Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères Maudits

Partie 38

Eliam rentra chez lui avec cette énergie due au fait d'avoir un immense défi à relever. Il allait cependant avoir besoin de toute l'expérience qu'il avait acquise au long de cette longue guerre pour faire de ce rêve d'unification, une réalité.

Quand il passa la porte de la cour du Château d'Estran, Adrissa et Désone l'attendait déjà, avertis du retour du Roi par les éclaireurs. Eliam ne fut pas surpris de découvrir son ami aux côtés de sa mère. Elle avait certainement du le faire appeler le lendemain de son départ.

A peine eut-il mis un pied à terre que sa mère se jeta dans ses bras.

- J'ignore ce qui me retient de te gifler pour la peur que tu m'as fait. Murmura-t-elle contre l'épaule mutilée de son fils.

- Peut-être le fait que je sois Roi. Répondit-il dans un sourire.

La Reine douairière se recula pour observer plus attentivement Eliam et le trouva métamorphosé. Désone, quelques pas en arrière fit le même constat : les prunelles indigo du Roi avaient un éclat que son ami ne lui avait jamais connu, ses lèvres s'étiraient dans un sourire narquois qu'il ne lui avait pas vu depuis des années. Désone avait l'étrange impression de retrouver l'ami d'antan, celui de l'époque où tous deux n'avaient pas les responsabilités d'aujourd'hui.

- Qu'as-tu trouvé en Elenith ? Demanda Désone en donnant l'accolade à son Roi.

- Ce que je n'espérais plus. Répondit énigmatiquement Eliam.

Il les entraîna dans son bureau, se fit servir à déjeuner et engloutit son repas tandis qu'Adrissa et Désone l'assaillait de questions. Eliam termina son assiette et leva les yeux vers les deux personnes qui le connaissaient certainement le mieux.

- Garance est en vie. Elle a reprit Amarylis et contrôlera sous peu l'ensemble du territoire d'Elenith.

- Comment se fait-il qu'elle est survécue ? Demanda Adrissa.

Eliam raconta les péripéties de Garance, omettant les détails qu'elle-même aurait tu.

- Ce n'est pas tout. Elle a un fils d'un an et demi : le fils de Galahaad.

La stupéfaction se peignit alors sur le visage de ses deux interlocuteurs.

- Comment peux-tu savoir que c'est le fils de ton frère ? demanda Désone septique.

- Quand tu le verras tu le sauras. Le sang de Saillans coule dans ses veines.

- Si tu dis vrai cela pose un réel problème quand à la succession de Saillans. Dit Adrissa.

- Pas du tout. Oxance, le fils de Garance sera mon héritier.

- Comment ? S'écrièrent ensemble Désone et Adrissa.

Désone perdit alors son calme légendaire, se releva si brusquement que sa chaise s'écrasa au sol, puis il figea son regard dans celui d'Eliam :

- Tu deviens fou ! Garance a trahie Saillans, au lieu de venir trouver de l'aide auprès de nous elle s'est refugiée dans les steppes pour reprendre seule le contrôle d'Elenith, alors qu'elle avait juré fidélité au peuple de Saillans. Son fils sera élevé en Prince d'Elenith et tu veux qu'il devienne Roi de Saillans.

- Primo, je ne débâterais pas ici des raisons pour lesquelles elle n'est pas venue trouver refuge ici.

- Pourtant tu devrais être le premier à t'en offusquer. Répondit Désone, d'un ton chargé de sous-entendus.

- Bien sûr que je m'en suis offusqué, néanmoins elle a fait ce qu'il fallait pour survivre et pour sauver son fils. Tu ignores ce par quoi elle est passée.

- Je te trouve bien conciliant sachant qu'elle a survécue tandis que ton frère est mort.

- Je n'aime pas ce que tu sous-entends. Tu ferais mieux de t'exprimer clairement.

- Tu crois sur parole une Reine qui a trahie son peuple....Ton Peuple.

- Je te mets au défi de me répéter ses mêmes mots quand tu verras son regard. Elle a combattu peut-être d'une manière encore pire que la nôtre.

- Je n'ai aucunement l'intention de croiser son regard, ni même de la voir. Je doute qu'elle n'ose mettre un pied à Saillans maintenant qu'elle est Reine d'Elenith.

- Il le faudra bien, puisqu'elle va devenir Reine d'Eredjan.

- Que dis-tu ?

- Je vais l'épouser, et nous règnerons tous deux sur Eredjan.

- Eliam, est-ce une plaisanterie ?

- Absolument pas.

- Tu ne vas pas faire l'erreur de ton père et de ton frère et remettre une Reine d'Elenith sur le trône de Saillans.

- Ce n'est pas comme cela que je vois les choses, elle me donne le trône d'Elenith, je lui donne de celui de Saillans. Nous règnerons ensemble sur Eredjan unifié.

- C'est de la folie Eliam, jamais les hommes et les femmes de Saillans n'accepteront de s'assujettir à Elenith. Dit Désone en s'asseyant de nouveau, assommé par les déclarations de son Roi.

- On ne parle pas de soumission mais d'unification.

- Je suis d'accord avec Désone, tu risques une révolte avec des idées pareilles. Ajouta Adrissa, abasourdie par les révélations de son fils.

- Il n'y a pas à se révolter, je ne tiens pas à gouverner de cette manière. Notre peuple est libre de choisir son destin. Saillans décidera lui-même si oui ou non, nous nous unifions à Elenith.

- Et si le peuple refuse qu'adviendra-t-il ? Demanda Désone.

Eliam mit un moment à répondre, son regard déterminé figé sur Désone, puis le couperet tomba, énoncé d'une voix calme et posée :

- J'abdiquerais.

Désone quitta aussitôt la pièce, en claquant la porte derrière lui. Eliam défia du regard un instant sa mère puis se leva pour faire face à la fenêtre. La Reine Douairière le rejoignit et posa sa main sur l'épaule mutilée de son fils.

- J'aime Garance, Mère et cela depuis le premier jour, j'élèverais son fils comme le mien et rien ne se mettra en travers de mon chemin, surtout pas un trône dont je n'ai jamais voulu.

- Eliam, tu ne peux dire cela, tu ne peux pas abandonner le peuple pour lequel tu t'es tant battu, tu as tant perdu.

- Depuis la fin de cette guerre, j'ai la certitude que notre monde doit changer, les hommes et les femmes de Saillans n'ont pas besoin d'un guide, ils ont prouvé qu'ils méritaient d'être maître de leur propre destin.

Eliam se retourna pour faire face à sa mère.

- Mère, pour la première fois depuis que je suis Roi j'ai l'impression de prendre la bonne décision.

- Tu me fais peur Eliam. Répondit Adrissa en prenant la main unique de son fils entre ses paumes.

Quand la Reine quitta la pièce. Eliam s'assit de nouveau à sa table de travail et écrivit une très longue lettre à Garance pour lui expliquer l'ampleur d'un projet qu'il n'avait pu lui expliquer de vive voix.