onze. (cycling trivialities)

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Cinq. Quatre. Trois. Deux. Un.

Yoongi se sent profondément, étrangement soulagé. C'est comme une délivrance, un poids qui s'évade de son cœur, le laisse respirer un petit instant. ll ne sait pas trop pourquoi, mais cette simple sonnerie qui se fait entendre du fond du couloir lui fait tant de bien. Peut-être que c'est parce qu'il ne pensait pas survivre aux cours, à la nouvelle vie. Peut-être que c'est parce qu'il se sent comme un survivant, un homme qu'on aurait lâché dans une fosse aux lions, mais qui aurait trouvé une sortie. Un échappatoire. Une échelle.

Son échelle, elle est juste là, à-côté de lui. Il l'entend respirer, il l'entend regarder, il l'entend exister. Yoongi observe Hoseok, qui ne sourit qu'à moitié, très faussement. Alors il lui fait un grand sourire, beaucoup plus vrai, beaucoup plus enthousiaste, juste pour lui dire qu'il n'y a pas de raison de ne pas être heureux, là maintenant. Ça ne fonctionne pas. Hoseok fait un geste de la tête, puis ils s'en vont. Ils quittent la classe, sortent du lycée.

Yoongi marche avec entrain. Avec Hoseok à-côté de lui, il se sent bien. Son odeur, son profil, ses gestes. Yoongi les apprécie.

Il est tard, dans la journée et dans l'année, alors le ciel est recouvert de peinture bleue-nuit, un nuit très profond. Et puis, des étoiles. Des étoiles qui habillent la peinture, comme des éclaboussures de lumière, une maladresse astrale de l'artisan des cieux. Yoongi admire ces étoiles, il les respire. Il les voit descendre jusqu'à son corps, parcourir sa peau et pénétrer ses poumons, les infiltrer pour ne plus les lâcher, puis passer dans son sang. Il brille, sous la nuit, et les étoiles forment un chemin jusqu'à son cœur amoché mais rassuré. Puissantes.

Hoseok a l'air surpris, quand il le regarde. Il a un léger mouvement de recul, de l'étonnement dans les yeux. C'est un peu comme s'il voyait un inconnu pour la première fois, un inconnu un peu trop proche de lui.

Yoongi se demande s'il brille vraiment, et tant que ça.

Hoseok était juste perdu ailleurs.
C'est les vacances. Et maintenant, il est trop tard.

Ils marchent lentement, l'un à côté de l'autre. Ils se taisent, murmurent leur fatigue en silence, avec l'air glacé qui s'échappe de leur bouche. Dans son enthousiasme refoulé, Yoongi traine des pieds pour accompagner l'autre garçon, qui a l'air perdu. Il n'essaie plus de sourire, mais se sent plus à l'aise comme ça.

L'un a les lèvres gercées, l'autre les observe tant bien que mal, dans la nuit. Ils ne disent rien, un peu comme d'habitude, mais pour une fois Yoongi ressent le besoin de parler. Alors encore une fois, et toujours empli d'étoiles, il surprend Hoseok.

Il lève soudainement les bras avant de les étirer, ce qui rapproche sa main gauche d'Hoseok.

« -Le bleu est joli ce soir. »

Mais l'autre ne répond que d'un hochement de tête. Alors le petit brun abandonne définitivement, se reperd dans une contemplation férocement dissimulée, perdue dans la nuit étoilée qui recouvre leur profil candide. Il se dit qu'il est ridicule. Sûrement que c'est le cas. Alors il ne sourit plus, ne serait-ce que d'un iota.

Ils sont comme deux enfants, perdus dans une vaste plaine de questions, en permanence. C'est ce qu'Hoseok se dit. Il se dit aussi que ça ne rime à rien, de vouloir donner du sens à un peu tout ce qui nous entoure.

Yoongi fait la moue. Hoseok regarde le sol. Et bientôt, c'est l'arrêt de bus. Sans pouvoir cacher sa déception, envahi d'incompréhension, Yoongi lève la main et lui souhaite un bon retour. Hoseok dit à peine « toi aussi. », et continue son chemin.

Yoongi rentre dans le véhicule un peu triste un peu vide, et s'assoit vers l'avant, contre une fenêtre. Il observe la silhouette d'Hoseok, qui se dissimule lentement dans l'obscurité de la ville, s'y fraie un chemin difficile. Yoongi sent son cœur battre fort, très fort, sans trop comprendre pourquoi, puis se rue hors du bus. Il interpelle la silhouette un peu lointaine.

« -Viens chez moi demain, lui crie-t-il. »

Hoseok se retourne un peu brusquement, mais toujours plutôt lentement, cette fois-ci un vrai sourire en coin.

