Partie 41

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 Désone garda l'espoir de rendre la raison à son Roi jusqu'au dernier moment. Quand le messager d'Elenith, entra dans la pièce, poussiéreux, épuisé, Désone était assis dans la salle du travail avec les membres du conseil restreint face à Eliam. Le cavalier sortit un pli de l'intérieur de sa veste et le tendit au Roi de Saillans. Eliam remercia l'homme d'un signe de tête avant de déplier fébrilement le feuillet. Puis il le parcourut durant de longues minutes. Désone scrutait alors le visage de son Roi. Ses derniers espoirs s'envolèrent quand il vit ses lèvres s'étirer dans un sourire. Eliam releva alors le visage vers les membres de son conseil restreint avant de prononcer :

- Le peuple d'Elenith a voté en faveur de l'unification.

A cet instant, Désone se releva brusquement de sa chaise. L'atmosphère de la pièce se tendit d'un seul coup. Le regard d'Eliam se figea sur son ami d'enfance. Il donna congé aux autres membres du conseil restreint. Puis il se leva lentement de son siège pour faire face à Désone. Les deux hommes se jaugèrent un long moment. Au-delà de l'animosité de leur dernier échange, il y avait la douleur et leur regret du non-retour. Eliam passa une main nerveuse dans ses cheveux trop longs. Puis il se dirigea vers la fenêtre de la salle de travail, ses yeux se posant sur les toits d'Estran.

- Si tu n'es pas mon frère de sang, tu l'es pour tous le reste... Nous avons tout affronté côte à côte. Combien de fois as-tu été ma conscience, ma raison ?

Désone resta silencieux mais s'approcha d'Eliam. Celui-ci figea son regard sur le profil de son ami.

- Si je suis ta conscience et ta raison pourquoi refuses-tu de m'entendre ?

- Le peuple me donne son assentiment. Je t'en supplie, dit-il en posant sa paume sur l'épaule de son ami, donnes moi le tien.

Désone se tourna vers son Roi.

- Je ne peux pas Eliam, c'est au-delà de mes forces. Je ne crois pas en cette unification, je ne crois pas en Garance d'Elenith. Elle ne t'a apporté que malheur et désillusion, je ne peux pas croire en cette union.

Eliam réprima la douleur qui l'opprimait avant de murmurer d'une voix à peine audible :

- Et bien... Vas-t-en.

- Adieu Eliam, mais fais attention à tes arrières, répondit Désone dans une menace à peine voilée.

Puis il quitta la pièce. Eliam resta figé à la fenêtre. Puis il le vit traverser la cour du château des Rois de Saillans sans un regard en arrière. Si Désone quittait Eliam emplit d'une rage sourde, avec la sensation d'avoir été trahi par son ami. Eliam le regardait partir, brisé et inquiet. Il connaissait la ténacité de son ami, il savait que Désone ne se résignerait pas.

En effet, il ne fallut que quelques semaines pour qu'Anian de Léandre informe Eliam de la force d'opposition qui se manifestait à Londemare, ralliant les réfractaires à l'unification menée par Désone Denmar.

Eliam refusa de s'arrêter dans sa marche vers ce qu'il considérait comme l'avenir de Saillans. Il fit envoyer ses chevaliers aux quatre coins de Saillans, munis d'un message annonçant la signature du traité d'unification et son prochain mariage à Estran. Il convia l'entière population aux cérémonies. Ne restait plus qu'à organiser les préparatifs et attendre le retour de la Reine d'Elenith.

Garance arriva quelques semaines plus tard, tandis que le printemps laissait doucement place à l'été. La Reine d'Elenith parvint à Estran accompagné de ses guerriers des steppes, des membres de son conseil, de son fils et d'une centaine d'habitants d'Amarylis souhaitant assister à l'unification d'Eredjan et au mariage de leur souveraine. Une population en liesse accueillit celui que l'on nommait désormais le petit Prince.

Garance retrouva Eliam sur le palier du Château d'Estran. Quand elle parvint dans la cour du château, il descendit les quelques marches qui le séparait d'elle. Elle lui tendit l'enfant qu'il embrassa avec tendresse. Puis saisit sa taille pour la faire descendre de sa monture. Son regard glissa sur la silhouette de la jeune femme. Elle était vêtue d'une longue robe de coton bleu ciel, aux longues manches évasées, au décolleté carré. La robe resserrée sous la poitrine de la jeune femme cachait habillement les courbes naissantes de la grossesse. Eliam dut se retenir de ne pas toucher le ventre, qu'il devinait arrondi de Garance. Mais il ne put s'empêcher se laisser sa main glisser sur le visage de la jeune femme. Leurs regards s'accrochèrent et Garance se perdit dans les profondeurs indigo des prunelles d'Eliam.

