douze. (champagne coast)

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« Entre. »

Hoseok a pris le bus. Dans la vitre, il a vu les arbres se vider de leur vie. Il a vu son reflet se mêler au ciel, il a entendu des paroles se mêler au paysage grisé. C'était beau et reposant. Yoongi l'a invité chez lui ce week-end, sans vraiment de prétexte. Sans vraiment de raison. Juste comme ça, et lorsqu'il y a repensé, ça l'a amusé, voire fait sourire. Quand Yoongi lui a proposé, ça ressemblait un peu à ce que Jimin avait dans la voix.

Sur le seuil de la porte, observé par Yoongi, Hoseok a le regard posé sur une photo accrochée au mur de l'entrée. Une photo de Yoongi et de son père, qui ont l'air plutôt heureux. Ou qui en tout cas n'ont pas l'air trop tristes. Yoongi sourit presque, dessus. Mais la photo est coupée, et ça se voit. L'esquisse d'un bras enlace le dos de Yoongi. Hoseok imagine que c'est le bras de sa mère (ça ne peut pas être sa sœur, parce que Yoongi est un vrai bébé là-dessus).

« -Tu peux entrer, répète Yoongi un peu gêné.

-Pardon. »

Hoseok relève la tête, le regarde. Puis il passe la porte.

Ils sont dans une petite maison, pas loin de la ville. La banlieue tranquille, celle qui est dégagée et qui a quelques arbres, assez pour qu'elle ait l'air bien plus vivante et véritable que les forêts d'immeubles où vit Hoseok. Yoongi a l'air timide, il a l'air triste mais heureux d'accueillir son ami. C'est doux, quand son avant-bras frôle celui d'Hoseok. C'est drôle.

Le couloir est étroit. Une porte ouverte mène à la petite cuisine, où des pêches reposent dans une corbeille. C'est étrange, d'en voir maintenant. Si tard dans l'année, dans un endroit pareil, au milieu d'un ciel gris et frais. Hoseok pense à là-bas. Ils passent devant, juste comme ils passent devant le petit salon et la petite salle à manger. La maison est accueillante, et Hoseok, il s'y sent bien. Comme s'il était chez-lui. Au fond du petit couloir, il y a la chambre de Yoongi. Ils y entrent, se sourient rapidement. Les murs sont vert. Un vert joli, un peu foncé, qui réconforte ; même si dit comme ça, ça peut sembler laid.

Hoseok s'assied au sol, sur la moquette, en tailleurs. Il se demande ce que Yoongi a prévu, s'il a prévu quelque chose. Et il espère qu'il n'a rien préparé. Rien du tout. Parce que quand ils ne font rien ou ne disent pas grand chose, c'est là qu'il se sent le mieux. Les rideaux trainent à terre, sur le parquet. Une guirlande de toutes les couleurs est allumée. Des Polaroïds d'avant sont accrochés. Dessus, Yoongi a l'air heureux. Il sourit beaucoup, rit presque. A côté d'une fille, qui a les cheveux roses. Sur l'espace blanc, en-dessous, au marqueur, c'est écrit « Lise. »

Inconsciemment, quand le visage de Yoongi se loge dans le coin de son regard, Hoseok espère qu'il est sa nouvelle Lise.

Juste comme Hoseok le voulait, ils ne font rien. Ils s'observent, parlent du groupe de musique dont un poster est accroché sur le mur. Yoongi s'étale de tout son long au sol, Hoseok fait de même. Ils observent le plafond, qu'une guirlande parcourt. Ils observent les murs, la fenêtre, un peu tout. C'est presque comme s'il y avait un ciel, juste là, dans la chambre. Comme s'il se courbait, se pliait pour pouvoir rentrer dans cette pièce pas si grande que ça ; et qu'il recouvrait tous les murs. Voire qu'il passait en dessous des deux garçons. Ils seraient allongés sur un nuage, et ça ne semble plus si impossible aux yeux de Yoongi, quand il sent leur jambe se frôler.

Ils ne disent plus grand chose.

Yoongi avale difficilement sa salive.

Hoseok se relève.

