Partie 24

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Eliam observait la nuit printanière de la fenêtre de sa chambre sur les hauteurs de Londemare. Adossé au mur de pierre grise, le clair de lune éclairait son visage. Ses cheveux de nouveau mi-longs ondulaient jusqu'à ses épaules. L'hiver rigoureux, les journées passées enfermer avaient foncés ses mèches habituellement blondies par le soleil. Il portait désormais une barbe épaisse mais taillée. Il n'avait pas trente ans, mais les petites rides qui étaient apparues autour de ses yeux aux prunelles indigo et son air continuellement soucieux l'avait prématurément vieilli. Ses derniers mois l'avaient profondément marqué.

Ses yeux se baladaient sur les toits d'ardoise de la ville jusqu'aux navires du port, sans les voir. Son esprit était obnubilé par des questions sans réponses. Au milieu de la nuit, loin de l'agitation de la journée, prisonnier de ses insomnies, Eliam sentait son âme s'emplir de désespoir, son corps succomber à l'épuisement. Il gérait l'état de guerre, la survie de Saillans au jour le jour. Sa vision de l'avenir n'excédait pas les quelques mois à venir. La menace de Dragan était permanente, le désir de vengeance, obsédant. Le calme des nuits n'était qu'incertitude, culpabilité et solitude.

Soudain, on frappa à la porte. L'aide de camp d'Eliam entra aussitôt et découvrit son Roi face à la fenêtre.

- Mon Roi, les feux d'alertes de la côte ouest se sont allumés, dit-il d'une voix sourde.

Eliam fit volte-face et posa son regard fatigué sur le jeune chevalier :

- Fais sonner le tocsin immédiatement, on lance l'évacuation des femmes et des enfants vers les campagnes. Ensuite, rassembles le commandant des chevaliers et ses seconds. Va me chercher les capitaines des navires qui mouillent dans le port, ainsi que le préfet. Je veux voir tous le monde en bas dans une heure, dit-il d'une voix calme en regardant son aide de camp le saluer puis sortir en trombe de sa chambre.

Le Roi de Saillans fit de nouveau face à la nuit étoilée et posa ses poings sur le rebord de pierre. Ses épaules s'affaissèrent brusquement. Il était face à son destin. Dans quelques heures, une aube de sang se lèverait. A cet instant, il devrait sauver son peuple, décider de la destinée de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants, il se sentait emprisonné dans un étau de solitude. Il était temps pour lui d'expier ses péchés, de se montrer à la hauteur de celui qu'il avait tant déçu et peut-être d'obtenir vengeance. Il n'y avait d'alternative à la mort que la victoire.

Soudain, les cloches de Londemare se mirent à résonner de toute part. La population se réveilla en instant. Dans les minutes qui suivirent l'appel du tocsin des centaines de chandelles s'allumèrent derrière les fenêtres de la cité. Les maisons se vidèrent, des enfants encore à moitié endormis, emmitouflés dans les couvertures de leur couchage déboulèrent dans les rues, accompagnés par leurs mères. Ils remontaient la ville jusqu'à la route des campagnes. Les hommes s'armaient et prenaient la route des remparts pour recevoir leurs ordres auprès des chevaliers. Malgré l'agitation et la peur du peuple de Londemare, l'évacuation restait disciplinée, chacun s'acquittait de la tâche lui incombant.

Eliam ouvrit la fenêtre pour sentir l'atmosphère de la cité. La ville se vidait dans un étrange silence, brisé par le bruit des cloches, le cliquetis des armes et les pleurs des jeunes enfants.

Le Roi de Saillans se redressa, puis lentement, il revêtit son armure de cuir sur sa chemise de coton. Il enfila ses bottes hautes, prit son ceinturon qu'il noua autour de sa taille, puis il saisit d'une main poignard, pistolet, épée et sortit de sa chambre.

Les marches de l'escalier de bois de la maison qu'il habitait grincèrent sous son poids. A l'étage inférieur, il alluma quelques chandelles et s'assit à son bureau, face aux divers plans de la ville et des alentours.

Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant