« -Tu veux faire quelque chose de cliché?
-Oui?
-Parfait. »
Jimin l'entraîne par le bras, hors de chez lui. Il est tard, il fait presque nuit, mais il n'a pas l'air d'en avoir quoi que ce soit à faire. Il a un quelque chose dans les yeux. Un quelque chose qui ressemble à un papillon et à une étoile, les deux liés, les deux modifiés en quelque chose de plus Jimin. C'est tout ça. Hoseok crie à sa mère que Jimin est là, qu'il s'en va, sa mère crie pardon, son père crie que c'est d'accord. Son père aime bien Jimin, et il ne trouvait pas ça normal que Hoseok ne se fasse pas d'ami, en tant qu'ado de dix-sept ans, alors ça lui plait de voir tout ça.
Tout un contexte pour dire que Jimin est allé chez Hoseok un peu tard, qu'il l'a entrainé par le bras, son idée en tête (et finalement, c'est ça qu'il avait dans les yeux : une merveilleuse idée). Pas très loin de la rue presque piétonne, ils retrouvent une voiture, belle, pas trop grande, pas trop neuve, pas vraiment exagérée.
« Je te présente Namjoon (le garçon qui a l'air un peu vieux, au volant) et Jungkook (le garçon qui regarde ailleurs, qui n'a pas l'air à sa place, mais heureux d'être dans cette voiture). »
Tout le monde se dit bonjour, Hoseok monte dans la voiture, Jimin claque la portière derrière lui et monte de l'autre côté. Ils sont à l'arrière, tous les deux. Tous les deux. A deux.
Jungkook a dix-sept ans. Il connaît Jimin, parce que c'est comme ça et que ça leur va. Jungkook n'aime plus son monde mais adore la musique. Namjoon a dix-huit ans. Il connaît Jungkook, parce que Jungkook connaît beaucoup de beau monde. Namjoon aime la peinture.
Ils sont à quatre, et quelque part dehors, il y a plein de merveilleuses idées qui apparaissent dans le ciel. Petit à petit, alors que Namjoon accélère. Jimin fixe Hoseok, l'air de dire « t'as vu, c'est cliché, mais c'est vivant ». Alors il hoche la tête, sourit légèrement. Ils approuvent le moment. Ensemble.
Namjoon roule plutôt vite et c'est agréable, la nuit et les lampadaires les entourent (et comme s'il fallait le préciser, c'est beau, vraiment beau). Le ciel est comme un monochrome volé, une couleur nouvelle. Jimin a enlevé le vrai ciel, celui qui semble normal, celui à qui on ne pose aucune question. Il est un voleur de couleurs et de cieux. Finalement, Hoseok arrête de penser à ce Jimin un instant, parce que Namjoon ouvre les fenêtres. Ils ne sont plus au village, ils sont nulle part, il fait nuit, et le vent les submerge, en bourrasques intrusives, il est une houle fraîche qui s'immisce partout dans leur tête.
Jimin sort la tête par la fenêtre. Et en effet, c'est cliché, mais il a l'air bien comme ça. Alors Hoseok aimerait faire pareil. Pendant un instant, il ne sait pas s'il se met à la même fenêtre que Jimin. Ils seraient proches. Si proches. Cette idée l'attire, Jimin l'attire, ses yeux aussi, ses cheveux et son nez, sa peau, son torse caché et ses jambes un peu dénudées. Il va se décider, puis le blond rentre la tête, le regarde.
« -Fais pareil, tu vas voir, c'est magique.
-Ok. »
Il y a toujours cette ardeur, qui transperce leur coeur, quand tout passe entre leurs mots. Une candeur particulière, perfection minutieusement cachée dans un ok banal, pas accompagné d'un sourire, pas accompagné du tout en fait. Juste. Quelque chose dans les yeux. Qui coule partout dans le corps.
Comme Hoseok le pensait, leur visage est proche, leur joue se frôle, et la seule chose qui les sépare encore, c'est les idées dans le ciel qui s'incrustent un peu partout. Le vent violente leurs cheveux, les entortille. Ils se mêlent. Blond et brun, comme dans un cadre, comme sur une plage. Namjoon et Jungkook discutent devant, de la superficialité de cet endroit, parce que Jungkook est un peu obsédé par tout ça.
