L'aube se levait quand Eliam vit le Mandragore entrer dans la baie des Rugissants. Debout sur la jetée qui protégeait le petit port de pêche, il ne put retenir un soupir de soulagement en voyant son navire. Même s'il ne naviguait plus, il avait l'étrange sensation d'un attachement presque charnel avec cette frégate. Elle représentait de nombreuses années de sa vie, certainement les plus insouciantes et les plus heureuses.
Le jeune Roi de Saillans resserra les pans de son manteau pour se protéger de la bise mordante. Le vent polaire ébouriffa ses cheveux bruns de nouveau trop longs. Il tenta de discipliner ces mèches ondulées, humides des embruns, sans y parvenir.
L'hiver glacial et la mer démontée rendait cette guerre encore plus éprouvante qu'elle ne l'était. Pourtant, il avait conscience que c'était un réel avantage pour Saillans. Dans ce conflit, leurs uniques atouts contre Cy était leur connaissance des courants capricieux et de la côte meurtrière du nord d'Eredjan. A deux contre un, Eliam n'avait pas d'autre choix que d'exploiter au maximum la rapidité et l'efficacité de sa flotte.
Il avait établi son quartier général à Londemare, depuis il passait son temps à parcourir les côtes de Saillans. Il tentait de renforcer leurs défenses en un minimum de temps. Eliam avait fait équiper les tours de surveillance qui jalonnaient la côte de feux d'alerte, afin de réagir au plus vite à toute tentative d'invasion. Même s'il pensait qu'en toute logique Cy envahirait par Londemare ou la baie des Rugissants, les deux seuls points d'accès de la côte escarpée du Nord d'Eredjan pour une armée de l'ampleur de celle de Dragan. Londemare était une cité fortifiée capable de soutenir un siège mais ce n'était pas le cas des Rugissants, qui était un simple port de pêche. Eliam avait fait dépêcher tous les maçons et charpentiers disponibles dans le royaume. Il leur faisait bâtir à la hâte un rempart de pierre. Une partie des chevaliers et tous les villageois valides leur prêtaient mains fortes. Les vieillards, les malades et les enfants avaient été dispersé dans les villages voisins, afin qu'ils ne se retrouvent sur la ligne de front. Eliam avait fait des Rugissants le point d'attache de l'ouest pour sa flotte. Cela évitait à ses navires de devoir contourner Eredjan pour retrouver le port de l'Est : Londemare. Il avait donc créé un petit hôpital de campagne dans les collines à l'arrière du village, les docks avaient été transformés en centre de ravitaillement. On y avait stocké des silos de blés, des cruches remplies d'eau douce et les munitions fabriquées chaque jour par les femmes des pêcheurs.
Le petit port était à l'image de tous le pays, chacun participait, dans la mesure de ses moyens à l'effort de guerre. Dans chaque village, hameau ou ferme qu'Eliam avait traversés ses dernières semaines, Saillans était en ébullition. Nuits et jours, fébrilement, dans les campagnes on stockait des vivres, on confectionnait des biscuits secs et du porc salé pour ravitailler les marins. Dans les cités, grâce aux femmes on avait doublé les effectifs des arsenaux pour parvenir à fournir suffisamment de munitions aux navires.
Plus que l'effort de guerre et le renforcement de leurs défenses terrestres, Eliam devait faire en sorte d'entretenir à tous prix le moral de la nation et de ses troupes. Pour cela il fallait de l'espérance et des victoires. Dans cette guerre, Saillans n'avait pas grande chose à part sa foi, mais Eliam avait fini par se persuader qu'un infime espoir pouvait faire la différence. Cependant, outre ses observations spirituelles, il devait indéniablement faire face à des considérations beaucoup plus matérielles, notamment le manque cruel d'artillerie. Pour cette raison, il avait demandé au Mandragore ainsi qu'au Varech et au Dysmeal de rentrer au port.
Eliam quitta son poste d'observation sur la jetée puis rejoignit d'un bond la plage. Il parvint sur le quai au moment où le Mandragore jetait l'ancre. Dans un premier temps, on déchargea les blessés qui furent immédiatement conduits dans l'hôpital. Ils furent suivis par des marins aux visages épuisés, leurs joues rongées par une barbes hirsutes, leurs peaux brûlées par le froid. Malgré leur exténuation manifeste, ils redressèrent les épaules en voyant la présence de leur Roi. Eliam ressentit une fierté immense en observant chacun de ses marins. La plupart n'avaient pas vingt ans, et pourtant leur courage était une véritable source d'inspiration pour le jeune Roi. Il avait volontairement cessé de penser à ses hommes devenant de la chair à canon. Car sans leur sacrifice, une nation entière s'éteindrait. Il avait mis sa conscience de côté, même s'il ne doutait pas que sa responsabilité dans le massacre de centaines d'hommes reviendrait bientôt le hanter. Mais pour l'heure il se concentrait uniquement sur la survie de Saillans, leur résistance face à l'Empire.
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Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères Maudits
RomantikEliam de Saillans et Garance d'Elenith ont choisis leur destin. Ils ne leur restent qu'à affronter le poids de leurs regrets et à oublier désir et culpabilité. Mais de lourdes menaces pèsent sur Saillans. Malgré leur acharnement, Galahaad et Eliam p...