neuf. (her)

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C'est la nuit. Mais il fait jour.

C'est la nuit parce que le soleil est parti, vraiment, vraiment loin, dans un endroit qu'Hoseok aimerait connaitre. Mais il fait jour parce qu'Hoseok en a envie. Alors la lumière dans sa chambre est allumée, les nuages sur son plafond sont animés, la mer au coin des murs est agitée, mais pas trop. Finalement, elle se calme. Il n'y a plus qu'un léger bruit, un peu lancinant, un peu rassurant. Des vagues qui caressent le sable, une peau en émoi. Hoseok les écoute.

Il ne le sait pas, mais ce sont les battements de son cœur, qu'il entend.

Hoseok pense à Yoongi, qui en a assez d'avoir l'air triste. Puis il pense au repas de ce soir. Son père lui a demandé comment était sa journée, il a dit « bof. » Son père lui a demandé comment était la colle (ils ont reçu une lettre, après qu'Hoseok s'est enfui du lycée, et aujourd'hui, Hoseok a dû rester assis à une chaise dans une salle vide). Il a dit « c'était ennuyant. » Là sa mère a commencé à se plaindre, à avoir les larmes aux yeux, et à dire qu'il ne parle jamais, qu'il ne raconte jamais rien, que c'est agaçant, un peu perturbant, qu'elle ne sait jamais quoi penser. Il ne l'a pas dit, mais intérieurement, il lui a répondu qu'elle n'avait cas ne pas penser. Peut-être qu'elle, elle en est capable. Il ne sait pas. Il l'espère pour elle.

Il se demande s'il a l'air si vide que ça.

Son plafond l'ennuie, alors il regarde ailleurs. Il ne veut pas voir son bureau, ni son reflet, ni les murs. Il ne reste que le ciel. La fenêtre. Un échappatoire d'autre part, logé et encastré dans des murs d'ici. Hoseok aime les étoiles. Hoseok aime la nuit. Mais il aime encore plus le jour en pleine nuit.

Et la nuit en plein jour alors, ça donnerait quoi?

Sûrement que Jimin le saurait. Hoseok regarde son portable, hésitant. Il a envie de l'appeler. Mais il se dit qu'il est trop tard. Qu'il aurait dû le faire avant, que maintenant, il ne voudra plus lui parler. Et si c'était le cas, sûrement qu'il l'aurait déjà appelé. Il lance son téléphone quelque part sur son bureau, et se replonge dans les étoiles. Peut-être que ses yeux se bercent d'une mer qui n'est pas concrète, qu'il rêverait de voir partout autour de sa peau.

Hoseok pense à Jimin, et il ne comprend pas ce qui se passe dans son cœur. Des marées s'élèvent, des vagues se percutent. Il ne comprend rien et ça l'effraie, parce qu'il se sent déjà perdu.

C'est là qu'il la voit.

De la vue de la fenêtre d'Hoseok, il y a un immeuble. Un immeuble un peu identique au sien. Totalement identique au sien. Un appartement, juste en face de celui du garçon, s'allume. C'est assez loin pour qu'on n'ait pas l'impression d'être observé en permanence, assez proche pour vouloir (et pouvoir) observer sans arrêt. La lumière s'y allume. Une voiture traverse la route entre les deux immeubles. La pièce qu'Hoseok voit, elle est vide. Complètement vide. Alors, elle entre. Une femme, pas vraiment vieille, mais plus âgée que lui. Elle est blonde, ses cheveux sont longs. Peut-être que ses yeux sont verts, Hoseok trouverait ça beau. La femme a une silhouette relativement fine, une robe longue, et un gilet en laine par-dessus. Elle s'attache les cheveux, avec une délicatesse qui égalerait le souffle des étoiles. Son gilet est blanc. Eclatant. La femme fait des tours de la pièce. Il regarde l'heure, se demande ce que fait une fille si tard dans un appartement si vide.