Jimin rentre la tête dans la voiture, Hoseok fait de même. Ils sont plus proches qu'ils ne l'étaient, avant de s'emplir de vent nocturne et d'étoiles.
Puis Jungkook met une chanson dans la voiture, avec le son à fond. Ça étonne Jimin parce que ce n'est pas du rock.
« -C'est pas du rock ça?
-Nan. Bah. Je me suis dit que ça pouvait être bien de changer. »
Jungkook a un regard perdu, puis balance la tête en rythme, bouge le corps, augmente encore le son. Et là, juste comme ça, à cet instant, quand Jimin pose légèrement son auriculaire et son annulaire au-dessus de la main de Hoseok, qui traîne sur le siège voisin, quand Namjoon se met à réfléchir plus que d'écouter les autres, quand Jungkook n'est plus vraiment l'ancien Jungkook, ils sont assez eux-mêmes pour que ce qu'ils vivent soit unique. Pas de cliché, simplement quatre personnes qui en ont assez, qui se changent les idées. Comme on change de ciel.
Les lumières défilent partout, et c'est magique. Hoseok se croit dans un film. Jimin aussi. C'est léger, presque autant que les traces lumineuses qu'ils poursuivent, presque autant qu'une éternité. Jimin a envie de hurler par la fenêtre, alors il le fait. Quand Hoseok le regarde, il voit un sourire rare, une étincelante vérité. Jimin a l'air fier de lui, mais surtout libéré. Comme s'il avait gravi une montagne infranchissable. Il y a de l'excitation, et beaucoup de vie, dans les yeux. Quand la chanson est terminée, Jungkook la remet, parce qu'elle va vraiment bien avec l'instant, et qu'en fait, il l'adore vraiment.
Ils roulent sans se soucier de ce qui peut bien se passer, après. Et c'est comme s'ils étaient en vélo, n'importe où, n'importe quand.
Il commence à faire tard, le téléphone d'Hoseok le lui rappelle. Ça l'embête, puis il dit à Jimin qu'il doit y aller.
« Ok. »
Ok. Rien qu'un ok. Et tout le reste qui va avec.
Namjoon le dépose en bas de sa rue, Jimin descend avec lui, demande aux deux autres garçons de pas l'attendre. C'est étrange, mais ça ne perturbe même pas Hoseok. Il ne se pose plus vraiment de question, quand Jimin est avec lui. Il n'en pose pas, il n'en crée pas, sauf dans le coeur de Jimin. Les deux se sont embrassés, il n'y a pas longtemps, puis ils ont recommencé, pas longtemps du tout après, c'était beau et c'était agréable, une jolie escapade. Ils ne savent plus quoi dire, l'un à côté de l'autre.
Ils marchent, des étoiles sur les épaules, du silence dans le ciel.
« J'aime bien ton silence tu sais. »
Hoseok l'interroge du regard.
« Peu de gens savent faire ça. Ne rien dire quand il ne faut rien dire. »
Hoseok le scrute simplement.
« J'aime bien. »
Hoseok hoche la tête. La voiture est loin, leur coeur bat. Les fleurs à leurs pieds sont violettes mais marines dans la nuit, la maison à-côté est celle d'Hoseok mais plus rien quand Jimin est là. Plus rien ne résonne, plus même la coque d'un bateau, plus même la musique de Jungkook. L'écho de leur coeur s'est vidé, pour ne laisser place qu'à cet instant. Hoseok se balance lentement d'avant en arrière. Jimin ne sait pas, pour une fois. Il ne sait pas s'il devrait dire ce qu'il pense. Et finalement il ne le fait pas. L'ombre d'un « ok. » se dessine dans leurs yeux, la lumière de l'idée s'y éteint, Hoseok est crevé, Jimin est fatigué, l'un tend la main, l'autre l'attrape et la serre, juste comme son coeur face à la déception.
La porte se ferme, et la nappe d'Hoseok n'a jamais été aussi laide.