« -Je sais même pas où t'habites. »

Yoongi lui hurle l'adresse, puis se précipite de nouveau dans le bus, avant que celui-ci ne reparte. Posé contre la vitre, le front absorbant toute la fraîcheur du verre, il croise son regard quand le bus avance et le devance. Hoseok hoche la tête. Yoongi sent ses lèvres, qui pointent vers le ciel, sans avoir vraiment envie de les retenir. Il sourit bêtement, en regardant les étoiles dans la nuit marine et les étoiles dans les fenêtres des immeubles. Son cœur bat fort. Puis il regarde son reflet, dans la vitre. C'est drôle. Ce n'est pas comme d'habitude, quand il s'observe. Quelque chose semble différent, dans son visage. Mais il réalise qu'il a sûrement l'air ridicule, comme ça, alors il laisse retomber ses lèvres et essaie d'éteindre son cœur.

Dans la ville fraiche et sombre, seul, Hoseok avance difficilement. Il a oublié de mettre un manteau ce matin, parce qu'il était en retard, parce qu'il n'a pas réussi à se réveiller, parce qu'il n'a pas assez dormi. Ses doigts sont gelés, sa peau frigorifiée, le tout est parcouru de frissons violets. Il réfléchit.

Sous ses yeux, ses pieds. Ses pieds qui avancent, percutent le sol l'un après l'autre, rencontrent la réalité fraîche du bitume lisse, un peu plus à chaque pas. Et rien d'autre. Rien que le fond gris, piétiné par deux pauvres jambes qu'il n'apprécie que très peu. Cachées, il préfèrerait les voir dans un short. Le ciel est noir. Hoseok ne parvient pas à le voir autrement. Et il est frais. Des nuages le couvrent petit à petit. Des nuages éternels. Hoseok secoue la tête, et puis, il y a les mots de son père, qui reviennent à la charge de son pauvre esprit déjà fébrile.

C'est pas comme ça que tu vas nous ramener une petite amie.

Hoseok trouve que ces mots sonnent étrangement. Petite amie. Il ne parvient pas à comprendre en quoi ils peuvent paraître attirants, ou quoi que ce soit. Petite amie. Rien, ils ne produisent rien, si ce n'est un peu d'incompréhension, d'insignifiance, de dégoût. Petite amie. C'est pas comme ça qu'il va en ramener une, sans aucun doute, mais Hoseok n'est pas certain de vouloir en ramener une. Il se demande pourquoi. Si c'est vraiment normal. Et là, le garçon blond rapplique. Hoseok panique, se dit qu'il devrait peut-être en chercher une, de petite amie. Il ne sait pas. Les lèvres du garçon blond, elles étaient déjà si douces. Hoseok se fait mal au crâne. Il secoue la tête, encore. Se dit qu'il ramènera une petite amie s'il doit en ramener une, mais que pour l'instant, ce n'est pas ce qu'il veut. Que pour l'instant, il ne veut rien du tout. A part se sentir vivant. Rien qu'un peu.

Et le ciel intervient.

Sans qu'on le remarque, il s'est entièrement vêtu d'un lourd manteau anthracite (peut-être que lui aussi avait froid). Et de ce manteau, quelques perles s'échappent. Hoseok sent des gouttes s'effondrer sur son front, pas très puissantes, pas très nombreuses. Qui s'intensifient. Apercevant son immeuble, il décide de ralentir, alors que la pluie s'alourdit, devient inévitable. Plus aucun espace n'est épargné par cette eau qui s'écroule.

Il apprécie chaque goutte qui percute son corps, qui s'infiltre dans ses vêtements pour frapper son âme au plus profond. Il se délecte de chaque couleur qu'apporte cette pluie qui bientôt, devient presque douloureuse. Plus concrète. Parmi les prismes liquides qui s'effondrent, quelques grêlons s'invitent. Hoseok les sent frapper sa vie, plus violemment, plus froidement, moins amicalement.

Et quelque part, ça lui fait du bien. Cette légère douleur lui rappelle qu'il est en vie. Que quoi qu'il arrive, il vit, et que le ciel aussi. Hoseok ne se demande plus s'il veut une petite amie, ou pourquoi les lèvres du garçon blond étaient si douces. Il ne fait qu'apprécier la douleur, en se disant que c'est bien aussi, d'accepter d'avoir mal.

Il finit par rentrer, après un long moment à se fondre dans la grêle timide, elle-même encore mêlée à de la pluie. Il mange une pomme. Et dans son lit, il ferme les yeux. Il arrête de réfléchir, il essaie.

Mais ce serait comme demander au ciel de disparaître.

Les Palmiers bleus - HopeminOù les histoires vivent. Découvrez maintenant