Finalement, un homme bien plus vieux qu'elle arrive, des cartons plein les pattes. Il les pose, et redescend, pour remonter quelques instants plus tard avec un simple matelas. Il le jette presque,  pas vraiment délicatement, à terre. La fille n'a pas l'air inquiète. Elle l'enlace chaudement, semble lui sourire. Quand elle ferme la porte, l'homme est déjà parti de l'appartement. Elle fait un signe d'au-revoir, ou de merci, ou des deux. Elle avait l'air de sourire, la femme. Mais quand elle se retrouve seule dans son appartement, qui ne doit pas être très grand, elle s'appuie, le dos contre la porte. Elle se laisse glisser, lentement. Ses cheveux se délient, lui tombent sur le visage. Elle pose ses mains pour les retenir. Assise, recroquevillée. Elle pleure.

Hoseok voit toute la scène. Il se sent comme un intrus. Il lui envoie un peu de courage, par les étoiles, puis il rabat les rideaux. De nouveau seul, complètement seul, il se demande à quoi il ressemblerait, lui, s'il pleurait. Si ça ressemblerait autant à un cadrage pour une scène de film. Si ça ressemblerait plutôt à un tableau. Ou à une chanson.

Il vient s'assoir contre sa porte ; imagine la caméra, qui le filme. D'abord à l'épaule, très rapprochée. On ne voit que quelques mèches, qui laissent paraître un peu de son front. Puis une main vient les amener vers l'arrière. On suit le geste de la main, la caméra n'est pas sereine. La main passe ensuite sur son front, sur ses yeux. Elle replace une mèche derrière les oreilles. La caméra la suit toujours. Et un autre plan. Un oeil, un seul, qui regarde à gauche. L'oeil est à l'extrême-gauche du cadre, alors on ne sait pas ce qu'il regarde, quelle évasion il recherche. Sur tout le reste du cadre, la porte, et le mur. Une carte postale y est accrochée. Elle évoque la mer. La mer, qui vient se loger dans l'oeil égaré. Changement de plan. Cette fois-ci, il est fixe, et ressemble à celui dans lequel la femme se trouvait. On se demande si elle pleure encore, mais sûrement que ce parallèle signifie que oui. Alors le garçon qu'on identifie enfin (il s'agit d'Hoseok), laisse ses yeux déborder de larmes chaudes. Etranges. Lourdes. Elles coulent délicatement le long de ses joues longues. Il n'y en a pas énormément. Juste assez pour créer une route sans goût, sur son visage moins inexpressif qu'à son habitude.

Hoseok imagine que tout ça n'est qu'un film, que rien n'est vrai, que rien n'importe. Alors il laisse les larmes couler. Et ça fait du bien. Son dos commence à trembler, sa bouche s'entre-ouvre. Un filet s'échappe de son nez. De ses yeux s'enfuient dorénavant plus que de simples gouttes. Son corps tremble, subit des à-coups. Lui, il sait que ce n'est qu'un film. Il essaie de ne pas être trop bruyant, mais il ne peut plus, il ne veut plus s'arrêter. Il pleure, pleure, pleure.

Ce n'est qu'un film.

Et quelque part, Jimin joue dans ce film. Dans une scène, coupée au montage. A la plage. Chez lui. Dans les boutiques, à faire l'abruti.

Il est tard. Et la rue est un miroir, entre ces immeubles qui accueillent deux pleureurs.

Hoseok ignore pourquoi, mais il ne peut plus s'arrêter. Il sent ce vide, en lui, qui se remplit progressivement de l'instant. Les larmes qui s'échappent remplissent un trou béat qu'a laissé l'été, quelque part dans son cœur. Hoseok pleure.

Quand il se relève, il ne sait plus trop quoi faire. Il attrape un mouchoir, se mouche, s'essuie les yeux avec la manche de son pull. Un pull. Rouge. Il l'a acheté en rentrant chez lui, parce qu'il voulait porter des couleurs, bien plus qu'avant. Hoseok se couche, se demande s'il y a encore des poissons dans ses yeux, ou s'ils se sont enfuis par les rivières qu'il a laissées couler. Hoseok fixe le plafond, les yeux toujours un peu humides, les joues gardant trace de ses larmes. Il s'endort, replié contre lui-même, ne cherchant plus à prétendre qu'il ignore complètement pourquoi il se sent si peu à sa place.

Et Jimin, on ne peut plus vraiment le couper du montage.

Les Palmiers bleus - HopeminOù les histoires vivent. Découvrez maintenant