Partie 5

510 55 5
                                    

Acôme de Saillans succomba trois jours plus tard. Il partit au crépuscule, entouré de son épouse et de ses fils. Des messagers se mirent aussitôt en route en direction des diverses provinces de Saillans. Tous les pavillons de la capitale furent mis en berne.

La population d'Estran doubla dans les deux jours qui suivirent. Acôme était un Roi aimé, le peuple et les notables de Saillans se déplacèrent en nombre pour assister aux funérailles de leur souverain. Durant les jours qui précédèrent les obsèques, Eliam ne quitta pas la chambre de sa mère. Il l'obligea à s'alimenter, dormant sur un fauteuil pour la veiller.

Puis vint le premier jour et la première nuit des funérailles, destinés à pleurer la perte du Roi. Son corps, vêtu de sa tunique d'apparat, reposait sur un linceul, porté par dix des cinquante Chevaliers de Saillans. Adrissa, voilée et endeuillée suivait la dépouille de son époux, venait ensuite Galahaad et son épouse, vêtue elle aussi de noir, la tête nue, puis Eliam, habillé comme son frère de sa tenue d'apparat, chemise immaculée, tunique émeraude frappée du sceau de Saillans. Vingt chevaliers pour ouvrir la marche, vingt autres pour fermer le cortège.

La foule silencieuse, massée le long des rues rendait un dernier adieu au Roi dans le silence et sous un soleil de plomb. Puis notables comme gens du peuple prirent la suite de la procession.

Les chevaliers menèrent le cortège jusqu'au pied de la ville, pour déposer la dépouille sur une estrade de pierre surplombant le cimetière d'Estran et son mausolée des Rois de Saillans. Ce fut le premier des chevaliers du Roi qui embrasa le corps d'Acôme de Saillans. La famille royale faisant front aux pieds des marches, les deux princes encadrant la Reine, Garance aux côtés de son époux.

La longue litanie des penseurs d'Estran s'éleva en une plainte lugubre en même temps que les flammes emportaient le Roi, embrasant les cieux. L'atmosphère se chargea de l'odeur de chair brûlée. Eliam et Galahaad regardaient leur père partir en fumée. Leurs prunelles azur figées sur les flammes, leurs tuniques battues par les vents de Saillans. Le bûcher brûla des heures durant, dans un silence oppressant, brisé par les chants tristes des penseurs.

Quand le brasier cessa, tous, fils, épouse, chevaliers, domestiques, ouvriers, paysans, commerçants, nobles s'agenouillèrent à terre, la nuque brisée dans une dernière révérence à leur Roi et ceci jusqu'à les cendres refroidissent. Les penseurs saisirent alors quatre urnes de granit de Saillans qu'ils remplirent des restes de leur Roi. L'une d'elle fut déposée à quelques mètres de là, dans le mausolée des rois de Saillans, Acôme était enterré comme un Roi, mais reposerait comme un homme. La seconde fut confiée à un chevalier qui prit la route des montagnes, pour la déverser dans le vent. La troisième fut transmise à l'un des marins de la flotte qui partit en direction de Londemare pour la rendre à la mer. Ainsi selon la tradition de Saillans, le corps donné serait rendu aux éléments : le feu, la terre, l'air et l'eau. Une fois le rite accomplit, la foule repris la route d'Estran, le silence brisé par le sanglot des femmes, la cérémonie avait duré toute la journée et une partie de la nuit. Sous un ciel illuminé de milliers d'étoiles, Eliam et Galahaad soutinrent leur mère pour rentrer jusqu'au château.

Le lendemain, Garance s'éveilla seule dans son lit. L'aube pointait. Elle s'assit à sa table de toilette et fit face au miroir. Elle avait une mine affreuse, les traits tirés, les yeux gonflés. Les funérailles du Roi, la souffrance de la Reine et des Princes, faisaient douloureusement ressortir de lourds souvenirs, la perte de son propre père, des obsèques auxquelles elle n'avait pas assistée, un deuil qu'elle n'avait jamais fait. Ces derniers jours, il y avait trop d'émotions, trop de souffrances, trop de choses qui remontaient à la surface.

Soudain, un hurlement résonna dans le château. La jeune femme tressaillit et se leva si brusquement que sa chaise tomba sur le sol. Elle courut jusqu'à la fenêtre mais avant qu'elle ne l'atteigne la porte de la chambre s'ouvrit précipitamment. Garance fit volte-face pour découvrir Galahaad, entrant en trombe, un sourire aux lèvres. La jeune femme tous d'abord effrayée resta perplexe. Il portait encore sa tenue d'apparat, ses courts cheveux blond habituellement si bien coiffés étaient tout ébouriffés, le rendant encore plus beau.

Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant