ezuod. (born to die)

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Parmi les pins, dans l'air marin
Je vois du blanc, du bleu, du jaune
Le jaune est celui du sable, que mes pieds caressent
Les grains, tous, sur ma peau
Comme la neige sur les arbres
Comme les nuages dans le ciel
Comme ton souffle dans mon esprit
La forêt de pins ensorcelée
Et l'horizon sans fin, hypnotisé
Une espérance, un cri d'espoir
Qui bouscule chacune des épines
Le vent est fort, et moi, je vole

Jimin prend du recul. Il regarde sa feuille, froissée par la vitesse. Elle était coincée entre sa main et le guidon du vélo, lui-même maintenu par une autre main prisonnière d'une attelle (colorée d'un bleu immonde). Il a transporté cette feuille, jusqu'à la plage, malgré son genou toujours faibli et bandé. Il l'a tenue, le plus fort possible, comme si les mots allaient s'en échapper, comme s'ils étaient des oiseaux prêts à s'envoler. Un peu déchirée, complètement chiffonnée, elle est comme son cœur. Pleine de mots et de stupéfaction, de splendeurs de la nature, elle est comme son souffle. Jimin la regarde, et sur la plage, dos aux pins, elle prend tout son sens.

Il s'enfonce dans le sable. Tout entier, il se donne au sable. Tout entier, il offre son corps. Sous le ciel, sous les nuages évaporés, sous les frissons légers. La brise est présente, l'air est frais, et lui, il ferme les yeux. Des tâches de couleurs, un peu partout, le subjuguent. Jimin est parti sans réfléchir, après avoir inscrit ces mots sur un bout de papier déchiré. Il a écrit ça, en rentrant chez lui après les cours, après avoir croisé Jungkook qui baissait le regard, encore, et Jin un peu désolé, toujours. Après avoir vu Violette l'ignorer. Après une énième journée de solitude. De la peine et de la haine coulaient dans ses veines, du vert et du bleu se mêlaient dans sa tête. Il a tout écrit. Tout ce qu'il voyait, tout ce qu'il ressentait. Et puis, il s'est enfui de sa chambre. Il est allé dehors, a pris son vélo, et s'en est allé, comme un air d'été, comme un papillon d'illusions, comme un baiser volé. Plume frivole au contact du cyan de l'atmosphère, il était sur la route une hirondelle en quête de solutions, entre tous les pins, pédalant sans fin.

Jimin est allongé. Jimin laisse ses réflexions s'évader avec la lumière froide du ciel dégagé. Son vélo est posé au loin contre un poteau planté dans le sable. Son papier est renfermé dans sa main, contre sa poitrine enfoncée dans l'atmosphère. Peu à peu, tout s'éteint. La sensation de ses doigts dans les grains faiblards, les mots dans son crâne, les battements dans son corps, et la vie qui l'anime. Il s'assoupit, laisse le vent l'envahir.

Son pull est rouge. Rouge éclatant. Comme son cœur, comme son sang. Comme le besoin organique qu'il abandonne au fil de l'air. Celui de vivre.

Jimin se vide. De tout.

Alors, le froid devient brutal. Mastodonte qu'on ne peut ignorer, il écrase chaque centimètre de sa peau, compresse ses poumons et gèle son cœur. Jimin ouvre les yeux, sent l'hiver naissant s'en emparer, contraste saisissant. C'est le ciel, qui souffle, qui se débarrasse de son bleu glacial. C'est le ciel, qui le réveille, rien que pour lui dire. Pour le lui demander. Lui supplier de le regarder. Parce que le ciel est en train de s'éteindre, et qu'il sait que Jimin est le seul vrai spectateur qu'il peut espérer avoir, ce soir. Appelé, happé, le garçon blond aux chaussures blanches se jette dans l'océan flottant.

Au loin, la flamme de l'espoir. Au loin, l'embrasement spectaculaire d'un vieil ami. Au loin, l'enterrement marin d'une ardeur archaïque.

Jimin se relève difficilement, observe la mer s'emplir de teintes brûlantes ; il voit le rouge qui remplace le bleu. L'océan absorbe le soleil. Et le ciel devient une mer d'aquarelle, qui se dégrade en une profonde nuit.

Le garçon blond, avec son pull écarlate, se mêle à l'horizon. Et comme ça, de loin, sur un tableau, on pourrait croire qu'il est le soleil mourant. Que son cœur qui chute est comme cet astre majestueux. Bien plus époustouflante que la chute d'Icare, Jimin, vidé d'espérance et d'arrogance depuis bien longtemps, subit la chute du soleil. Là, dans son corps, il le sent.

Le soleil entraine son cœur.

Et il n'essaie même pas réellement de le rattraper.

Le papier dans sa main se secoue au vent. Il se froisse, s'emplit de ciel mouvant. Mais Jimin le tient, il l'emprisonne dans son poing serré, au risque de le froisser davantage. Il s'y accroche plus fort qu'il ne s'est jamais accroché à quoi que ce soit. Ce papier contient une éternité, un nuage de descriptions, et Jimin refuse. Il refuse de laisser une autre éternité s'échapper si facilement.

Il emprisonne la chute dans ses pupilles, la laisse prendre le dessus. Un contrôle total, il n'est plus que le pion du soleil pourtant aussi faible qu'il n'est pourpre. Tout en lui s'enflamme, partant d'une braise installée depuis trop longtemps, consumant des pensées qu'il ne veut plus créer. Tout s'embrase d'une flamme douce et puissante.

Comme ça, les yeux emplis d'admiration, le cœur faible, il pourrait appeler Hoseok. Même que ça ferait un joli plan, un merveilleux tableau, plein d'espoir que l'on croyait carbonisé depuis bien longtemps. Comme ça, il pourrait appeler Hoseok, et il en a presque envie.

Mais c'est sûrement mieux comme c'est. Seul, désemparé, agonisant, Jimin se sent renaître.

Bientôt, le soleil n'existe plus. En un souffle, un battement d'ailes, un courant d'air. Il disparaît derrière l'horizon marin. Dernière exhalation, le râle du condamné agonisant, un air frais semble s'échapper de cet astre assoupi et vient caresser les joues de Jimin. Et bientôt, il fait nuit. Le garçon blond reste là. Peignant toujours le crépuscule dans la toile nocturne de ses yeux ébahis.

Lorsqu'il accepte enfin la mort du soleil, lorsqu'il tourne le dos à la mer, lorsqu'il pédale lentement sur le bitume mal coulé, Jimin le sait. Il faut qu'il aille parler à Jungkook, qu'il se rattrape. Il faut qu'il répare les fractures qu'il a provoquées dans le cœur de Violette.

Et Hoseok.

Qu'importe ce que Jimin peut en penser.

Les Palmiers bleus - HopeminOù les histoires vivent. Découvrez maintenant