Le week-end, dans l'appartement. Les deux garçons ont un exposé à faire, en physique. Un instant, ils ont hésité : ils se sont dit qu'ils allaient démontrer en quoi cette science n'a aucun sens. Parce que Yoongi le pense vraiment. Parce que Yoongi ne comprend pas pourquoi ces personnes ont forcément besoin de tout expliquer, et de créer des formules débilement complexes pour les appliquer à des phénomènes qui n'y collent pas systématiquement. Il ne comprend pas. Mais ils se sont dits qu'ils n'auraient pas une très bonne note, s'ils faisaient vraiment ça.
Yoongi chez Hoseok. A deux, ils sont allongés sur son lit, devant un ordinateur qui n'affiche pas énormément de choses, si ce n'est un PowerPoint peu avancé et des pages internet ouvertes à tord et à travers.
Les parents d'Hoseok sont chez lui, et il déteste le fait qu'ils aient vu Yoongi. Parce qu'il sait qu'ils sont exactement du genre à pouvoir l'angoisser, ou lui demander trop, même implicitement, même sans le savoir ou le vouloir. Hoseok aurait préféré qu'ils ne soient que deux, tranquillement.
Ensemble, ils rient, ne se concentrent pas vraiment sur le sujet, qui ne les intéresse que trop peu.
Après quelques heures de travail, alors que le ciel bleu tombe, ils terminent leur exposé. C'est dimanche, et le lendemain, une semaine redémarre. Hoseok n'a pas envie de reprendre le cycle mortellement ennuyant de sa vie ici, et sûrement que Yoongi n'en a pas envie non plus. La nuit se lève, Hoseok tourne la tête rapidement vers le nouveau plus si nouveau.
« -Tu voudrais pas rester dormir? »
Les yeux de Yoongi s'illuminent subtilement, mais assez pour qu'Hoseok le remarque. Il lui propose une rupture dans son quotidien, une brèche, une faille. Yoongi apprécie l'idée, hoche la tête, dit « d'accord ». Hoseok sourit légèrement.
Dans l'appartement, il fait sombre. La lumière s'est enfuie, et seules quelques petites lampes sont allumées. C'est un peu sordide, comme ça, mais Hoseok a l'habitude. Il marche dans le couloir, touche les murs du bout des doigts, sent le parquet caresser ses pieds. Aux murs, des photos de famille, un peu comme sur tous les murs de tous les habitats de toutes les familles. Hoseok ne sourit sur aucune des photos. Une fois, sa tante qui était venue en ville a regardé ces cadres, et l'a fait remarquer. Alors son père avait dit quelque chose comme « Non, notre fils ne sait pas faire ça ». Hoseok avance lentement, le coeur légèrement battant, puis arrive dans le salon, où la télé offre la seule vie que cet appartement reçoit. Il y a ses deux parents, devant.
« -Yoongi peut rester dormir ce soir? la voix tremblante du garçon résonne.
-Oui bien sûr. répond sa mère.
-Tu voudras pas de nous pour manger, j'imagine. son père laisse échapper. »
Hoseok ne répond pas. Quelque part dans son esprit, il encaisse la remarque et la conserve, avec toutes les autres. Toutes celles qui lui font penser qu'il n'a ni coeur ni délicatesse. Toutes celles qui lui font dire qu'il est insensible, bizarre, trop solitaire, incompréhensible. Toutes celles que son père lâche souvent, sans même s'en rendre compte, sans vraiment le vouloir. Il dit simplement « merci » à sa mère, puis il retourne dans sa chambre, en courant presque, comme un enfant. C'est agréable de se sentir jeune.
Yoongi attend dans le noir, assis en tailleurs, à terre. Hoseok arrive alors, plutôt souriant. Il allume une petite lampe à son bureau, et comme ça, il n'y a qu'une faible lueur qui les éclaire.
Plus tard dans la soirée, lorsqu'il fait entièrement nuit, Hoseok a une idée. Il se relève, passe à côté de Yoongi. Il éteint la petite lampe pour en mettre une autre, qui tournoie, qui fait du rouge, du vert, et du bleu. C'est un peu comme s'ils étaient dans un aquarium de couleurs.
Hoseok est beau, comme ça, avec toutes les lumières qui courent sur sa peau.
« -Tu n'as pas peur d'avoir froid? il demande ensuite, rien que pour être sûr. »
L'invité fait non de la tête, faiblement, en le regardant sans afficher trop d'émotions. Il ne comprend pas réellement la question. Alors Hoseok ouvre la fenêtre, et s'y pose. Les coudes à l'extérieurs, le bas du corps contre le mur, la tête dans le ciel, les lumières sur le ventre. Il y a des étoiles, beaucoup d'étoiles. Très vite, Yoongi le rejoint. Ils sont un peu serrés, mais il y a la place. Ils restent longtemps, à observer le bleu profond, très profond.
« -Pourquoi il veut se déguiser en noir, le bleu de la nuit?
-Tu crois vraiment que c'est ce qu'il veut?
-Bah...
-Je pense qu'il veut juste être plus profond, tout en restant lui-même, et plus beau. C'est nous qui essayons de le rendre noir. Mais c'est à lui de décider. Fin je crois. »
Yoongi le regarde longtemps, comme si ce qu'Hoseok avait dit était resté quelque part gravé sur sa peau. Peut-être bien que c'est le cas. Que chaque mot qu'on prononce, que chaque mot qu'on entend, il se loge quelque part sur notre corps. Au début, c'est sur les espaces libres. Sûrement d'ailleurs que certains endroits se réservent certains mots. Et puis après, quand il n'y a plus de place, une deuxième couche se forme. Alors avec le temps les gens ne sont plus que des masses de phrases vécues qu'ils transportent avec eux, comme un bagage alourdi, plus ou moins fort, plus ou moins léger. Yoongi se dit que son corps à lui est bien plus recouvert des mots des autres que des siens.
Yoongi se dit même qu'il reste un endroit vierge de mots, dans son corps. Il s'agit de son coeur.
Ils regardent les étoiles, longtemps. Hoseok se dit que c'est drôle comme elles offrent l'éternité. Un peu comme un nuage, un peu comme des phrases qu'on lâche comme ça, sans trop réfléchir.
Hoseok sort un paquet de cigarettes, qu'il est allé acheter en ville. Il pioche un rouleau, le porte entre ses deux lèvres, observées de près par l'autre garçon. Coincée dans sa bouche, il regarde la cigarette. Puis il prend un briquet dans un tiroir de son bureau, et l'allume. Yoongi souffle du nez.
Il trouve que ça lui va bien, mais que c'est un peu stupide.
Mais que ça lui va bien quand même.
« -Pourquoi tu fumes? demande-t-il, curieux.
-Parce que c'est pas bien. répond Hoseok, après avoir hésité, un petit sourire en coin.
-Mmh. Ça te ressemble pas.
-Je suis pas obligé de toujours me ressembler.
-... Peut-être bien. »
Ça les fait souffler du nez, encore. Ils observent le ciel, qui les plonge dans l'infini.
Et sûrement que c'est un infini qui durera.