, qu'Eliam demanda à Garance s'il lui semblait possible de quitter Elenith quelques semaines pour revenir à Saillans avec son fils.

Près d'une année était passée depuis la prise d'Amarylis, des mois s'étaient écoulés depuis la dernière rencontre des deux amants. Garance considéra qu'elle pouvait se permettre de laisser la gouvernance d'Elenith au conseil avec à sa tête, l'un des commerçants d'Amarylis, représentant avisé du peuple auquel Garance faisait peu à peu confiance.

Garance prit donc la route de Saillans, un matin de printemps avec son fils, une dizaine de soldats et cinq de ses guerriers des Steppes. Il lui fallu une semaine pour traverser les montagnes qu'elle avait gravi avec tant de difficulté, des années auparavant, captive d'Eliam. Au fur et mesure du trajet, les souvenirs affluaient comme les vagues d'une marée montante. Cependant, le jour où elle vit la silhouette d'Estran se dresser face au convoi, son cœur s'arrêta. La ville rude à la pierre grise et massive accrochée à la montagne n'avait rien perdu de sa majesté.

Le convoi arrivait en vue de la porte de la cité quand un chevalier fondit sur eux. Les hommes de Garance se mirent immédiatement en position défensive jusqu'à ce que la jeune femme distingue la silhouette d'Eliam. Il ne portait qu'une simple chemise blanche sur un pantalon de peau foncé et de hautes bottes de cuir. Ses cheveux avaient poussé et encadraient son visage mangé par une barbe taillée. Garance remarqua immédiatement l'éclat de ses prunelles indigos et ses lèvres s'étirèrent dans un sourire. Même si la vie qu'elle menait en Elenith était bien occupée et que son fils lui prenait tout son temps libre, Eliam lui avait terriblement manqué. Elle attendait chacune de ses longues lettres avec impatience. Cette communication épistolaire lui avait permis de connaître son amant sous un autre jour. Elle avait la sensation de mieux comprendre l'ambivalence d'Eliam, les différents aspects de sa personnalité complexe. Loin des affres de la passion et de la tension constante qu'il y avait entre eux, elle était subjuguée par sa réflexion, sa capacité d'anticipation. Elle voyait à quel point il était devenu un monarque éclairé et visionnaire et pourtant il continuait à lui parler sans filtre. Naturellement, simplement et passionnément.

Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant