Cinquième tableau. (#29 strafford apts)

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Jimin est assis devant l'azur. Ses cheveux divaguent au vent, et lui ne fait que penser, devant la grandeur marine de l'océan. Quelque part sur sa main, jusqu'au bras, il a écrit une phrase, en capitales.

TU ES COMME LE CIEL SUR LA MER, BLEUS.

Il inspire, expire, lentement. Des bruits d'ailleurs l'environnent, forment des drôles d'images dans sa tête. Dans cet endroit, entourées de l'océan et des arbres si grands, ses pensées sont comme des touches de peintures. Comme sur une palette, attendant patiemment qu'un pinceau les appelle et leur donne sens.

Pour l'instant, ce n'est qu'un brouillon. Un brouillon dans son crâne, des teintes, des couleurs qui s'emmêlent sans le moindre sens, mais qui au moins, existent.

Jimin respire.

Une vague au loin. Un oiseau si haut. Des fleurs quelque part. Une larme ailleurs. Et chez lui, ce brouillon de couleurs.

Puis parfois, cette question, qui traîne.

Pourquoi t'as fait ça ?

Jimin s'allonge. Dans l'immédiat, c'est comme une chute sans fin. Une énième chute qui ne signifie rien, mais qui pourtant l'entraîne. L'espace d'un instant, il sent le vide des éternités qu'il a laissées s'évader. L'espace d'un instant, il réalise le poids qu'a encore la culpabilité, et il se dit que c'était plus simple, quand il pouvait s'en prendre à quelqu'un d'autre que lui. L'espace d'un instant, c'est comme s'il n'avait jamais couru sous le ciel gris pour en faire une toile bleue. Rien que l'espace d'un instant. Parce que bientôt, sa tête touche le sol, et la chute sans fin s'achève. Il n'y a pas de nuage dans le ciel, et Jimin le sent. Le brouillon dans sa tête ne s'atténue pas vraiment, les couleurs désordonnées s'agitent. Mais il sent surtout le ciel, bleu, et la puissance des couleurs.

Tout est remué. C'est un peu comme si maintenant, il était impossible d'imaginer pouvoir créer un tableau avec. Mais Jimin y croit. Il veut y croire. Petit à petit, peut-être que les couleurs peuvent s'ordonner. Il refuse le contraire.

Il décide d'essayer de voir ce que les horizons peuvent cacher, sans se noyer dans l'océan qui les précède. Peut-être qu'il peut arrêter d'essayer de retourner dans un éphémère éternel qui n'est déjà plus le sien. Et un instant, il espère. Il espère que comme la mer, ses vagues iront caresser le sable de ses pensées, après l'avoir si durement frappé.

C'est peut-être même déjà le cas.

Toujours allongé, il ferme les yeux jusqu'à ne sentir plus que le vent courant sur ses joues, accompagné de quelques grains de sable timides. Les rayons du soleil se reflètent sur sa peau, jusque dans ses yeux fermés, qui eux-aussi, peu à peu, s'emplissent de tâches de couleurs. Quelques oiseaux chantent, les arbres vivent, l'océan domine.

Entouré de cette atmosphère, Jimin ne doute même plus. Quelques couleurs s'alignent, ici et là, dans son esprit.

Et peut-être que s'il le souhaitait, il pourrait réussir à rester là, allongé dans le vide, au-dessus de l'océan, éternellement.

Soudain, elle arrive.

C'est elle. Jimin le sait, sans avoir besoin d'ouvrir les yeux. Quand il entend le rythme et l'assurance (un peu déstabilisée) de ses pas, quand il entend son vélo cogner le sien, quand il entend son sac tomber au sol.

C'est elle.

Il se redresse. Toujours devant la mer, sur cette dune, toujours la même. Elle n'ose pas s'asseoir à côté de lui, mais elle parle.

« Ta mère m'a dit que t'étais parti de chez toi sans rien dire. Je savais que tu serais là. »

Jimin sent son cœur battre comme la mer. Il sent ses doigts, dans le sable, qui lâchent prise. Il sent des couleurs, qui s'agitent, s'agitent, s'agitent, et parfois s'alignent. Et Violette, derrière lui, qui respire.

C'est drôle, comme la brise de l'âme peut frapper fort.
C'est comme du vent. Du vent qui parcourrait des océans entiers.

Les vents soufflent. Ils emportent quelques pétales. Jimin fait face à l'océan, toujours.

« Je comprends, dit-il. Je comprends, maintenant, pourquoi toute cette grandeur te fige. C'est comme un monde qui nous attend, sachant très bien qu'on ne pourra jamais le rejoindre. »

Il attend.

« C'est si grand, tout ce qu'on ne pourra plus jamais rejoindre. Si grand... »

Violette hésite. Puis, elle lui dit :

« Ce n'est rien qu'une grandeur parmi tant d'autres, non ? »

Jimin souffle du nez, avant de penser « Probablement », si fort qu'il a l'impression de le dire. Ou peut-être le dit-il si faiblement qu'il a l'impression de le penser.

Violette, toujours debout, se rapproche en hésitant.

« Écoute... Je sais que c'est facile de revenir comme ça. Mais j'ai quelque chose pour toi. »

Alors, elle lui tend une feuille, peinte en jaune. Entièrement recouverte de jaune. Il l'observe comme de loin, cette drôle de feuille, ce monochrome qui lui a échappé des doigts. C'est presque drôle. Et soudainement, Jimin aimerait réécrire la phrase sur sa main.

Comme le ciel sur la mer, jaunes.
Un équilibre si étrange.

Il se relève. Le temps que le vent passe entre les deux adolescents, le temps que Jimin pense à ne pas penser, le temps que Violette cligne des yeux, une autre vague tombe, comme le silence s'effondre entre eux. Et avant que Violette ne puisse dire « Désolée de t'avoir abandonné », il la prend dans ses bras, et la serre, fort.

« On n'est plus obligés de penser à nos erreurs, lui chuchote-t-il dans l'oreille. »

Les couleurs s'alignent presque toutes, quand Violette resserre l'étreinte.

Et le temps qu'une vague et son écume caressent le sable, ils ne pensent plus à rien. Ils sont là. Jimin ne reproche rien à Violette, qui ne lui reproche rien non plus, et qui accepte de prendre un peu de ses couleurs, rien que pour le décharger.

L'un contre l'autre, ils sourient paisiblement. Sans parler, ils se disent qu'ils sont prêts à continuer le chemin ensemble, rien qu'encore un peu. Ils sont prêts à affronter ce que la suite leur réserve.

Ils sont prêts à avancer.

Et c'est certain, un peintre ferait de cette étreinte un magnifique tableau.

Les Palmiers bleus - HopeminOù les histoires vivent. Découvrez maintenant