Il se dirige vers une grande armoire, la frôle du bout des doigts, suit les lignes du bois. Concentré autour d'un nœud, il ne remarque pas que Yoongi se redresse, et l'observe. Comme absorbé, Hoseok l'ouvre, oubliant qu'elle renferme une autre vie que la sienne, d'autres objets que les siens. Yoongi a un soudain mouvement en avant, qu'il réfrène rapidement, puis fait un signe de tête à l'autre garçon pour lui dire qu'il n'y a pas de problème. Dans l'armoire s'entassent des vêtements. Pas énormément, bien moins que d'autres adolescents en auraient, pas très colorés, bien moins que d'autres, mais des vêtements qui ressemblent à Yoongi. C'est assez pour les rendre jolis.

Hoseok baisse un peu le regard, voit alors un jouet qui lui plait. Bleu et orange, très éclatant, il a une forme d'arme. Un fusil inoffensif. Un sourire se fait sentir dans le creux de sa joue, Yoongi incline la tête, l'interroge avec des yeux doux. Un léger battement. Une couleur qui flotte. Bleu. Indigo. Eblouissant.

Hoseok saute presque sur place, emportant avec lui l'objet de plastique. Yoongi ne réagit pas dans l'immédiat. Il ne réagit en réalité pas vraiment, avant qu'Hoseok ne se retourne et appuie sur la gâchette. Et alors qu'une balle en mousse s'échappe du fusil, alors qu'elle transperce l'air et qu'elle se rapproche dangereusement de Yoongi, les interrogations se suspendent. Les pensées, le gris, l'avenir. Tout s'écroule et s'évapore, comme la fumée d'une arme d'acier. La balle atteint sa cible, ce qui provoque des ouragans de cris, de rires, de gestes incontrôlés. Yoongi se rue d'abord derrière son lit, se protégeant des salves affectueuses de munitions qui s'acharnent dans sa direction. Puis il attend que l'attaquant doive récupérer les balles semées partout sur le sol. Quand ça arrive, quand Hoseok tente tant bien que mal de recharger la chose, avec des mains presque tremblantes, Yoongi lui saute dessus. Il prend le contrôle de l'arme. L'un hurle de victoire, l'autre de terreur. L'un a le fusil dans les mains, pointés vers la poitrine de l'autre. Hoseok est fait comme un rat.

Et puis. Hoseok le supplie. Il se laisse tomber sur ses genoux, joint ses mains, exagère des phrases pleureuses, attendrissantes. Yoongi suit sa poitrine avec le viseur de l'arme amicale, impassible. La lumière s'invite dans la pièce, un rayon spectaculairement éclatant. La poussière remuée tombe en flocons sur le sol jonché de balles perdues. Le visage d'Hoseok est ébloui. Et dans la lumière, il adopte un caractère céleste. Une beauté inégalée. Yoongi, touché, baisse son arme. Il relâche toute sa détermination, toute sa garde, toute sa rancune.

L'autre profite de cet instant de faiblesse. Il se relève, et le bouscule, tentant de récupérer le fusil. Echec. Déstabilisation. Chute. Ils se retrouvent tous deux sur le lit, accompagnés par un dernier cri enfantin.

À bout de souffle, le ventre se gonflant plus que de la baudruche, l'expiration plus forte que l'exhalation des vents lors d'une tempête, ils signent l'armistice. Ils reprennent toutes leurs années perdues, mais c'est comme si leur poids s'était réduit lors du combat acharné. Ils reviennent en adolescence, mais ça sonne plus comme une enfance infinie que comme une maturité dangereuse, planant au-dessus de leur tête.

Yoongi parle alors, plein d'espoir, tandis qu'Hoseok était prêt à laisser les rêves de jeunesse l'absorber.

« -Dis.

-Hm?

-Je me sens enfin chez-moi. »

Yoongi fait un signe de tête, désignant sa chambre, puis le ciel, et à peu près tout ce qui les entoure. Hoseok ferme les yeux, et reçoit la phrase, comme un boulet de canon.

« Merci pour ça, entend-il résonner, sans rouvrir les yeux. »

Les Palmiers bleus - HopeminOù les histoires vivent. Découvrez maintenant