Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères Maudits

Partie 34

Garance resta un moment immobile, le souffle court à observer la silhouette d'Eliam courbée sur sa table de travail. La sueur collait le tissu de sa chemise claire à la peau de son dos, dessinant par transparence les contours de sa musculature.

Sa surprise avait été totale lorsqu'elle avait appris qu'il était à Amarylis. Elle savait que la nouvelle parviendrait tôt ou tard à Saillans, mais elle ne pensait pas qu'Eliam viendrait aussi rapidement. Elle n'était pas prête à la confrontation.

Depuis plus d'une semaine, elle attendait désespérément le retour de Vanech, retourné dans les steppes pour lui ramener son fils, en se noyant dans l'administration d'Elenith. La prise d'Amarylis et tous ce qui avait suivi avait profondément changé la jeune femme. Elle avait retrouvé confiance et espoir en l'avenir. L'accueil que lui avait réservé le peuple d'Elenith l'avait conforté dans ses choix. La situation s'était rapidement stabilisée, elle s'évertuait à trouver les vivres nécessaires pour nourrir son peuple. Mais la silhouette familière qui lui tournait le dos était en train de faire vaciller sa toute nouvelle assurance.

Garance sortit de l'ombre au moment où il se retournait vers elle. Elle scruta l'homme face à elle, plus de deux années s'étaient écoulées depuis leur dernier entretien. Mais dans le contre-jour, elle ne distinguait que des traits flous. Cependant, elle remarqua que sa stature s'était élargie, il semblait beaucoup plus imposant, plus intimidant. Il avait désormais une allure royale.

Plus que la colère, la proximité de cet homme réveilla une peur viscérale en Garance. Leur relation passée avait engendré de telles conséquences, de telles souffrances qu'elle était tétanisée par la frayeur de commettre les mêmes erreurs. Elle resta immobile, incapable de prononcer un mot. Ses sentiments cachés derrière un masque de glace. Elle saisit le pot d'eau fraîche qu'Ilith avait déposé sur un guéridon, puis remplit un verre en crystal qu'elle lui tendit. L'homme le saisit et Garance frissonna quand leurs doigts se frôlèrent. Elle le regarda absorber l'eau d'une seule traite.

- Est ce que c'est bien toi ? Murmura Eliam dans une question qui n'en était pas une.

Le jeune homme eut un instant d'hésitation tant Garance avait changé. Elle portait une tunique longue et croisée sur le devant, de hautes bottes de cuir et une dague glissée à sa ceinture. Une tenue non plus de princesse mais de guerrière. Ses cheveux bruns si longs auparavant, n'atteignaient pas ses épaules, ils ondulaient dans de douces vagues, dégageant la ligne fine de son cou. Son visage était émacié, ses pommettes saillantes et ses joues creuses rendaient ses yeux immenses. Il était stupéfait de rencontrer une femme si différente que celle de ses souvenirs. Ses prunelles grises et mystérieuses qui l'avaient hanté tant de nuits le scrutaient avec méfiance. Se plonger à nouveau dans son regard si particulier lui procura sur le coup, un immense soulagement. Il avait la sensation que l'on venait de desserrer l'étau qui oppressait depuis des mois sa poitrine, l'asphyxiant totalement. Il pensait être responsable de la mort de cette femme, comme de celle de tant d'autres personnes. Pouvait-il être pardonné pour au moins l'un de ses péchés ?

Eliam voulut faire un pas vers elle, mais celle-ci l'arrêta d'un geste. Le pli de ses lèvres, la froideur de ses prunelles de cendre, la tension qui émanait de son corps le stoppèrent dans son élan.

- Que fais-tu ici ? Demanda-t-elle.

Eliam tressaillit devant l'agressivité du ton de la voix de la jeune femme.

- Garance, je croyais qu'ils t'avaient tué....

- Je suis en vie.

- Je le vois bien. M'aurais-tu prévenu si je n'avais pas fait le déplacement jusqu'à Amarylis ?

- Non...

- Garance, je vis avec le fardeau de ta mort depuis des mois. Comment as-tu pu me laisser dans l'ignorance ? Demanda-t-il alors que l'incompréhension le saisissait.