- Nous avons réussi...murmura-t-elle à son oreille.

- Je crois bien, répondit-il dans un sourire.

- Tu as l'air épuisé, Liam.

- Je n'ai pas beaucoup dormi ses derniers temps, il y avait tant à faire. Et puis le manque de toi à tendance à m'ôter le sommeil, répondit-il en souriant.

Garance lui rendit son sourire, elle n'avait pas souvenir de l'avoir vu si heureux.

- Mais toi, tu as l'air en forme ?

- Je le suis, répondit-elle.

- Est-ce que tout va bien ? demanda-t-il en esquissant un signe discret vers le ventre de la jeune femme.

- Très bien ! Mais il ne faut pas attendre. Je ne parviendrais pas à le cacher bien longtemps.

- Tout est prêt, répondit le jeune Roi avant de glisser la main de Garance dans la sienne.

La signature du traité eut lieu le lendemain. Il s'en suivit trois jours de festivité. Eliam n'avait pas souvenir d'avoir été aussi heureux. Pour la première fois de son existence, il avait la sensation que chaque chose était à sa place.

Durant la semaine qui suivit il passa ses journées avec Garance et leurs conseils respectifs dans la grande salle du Château. Ils mirent en place les modalités de fonctionnement du gouvernement d'Eredjan, répartissant équitablement les tâches, établissement leur calendrier de leur présence entre les provinces de Saillans et d'Elenith. Ils avaient communément décidé d'établir leur foyer entre les deux capitales passant une saison dans chacune, laissant un gouvernement élu et autonome en permanence à Estran et Amarylis.

Les deux amants passaient leur nuit à tenter d'oublier le temps que le destin leur avait volé. Ils imaginaient leur avenir. Les quelques heures où ils dormaient, Eliam ne pouvait détacher sa main du ventre de Garance. Il semblait émerveiller, obnubiler par la petite vie qui grandissait en elle. Un matin, elle le surprit en train de murmurer des mots au bébé.

Quand à Oxance, il réveillait le château d'Estran de ses cris et de ses rires, trouvant sa place où qu'il aille. Adrissa, qui ne quittait pas l'enfant, n'avait désormais aucun doute sur la paternité d'Eliam. Elle n'en dit mot, mais elle en avait la certitude tant cet enfant avait l'attitude, l'insouciance, la posture et les mimiques de son fils au même âge.

Depuis la signature du traité d'unification et les festivités qui avaient suivi, l'atmosphère d'Estran semblait s'alléger. Eliam avait fait renforcer les patrouilles de ses chevaliers, pour prévenir d'éventuelles rixes entre gens de Saillans et d'Elenith. Mais les opposants au traité semblaient avoir quitté la ville pour suivre Désone. Eliam gardait un œil sur ses opposants qui se gravitaient aux environs de Londemare, mais refusait d'intervenir. Il avait bon espoir que le feu de la contestation s'étouffe de lui-même, devant le désir de paix de son peuple.

La population de Saillans et d'Elenith affluait chaque jour un peu plus vers Estran pour les noces de Garance et Eliam. Tous deux voulaient voir en cela un signe de l'assentiment de leurs peuples respectifs.

La veille du mariage, Shilar et Lalikine firent irruption dans la cour du Château d'Estran. Eliam n'avait pas revu ses amis depuis la fin de la guerre. Il fut ravi d'accueillir les deux compères. A part quelques cicatrices de plus et un teint marqué par la vie en mer, ils ne semblaient pas avoir changé. Ils félicitèrent Eliam pour son prochain mariage et tous trinquèrent à la santé des mariés. Mais quand les trois hommes se retrouvèrent seuls, Lalikine et Shilar informèrent Eliam qu'ils avaient rencontré Désone en débarquant à Londemare. Ils connaissaient donc la raison de la querelle des deux amis. Eliam fut soulagé d'apprendre qu'il lui faisait confiance et avait foi en ses choix. Ils avaient cependant bon espoir que Désone se rangent aux côtés de leur Roi.

- Je l'espère aussi...répondit-il avant d'avaler son verre de whisky d'une traite.

Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant