Sous un ciel gris, il s'assoient. Yoongi est à bout de souffle, et Hoseok le regarde amusé. C'est un cours de sport comme les autres, dans une journée comme les autres. Les garçons qui sont fiers d'être des garçons montrent aux filles qui aiment les garçons fiers à quel point ils sont forts. Ils courent, crient quand ils réalisent une bonne action, se tapent dans la main et parfois se frottent le dos, mais surtout pas plus bas, et surtout pas avec de l'ambiguïté. Les filles font comme si elles étaient essoufflées, mettent leurs bras devant leur visage quand la balle arrive un peu trop proche d'elles, et remercient les garçons fiers qui les aident. Elles rient étrangement, comme si ça avait du sens de rire sans raison, comme si ça ne les rendait pas plus bêtes, ou plutôt comme si c'était souhaitable. D'autres filles se regroupent à côté du terrain et se moquent de la seule qui ose prendre la balle aux garçons fiers. Elles se moquent de son allure et de ses cheveux courts. Elles se moquent de ses bras trop musclés et de son regard trop sérieux. Et Hoseok et Yoongi, ils sont simplement là, à ignorer tous ces gens.
La pelouse est fraîche, mais pas trop. Hoseok plonge ses yeux dans la masse qui bouge, suit la balle avec de légers mouvements de tête. Puis celle-ci sort du terrain, à toute allure. Elle passe à-côté de lui et Yoongi, mais ils ne bougent pas d'un centimètre. Un garçon fier sort de la masse, tout rouge, suintant de virilité inappropriée.
« Bougez-vous le cul, nan ? »
Ils ne répondent pas ; il crache à terre. Yoongi se tourne vers Hoseok et laisse apparaître un profond dégoût, exagéré, sur son visage. Ils se retiennent de rire. Hoseok garde la balle dans un coin de son regard. Elle roule, de plus en plus doucement, jusqu'à un couple du fond de la cour. Là, sa course prend fin, sous le pied de l'amoureux, qui ensuite la relance vers le grand cracheur qui la poursuivait. L'amoureux, c'est un grand garçon châtain, qui est populaire et qui a une bonne réputation. Ses cheveux sont plus courts sur les côtés que sur le devant, et forment une belle ondulation. Il est plutôt musclé ; et au-dessus de ce beau corps se trouvent une belle veste, un beau jean, de belles chaussures. L'amoureuse, elle, est devant l'amoureux, et n'intéresse Hoseok que très peu. Ils se tournent un peu pour mieux s'embrasser, Hoseok se perd dans les courbes de la silhouette du garçon.
Hoseok ne s'intéresse plus à la balle.
Alors seulement, il se demande pourquoi il n'a pas fait attention à la taille des seins de la fille. Il se demande pourquoi s'il fermait les yeux, il serait incapable de donner la longueur de ses cheveux, ou même leur couleur. Il se demande si c'est normal que le garçon lui paraisse si beau. Puis il relève la tête, ferme les yeux, et se secoue. Il rejette toutes ces pensées.
Les autres sont pris par le jeu. Le professeur s'occupe d'une fille qui est tombée. Yoongi attend près d'Hoseok, se rapproche toujours un peu, lui jetant quelques regards maladroits.
« -On s'enfuit. »
Yoongi sursaute presque. Il toise Hoseok étrangement. Un peu comme s'il était un enfant de quatre ans, entendant son premier gros mot. Ou comme si Hoseok venait de proposer un meurtre. Un sourire étrange, si rare, est dessiné sur sa face, et Yoongi se sent déjà prisonnier. Prisonnier de la liberté.
« -Hein ?
-Personne nous verra.
On s'enfuit.-On s'enfuit ?
-On s'enfuit. »
Hoseok se relève le premier. Le professeur est toujours rivé sur la fille en pleurs, qui n'arrive plus à bouger. Yoongi prend appui sur l'herbe fraiche, puis doucement suit l'autre garçon.
« -On s'enfuit.
-On s'enfuit. »
Pris au piège par cette flamme qui brûle jusque dans leurs yeux. Ils répètent ces quelques mots, comme s'ils contenaient une sainte vérité. Comme s'ils contenaient la réponse, celle qu'ils cherchent depuis qu'ils se connaissent, celle qu'ils cherchent depuis qu'ils ont réalisé qu'ils étaient des êtres humains, sur terre, capables de réfléchir. Comme si ces quelques mots étaient tout ce dont ils avaient toujours eu besoin. Et chaque fois qu'ils les répètent, de la hâte les anime, plus fort, et plus fort, et encore plus fort. Si bien que quand ils arrivent aux vestiaires, quand leurs affaires sont dans leur sac, quand ils quittent l'endroit et qu'ils s'approchent de la sortie du lycée, quand ils accélèrent le pas, et puis encore un peu, et puis encore ; ces quelques mots deviennent progressivement des rires. De délivrance. D'espoir. D'autre chose.
De Plus.
Passant l'entrée du lycée, ne ralentissant pas, au contraire accélérant, ils se partagent l'exhalation d'une liberté pure. Hoseok inspire l'air qui semble se réchauffer. Yoongi expire longuement, avant d'accélérer, encore, parce que ça le libère de plus de choses qu'il n'aurait jamais pu espérer. Ils passent devant l'arrêt de bus. Accélérant. Ils passent devant le tournant que prend Hoseok pour rentrer chez lui. Accélérant. Ils avancent sans jamais regarder derrière eux, vers le centre-ville. Assourdissant. Ils doublent des gens qui marchent, et puis Hoseok double Yoongi.
« Tu ne me rattraperas pas ! »
Le soleil brille sous les nuages gris. Et le ciel rit sous son manteau lourd. Hoseok accélère encore, continuant sa provocation.
« Jamais ! »
Le garçon brun accélère encore un peu, et voilà, il est déjà loin. Il court, en riant fort, et en s'assurant que Yoongi ne le perde pas de vue. Ça ne ressemble pas à une envie de rester devant. C'est simplement une envie d'entraîner plus loin ; et d'oublier, oublier le gris, oublier la ville. Yoongi croit rêver, se demande ce qui lui prend. Puis, lui aussi se laisse prendre au jeu du soleil caché, du ciel enjoué. Il rattrape Hoseok rapidement, ce qui ne le laisse pas sans surprise. Hoseok ne pense plus qu'au bleu. Et ensemble, côte à côte, se dépassant l'un l'autre, ils vivent.
Et ça les fait rire, quand ils se font dévisager.
Ils tournent et quittent les grands boulevards pour les rues de quartier. Il y a des déchets sur le trottoir, mais surtout plus personne pour les observer. Ils sont enfin vraiment libres, et même qu'Hoseok est essoufflé, mais que pour se donner de la force, et pensant aux pêches et au soleil, il crie.
Le premier déchirement de l'atmosphère. Hoseok crie très fort. La première explosion de couleur, ardente et rassurante. Il pousse un deuxième cri, repoussant les nuages de Damoclès qui couvrent le ciel. De la joie et du courage, qui viennent se loger dans les pensées de Yoongi pour les hanter. Peut-être qu'ils semblent fous, mais dans cet automne envahissant, ils se bercent d'hurlements sauvages, râles du cœur, rien que de l'espoir, et du bonheur. Une symphonie bestiale et sans limite, harmonisée par la simple excitation des deux garçons en sueur, qui courent, et courent, et courent. Ils accélèrent encore, comme si c'était toujours possible, ignorant les alarmes de leur corps, ignorant les autres, ignorant la réalité. Le poids des choses éclate en morceaux ; Hoseok se sent comme en été.
Mais le ciel est gris, et les cœurs aussi.
La ville est grise, et on n'y croit pas réellement.
Ils traversent un carrefour, arrivent sur les rues piétonnes, entourés de magasins et de grandes personnes. Soudainement, Hoseok s'arrête, pose ses mains sur ses genoux, en riant faiblement, faussement.
Il ne parvient plus à faire semblant.
Yoongi, il sourit vraiment, et ça lui plait beaucoup. Ce sourire est un peu comme un cri de joie, encore un autre. Hoseok et Yoongi marchent encore un peu, et s'avancent vers la place principale. Ils ne s'encombrent pas de paroles inutiles, ils observent beaucoup, et Yoongi regarde pas mal Hoseok.
Le ciel est gris, les bâtiments sont gris, le sol est gris, Hoseok est en bleu. Et le gris qu'il oubliait, retombe. Il ne fait plus attention à Yoongi, mais seulement au gris. Il ne fait plus attention à la liberté, mais seulement au poids de sa retombée, et à sa place à lui, qu'il n'y trouve pas.
Ils s'assoient sur l'herbe qu'arbore la place. Hoseok regarde le ciel, qui lui paraît soudainement trop lourd, et qui n'aura jamais l'air bleu. Un ciel qui semble l'enfermer, plus qu'il ne paraît poursuivre les infinis. Un ciel qui n'offre aucune couleur, dont les nuages sont nombreux, si nombreux, l'écrasant sous une éternité trop réelle. Les nuages retombent.
Yoongi s'allonge entièrement, et rit encore un coup, essayant de reprendre son souffle. Puis il interpelle l'autre garçon, qui semble perdu dans le beau ciel.
« -Tu sais quoi, dit-il à Hoseok.
-Quoi ?
-J'en ai assez d'avoir l'air triste. »