Partie 22

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Ses paupières ne parvenaient pas à s'ouvrir, cependant elle avait pleinement conscience du sol dur sous son corps, de la couverture rugueuse sur ses bras. L'odeur qui planait dans l'air emplissait ses narines à tel point qu'elle ne pouvait faire abstraction de sa pestilence. Un mélange d'eau croupie, de moisissures et d'excréments saturaient l'atmosphère. Une puanteur telle qu'elle lui donnait la nausée.

Encore enfouie dans une semi-inconscience, elle frissonna à l'idée de découvrir quel sombre cloaque pouvait dégager ses relents. Étrangement, l'odeur du lieu l'emmena vers ses souvenirs. Amarylis et son enfance était intimement lié au parfum des magnolias et à celui de la pierre blanche rôtie par le soleil. Quand elle pensait à Saillans, elle pouvait se remémorer l'odeur du feu de bois dans la cheminée, l'exhalation de la nature prise dans les premiers gels d'hiver. Ces effluves si particulières de sous-bois, d'humidité et de pureté. Des senteurs qu'il lui rappelait inexorablement l'odeur de la peau de Galahaad. Tout comme l'iode et le musc serait à jamais le parfum du souvenir d'Eliam. Avec le temps, Garance avait la sensation que les visages, les images de ses souvenirs s'effaçaient pour ne rendre que plus vivaces les parfums et les émotions passés.

Soudain, une voix étrange, prononçant des paroles incompréhensibles résonna à son oreille, la hissant peu à peu vers la réalité. Elle sentit une main sous sa nuque. Le contact la fit tressaillir au plus profond de sa chair. Mais ses membres étaient si lourds, qu'elle ne parvint pas à l'éviter. Elle fit un effort surhumain afin d'ouvrir ses yeux et d'évaluer la menace. Il lui fallut un long moment pour que sa vue distingue autre chose que des formes floues.

Dans la pénombre, au-dessus d'elle, le visage d'un homme, dont les lèvres semblaient scellées en une ligne dure. Les ombres jouaient sur ses traits taillés à la serpe. Une barbe de plusieurs jours rongeaient son visage, une longue balafre parcourait l'une de ses joues, la teinte de sa peau semblait dorée par le soleil tandis que des prunelles d'une teinte caramel, réchauffait un regard qui semblait en perpétuel mouvement. Un turban sombre, encadrait son visage et recouvrait ses cheveux.

Elle vit alors un gobelet s'approcher de ses lèvres, et se rendit compte qu'elle avait tellement soif qu'elle avait l'impression d'avoir la bouche pleine de sable. Elle avala les quelques gorgées d'eau que l'homme lui présenta en même temps qu'il lui relevait la tête. Quand elle eut fini, il l'aida à se rallonger. Épuisée, Garance sombrait à nouveau dans un sommeil sans rêve.

Vanech tira la couverture sur les épaules de la jeune femme. Il observa un moment le visage émacié et pâle de la jeune femme. Son regard se figea sur ventre rebondi et l'homme retint un soupir. Il ne savait vraiment pas comment il allait parvenir à tous les sauver : elle, son enfant et Andreas. Ils étaient parvenus non sans mal à se réfugier dans la cave d'une masure du quartier des esclaves d'Abdakian. Il leur fallait encore quitter la capitale, parvenir jusqu'à Azov et embarquer sur un navire.

Vanech se releva, resta le dos courbé pour ne pas se cogner la tête contre le plafond, s'orientant dans la pénombre par la seule lumière d'un misérable soupirail. L'agitation de la rue lui parvenait, la ville était en pleine révolte. Mais pour combien de temps ? Les Djims n'avaient que le nombre pour eux. Si Dragan faisait revenir ne serait-ce que quelques troupes de Saillans, les esclaves seraient écrasés en quelques jours.

Vanech récupéra la cruche d'eau, un morceau de linge et s'accroupit au chevet d'Andréas. Le pirate dormait d'un sommeil agité, le front perlé de sueur. Il écarta les pans de la tunique tachée de sang de son ami. Il retira le pansement de fortune et dégagea la plaie béante de l'abdomen. Il avait été touché par une des épées Pallassines durant le combat mais Vanech ne s'en était aperçu que lorsqu'ils étaient parvenus dans les quartiers des esclaves et qu'Andreas était tombé de cheval.

Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant