Partie 28

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Le bruit de l'averse résonnait sur la toile de peau tendue de la tente. Les centaines d'impacts donnaient à l'abri sommaire une musicalité étrange. Les premiers orages d'automne traversaient les steppes, apportant des trombes d'eau qui parfois obligeaient les membres de la tribu à rester dans leurs tentes des journées entières. L'eau ruisselait sur le sol avec une tel intensité que la terre aride n'avait pas le temps d'absorber la pluie.

Cernée par le déluge, bercé par le chant de l'eau, Garance se sentait en sécurité. Dans la pénombre de la nuit, elle était allongée sur sa paillasse. Son fils était endormi à ses côtés. Le feu qui brûlait au centre de la tente apportait un douce chaleur à leur petit refuge. Les lueurs de l'âtre se réfléchissaient sur les traits paisibles d'Oxance. Son bébé avait six mois, il avait les cheveux de sa mère, couleur ébène, mais c'était un fils de Saillans. Chaque jour, les traits de son visage reflétaient un peu plus son ascendance nordique. Son visage aux joues rebondies était illuminé par des prunelles indigo lumineuses. Quand son fils la scrutait avec toute l'innocence de son regard, Garance ne pouvait s'empêcher de penser aux prunelles de Galahaad et d'Eliam, si semblables. Lorsqu'elle songeait aux deux frères, ses pensées se teintaient de mélancolie devant le gâchis de leur histoire commune. L'amour qu'elle avait éprouvé pour Eliam avait été le catalyseur de malheur et de désastre pour eux et leur entourage. Avec le recul, elle savait que les horreurs qu'elle avait subies n'étaient que le châtiment des péchés commis. Elle était désormais convaincue que les méandres du destin qui l'avaient amené entre les griffes de Dragan Lancéart avait pour raison l'expiation de ses péchés. Elle l'avait accepté. Si elle avait pensé être brisée, il n'en était rien, Oxance l'avait rendu plus forte, plus combative.

Le petit corps chaud de son fils au creux de ses bras, Garance mesurait sa chance d'avoir survécu. Elle ne se lassait pas de l'observer, de le câliner, de laisser ses doigts glisser dans ses cheveux bruns. Les grands yeux bleus, les joues rebondis, les premiers sourires, les gazouillis d'Oxance, lui faisait oublier les cauchemars qui hantaient son sommeil. Elle n'avait plus qu'un seul objectif : mettre son fils en sécurité. Et ceci à n'importe quel prix. C'est dans ce but qu'elle avait proposé un marché à Vanech Gabor.

Chaque jour, elle guettait son retour. Elle ne l'avait pas revu depuis la naissance de son fils. Garance savait que sa proposition avait surpris le pirate. S'il ne lui avait pas clairement dit, il avait certainement cru qu'elle avait définitivement perdue la raison. Cependant, depuis qu'elle avait pris sa décision, Garance avait le sentiment de n'avoir jamais été aussi lucide de sa vie. Toutes les épreuves qu'elle avait traversées lui avaient donné une force, une maturité, une assurance qu'elle n'avait jamais eue avant. Cependant, pour accomplir son projet, elle avait besoin de Vanech Gabor.

Le temps s'écoulait au rythme du quotidien dans une relative quiétude. Garance profitait de chaque moment avec son fils. Elle s'acquittait des corvées qu'on lui avait confiées dans la tribu. Les repas et de nombreuses tâches s'effectuaient en groupe. Malgré cela, on lui parlait qu'en cas d'absolue nécessité et elle s'en satisfaisait. Elle était vêtue d'une tenue autochtone : ses longs cheveux étaient cachés sous un épais turban beige, elle portait une tunique sombre à manches longues qui arrivaient à mi-cuisse avec un pantalon de même couleur. La plupart du temps, les habitants des steppes marchaient pieds nus, elle s'y était habitué. Hormis sa peau au teint d'albâtre, un voyageur n'aurait pas fait la différence entre elle ou une autre femme des steppes. Cependant, pour les gens de la tribu elle restait une étrangère, uniquement tolérée parce qu'elle avait été amenée par Vanech Gabor.

L'hiver s'installa définitivement dans les steppes. Le sol aride et infertile fut bientôt balayé par les vents violents du Nord. Garance avait l'impression de vivre dans un brouillard continuel de sable. Il s'infiltrait partout. Seules quelques averses de pluies donnaient de relatifs répits. Elle avait du coupé ses cheveux aux plus courts, ses mèches brunes encadraient son visage dans un carré flou et ondulant. Mais la plupart du temps, elle se protégeait avec son turban. Oxance était en permanence emmitouflé et accroché dans son dos. Les femmes de la tribu lui avait appris à le nouer au-dessus de sa taille dans un longue écharpe.

Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant