Partie 20

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Son parfum unique d'iode et de musc chatouillait ses narines de telle sorte qu'elle savait qu'elle était au creux de ses bras. Elle sentait ses paumes posées sur son ventre arrondi. Dans le calme et la quiétude de la nuit, son bébé se réveillait, répondant aux caresses des mains de son père par de vigoureux coups de pieds. Le dernier arracha un sourire à Garance, il l'avait fait sursauté. Eliam était maintenant éveillé, elle pouvait sentir son souffle chaud au creux de sa nuque, ses mains calleuses remontèrent le long du corps alangui de la jeune femme et caressèrent avec tendresse ses seins gonflés et sensibilisés par la grossesse. Garance tourna la tête et blottit son visage contre le torse d'Eliam se repaissant de sa chaleur, de son odeur. Elle laissa courir ses lèvres sur sa peau, tombant ça et là sur d'anciennes cicatrices sur lesquelles elle déposa un baiser. Eliam la rapprocha encore de lui, ses mains glissant sur son corps dénudé. Elle releva son visage vers celui de son amant et voulut lui murmurer à quel point elle était heureuse, mais il la fit taire d'un baiser impérieux.

Soudain, un énorme bruit métallique retentit. Garance mit un instant à réaliser qu'elle avait quitté le refuge de son rêve pour replonger dans le cauchemar de son existence. Elle sortit péniblement de son lit. Le langage de son corps lui avait appris qu'elle approchait du terme de sa grossesse et désormais nul ne pouvait ignorer son ventre proéminent, d'autant plus que le reste de sa silhouette était décharnée. Elle s'avança d'un pas lent jusqu'à la fenêtre de la chambre dans laquelle elle était enfermée depuis des mois. Elle frémit dans sa longue et légère chemise de nuit tandis que son regard se perdait sur les jardins plongés dans la pénombre nocturne. La lune pleine lui permettait de ne distinguer que l'ombre des bosquets.

Des flashs de rêve lui revinrent et elle frémit. Plus sa grossesse avançait plus ses rêves se précisaient, lui faisant miroiter un futur impossible. Imaginer qu'elle tenait son bébé dans ses bras était une souffrance continue qu'elle ne parvenait plus à faire taire, alors que chaque jour l'enfant qu'elle portait manifestait un peu plus sa présence et sa vitalité. Mais rêver d'Eliam était une torture encore plus pernicieuse. Au fil des mois, son visage s'estompait, ses traits étaient de plus en plus flous, mais les sensations de ses mains sur sa peau étaient toujours aussi réelles, son désir toujours aussi puissant. Lorsqu'elle s'éveillait son esprit tourmenté ne pouvait s'empêcher de faire un amalgame entre ses rêves et ce que lui faisait subir Dragan Lancéart. Malgré ses songes, elle en était venu à haïr Eliam de Saillans au moins autant que l'Empereur de Cy.

Alors qu'elle commençait à penser qu'elle avait rêvé ce bruit étrange, des cris retentirent à l'intérieur du palais, suivi par le cliquetis caractéristique des Pallassines courants sur le marbre. Elle tendit l'oreille mais s'assit dans un fauteuil car ses jambes ne parvenaient plus à la soutenir. Elle ignorait à qu'elle point la nuit était avancée. Cela faisait bien longtemps qu'elle avait perdu la notion des mois, des semaines, des jours ou des heures. La seule chronologie qu'elle connaissait était celle de sa grossesse, son terme inexorable, avec les conséquences que Dragan Lancéart lui avait promis.

Cette fois, elle entendit des coups de feu puis une détonation, vraisemblablement des combats se déroulaient au sein même du palais. Puis, un bruit de pas se fit entendre dans le couloir, se rapprochant peu à peu. Son sang se glaça et ses mains furent saisies d'irrépressibles tremblements. Elle écouta la clé tourner dans la serrure tandis qu'elle tentait de calmer sa respiration devenue chaotique. Elle laissa à nouveau son regard se perdre sur les jardins, tentant d'ignorer encore quelques secondes la venue de son bourreau. Quand la porte s'ouvrit, la jeune femme s'était levée pour faire face à sa fenêtre.

- Garance de Saillans ? demanda une voix teintée de l'accent roulant des steppes.

La jeune femme tressaillit, on ne l'avait pas appelé ainsi depuis la mort de Galahaad. D'ailleurs, elle n'avait pas entendu d'autre voix que celle de Dragan Lancéart depuis le début de sa captivité, les Djims se relayant à son service dans sa chambre restaient obstinément muets.

- Garance de Saillans ? répéta l'homme à l'accent étrange.

La jeune femme fit alors lentement demi-tour sur elle-même et découvrit dans la lueur des bougies deux hommes lourdement armés, vêtus de tuniques longues, sombres et sales, d'étranges pantalons de toiles bouffants, de hautes bottes de peau et de turbans qui recouvraient leurs chevelures ainsi qu'une partie de leur visage. Garance ne put s'empêcher de reculer inexorablement jusqu'à ce que son dos touche le mur de pierre. Elle avait perdu tous sens commun, depuis des mois tous son univers tournait autour des violences que lui infligeait Dragan Lancéart. Elle se demandait ce que l'esprit pervers de son bourreau avait bien pu encore inventer.

L'homme glissa la dague ouvragée et le pistolet qu'il tenait à la main dans la ceinture de sa tunique, puis lentement, il ôta le bout de tissu qui cachait une partie de visage. Garance détailla les traits de l'homme au teint basané, mais ne le reconnut pas. Il fit alors un pas vers la jeune femme, les mains ouvertes devant lui comme pour lui signifier qu'elle ne craignait rien de lui.

- Garance, je suis Andréas Khan, vous ne me connaissez pas, mais je suis à votre recherche depuis des mois. C'est Eliam de Saillans qui m'envoie.....

Garance scruta l'homme de ses prunelles grises, tentant d'assimiler les paroles qu'il prononçait sans y parvenir. Le sang qui battait à tous rompre dans ses veines résonnait dans ses tempes jusqu'à l'assourdir. Le dernier mot qui lui parvint fut un juron émis par une voix rocailleuse, puis elle sombra dans le néant. 

Les Royaumes d'Eredjan 2 - Les Frères MauditsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant